Que d'énergie vaine et d'intelligence puérile les athées ont déployées afin d'infirmer la vraisemblance et la rationalité des credo des religions et de démontrer la simplicité benoîte des croyants ! Leurs efforts résultent en somme dans une société sécularisée en perte de sens, dont les membres sont globalement malheureux voire malades, et souvent dans le renforcement et la radicalisation desdites religions que l'on croyait déclinantes. Si chaque nouvelle religion a su piller et s'approprier si habilement les recettes culturelles, rituelles, spirituelles et temporelles voire même carrément politiques et organisationnelles précédemment en vigueur pour subvenir aux besoins profonds de ses fidèles et asseoir ainsi son autorité absolue, quelles sont ces nécessités injustement oubliées, inopportunément négligées ou hâtivement sacrifiées sur l'autel de la Raison, et quelles leçons pouvons-nous tirer des religions pour soulager les maux de l'humanité de façon laïque et non dogmatique ?
Autour de dix thématiques : I. « Sagesse sans doctrine », II. « Communauté », III. « Vertu », IV. « Éducation », V. « Tendresse », VI. « Pessimisme », VII. « [Remise en] Perspective », VIII. « Art », IX. « Architecture », « X. Institutions », et avec l'appui précieux, comme d'habitude, d'un riche et splendide appareil iconographique de grande intelligence, l'auteur déroule cette double démarche d'observation critique (des besoins individuels et des lacunes sociales) et de proposition (d'inspiration et de laïcisation voire de pillage de traditions et de pratiques religieuses) en s'inspirant principalement du judaïsme, du christianisme et du bouddhisme. À la toute fin de l'ouvrage, il inscrit son procédé dans l'héritage direct (mais lui aussi soumis à examen critique) d'
Auguste Comte, ce « philosophe français visionnaire, excentrique et qui ne disposait que par intermittence de toutes ses facultés mentales » (p. 303)... qui se proclama « grand-prêtre » de la Religion de l'Humanité, qui aurait dû être financée et soutenue par la nouvelle aristocratie de son temps : les banquiers...
Dans le détail, voici une citation tirée de la conclusion qui liste les avantages à tirer des religions évoquées plus haut :
« […] comment engendrer des sentiments de communauté humaine, comment encourager la vertu, comment lutter contre le penchant actuel pour les valeurs commerciales dans la publicité, comment choisir des saints laïques et y avoir recours, comment repenser les stratégies des universités et notre façon d'envisager l'éducation cultuelle, comment revoir la conception des établissements hôteliers, comment mieux reconnaître nos propres besoins enfantins, comment renoncer à une partie de notre optimisme contre-productif, comment acquérir un sens des proportions à travers le sublime et le transcendant, comment réorganiser les musées, comment utiliser l'architecture pour préserver les valeurs – et, enfin, comment unir les efforts dispersés d'individus soucieux du soin des âmes et les organiser sous l'égide d'institutions. » (p. 314)
À mon sens, fatalement, la partie propositive de chaque thème est plus embryonnaire que la partie descriptive, en dépit de l'effort évident de fournir des recettes le plus possible concrètes, empiriques et parfois immédiates d'application en apparence. Parfois, ces recettes ont l'inconvénient de ne rien remettre en cause du système productiviste, et par conséquent de prétendre soigner des maux créés par le capitalisme en en augmentant encore l'envergure d'application : dans le secteur du tourisme et de l'hôtellerie, ses recettes risquent d'être très vite appliquées effectivement, mais sans doute non sans le détournement habituel que le capitalisme opère du spirituel et du transcendant !
Toutefois, les mérites évidents de cet essai, outre l'érudition, l'humour et la verve habituels, résident dans son habileté à établir des ponts parfois surprenants entre une façon de penser et d'agir dérivées des traditions religieuses, et des problématiques psychologiques et sociologiques plutôt évidentes : je pense particulièrement à la fonction des arts, de la littérature et plus particulièrement de leur enseignement. Je me demande enfin si, comme l'auteur le regrette au sujet d'
Auguste Comte, le péril intrinsèque d'indisposer à la fois les croyants et les athées qu'il semble redouter dans sa démarche ne relève que d'une tentative de captatio benevolentiae, ou s'il a effectivement un fondement objectif. Personnellement, je me sens dorénavant totalement acquis à la cause...