Une grande claque dans la gueule.
En fin de livre, on trouve un petit historique de la création de The Grocery, je remarque quelques dessins rudimentaires, ébauche de projet, le dessin est assez grossier, les personnages ont des têtes de têtards, c'est un style que
Guillaume Singelin exploite avec beaucoup de talent. Mais pourtant, on est très loin de la simplicité, les décors sont très travaillés, chaque détail est pris en compte, créant un foisonnement, une effervescence de mouvement, de saleté, de vie, de mort. Les couleurs sont réalisées dans une sorte d'aquarelle perdue sous une accumulation de traits, la couleur semble passer en arrière-plan alors qu'elle apporte cette atmosphère usée, délavée, rappée de cet univers de banlieue désoeuvrée, mal entretenue. Les références graphiques sont nombreuses, du manga au comics, du cinéma à la publicité,
Guillaume Singelin s'inspire de la culture pop pour aller au delà, créer son propre univers, sa propre mythologie, celle qu'on retrouve en parallèle dans l'univers de Run, celui de la série Mutafukaz qui exploite aussi toutes ces références dans divers horizons.
The Grocery, c'est la petite épicerie d'un quartier minable de Baltimore, cela raconte l'Amérique dans tout ce qu'elle a de plus répugnant : traffic de drogue, guerre des gangs, pauvreté, crise des subprimes qui met les pauvres à la porte de chez eux, violence des prisons, système policier inhumain, privatisation de la police, injustice pour les plus pauvres, abandon des vétérans, racisme, violence, mur de séparation entre riche et pauvres, médias menteurs et abrutissants, malbouffe…
C'est un monde pourri, violent, cruel, une caricature, sûrement, mais bien glauque et génialement cynique, et c'est une histoire ébouriffante, une saga de quartier apocalyptique, avec des personnages hauts en couleurs, tous décalés, meurtris. Il y a Elliott, 12 ans, c'est le fils de l'épicier, qui pour faire comme tout le monde, vend de la drogue au carrefour avec les copains, Sixteen est un peu plus âgé, c'est le chef de la petite bande, mais ce qui se passe au dessus l'écrase totalement, Ellis One à échappé au couloir de la mort, il revient dans le quartier reprendre sa place, ultraviolent, sans coeur, et puis il y a Wash de retour d'Irak, il a tout perdu, sa grand-mère a été virée de sa maison à cause de la crise des subprimes. Autour d'eux fourmille une foule de gens qui erre dans le peu d'activité disponible, vendre de la drogue, consommer de la drogue, voler, se pouiller, s'entretuer ou tenter de survivre, un éventail de caractères bigarrés, tous des figures de tragédies, tous dépassés par un monde qui dérape et qui brûle tout, la machine est emballée, rien ne peut l'arrêter tant que l'avidité gouvernera le monde, plus rien ne maintient une société qui tombe en déliquescence. L'exploit des auteurs, c'est d'arriver à nous laisser un infime espoir auquel se raccrocher, mais qui seront les élus.
The Grocery est un récit d'apocalypse dans un monde ordinaire et presque réel, un monde à la morale dévoyée, les tueurs citent la Bible et où le libéralisme écrase tout. The Grocery c'est une grande saga romanesque dans un monde dégueulasse, un véritable uppercut dans la gueule, on en ressort totalement groggy, sonné, impressionné.
Je vous conseille de le lire sous sa forme intégrale pour profiter d'une immersion totale et prendre la mesure de sa puissance tragique et romanesque.