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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
De courts chapitres, des nouvelles, ou Bashevis Singer raconte son enfance, sa premiere adolescence, et la societe ou il se mouvait, avant et pendant la premiere guerre mondiale. C'est un petit hassid aux papillottes rousses, en caftan long, chaussettes blanches jusqu'aux genoux, calotte ou autre couvre-chef, qui va s'ouvrir peu a peu a des idees plus modernes que celles de ses parents (Le hassidisme est un courant mystique juif datant du 18e siecle, dirige par des dynasties de rabbins considerees saintes et miraculeuses).

Beaucoup de ces nouvelles decrivent des gens de son entourage, a Bilgoray ou habitent ses grands-parents et surtout a Varsovie. Leurs gagne-pains, leurs faits et gestes, leurs habitudes, les problemes pour lesquels ils viennent voir son pere, le rabbin du quartier. L'ensemble revele une societe juive hassidique fermee, qui s'isole volontairement de son entourage et est pratiquement deconnectee des changements qui surviennent autour d'elle. Une societe figee, gelee.


J'ai surtout apprecie les portraits qu'il fait de sa famille proche, telle qu'elle se revele le long des chapitres. le pere ne savait parler ni la langue du pays, le polonais, ni celle du pouvoir, le russe. Il n'a donc pu briguer un poste de rabbin “officiel", sa maison fait office de tribunal a l'ancienne, et il vit pauvrement de ce que veulent bien lui donner ceux qui viennent le consulter. C'etait un homme d'une grande droiture, qui savait ecouter, influencer et convaincre: “Je devais souvent constater à quel point mon père, avec des paroles simples, savait mettre en déroute la mesquinerie, les stupides ambitions, le ressentiment et l'orgueil”. Mais, ignorant de toute matiere “profane”, ferme a toute modernite, a toute nouvelle forme de pensee, aux nouvelles ideologies, bundisme, socialisme, communisme, sionisme, il ne pouvait opposer qu'injures aux nouveaux courants de la modernite juive. “En raison de ses idées émancipées, mon frère Israël Joshua trouvait difficile de discuter avec mon père dont la seule réponse était : « Incroyant ! Ennemi d'Israël ! ». Et quand le jeune Isaac se met lui aussi a lire autre chose que de l'exegese talmudique :” Je me rappelais que mon père disait toujours : « Que le nom de Spinoza soit effacé à jamais ! »”.

La mere, Bathsheba, etait fille de “mitnagdim", des orthodoxes plus rationalistes qui rejetaient le mysticisme et l'extase du hassidisme. Son mari dira d'elle: “« Ta mère tient de son père, le rabbin de Bilgoraj. C'est un véritable érudit, mais aussi un rationaliste, un homme de sang-froid. On m'avait mis en garde avant nos fiançailles… » Et mon père leva les bras au ciel, comme pour signifier : il est trop tard, maintenant, pour décommander le mariage…”. C'est que, tres instruite, elle peut presque rivaliser avec le pere: “Elle connaissait d'anciens sortilèges et utilisait des expressions héritées de générations de grands-mères et de mères dévouées. […] de temps à autre, elle nous faisait bénir pour nous préserver du mauvais oeil. Cela ne l'empêchait pas d'étudier Les Devoirs du Coeur, le Livre de l'Alliance et autres ouvrages philosophiques sérieux”. (Les Devoirs du Coeur est un livre d'ethique redige au 11e siecle par le philosophe espagnol Bahya Ibn Paquda. le Livre de l'Alliance, publie au tout debut du 19e siecle par Pinhas Eliyahu Horovitz, essaie de reconcilier la science et la foi). Et elle est tres critique envers les “Rebbe", les chefs hereditaires de dynasties hassidiques: ”Comme d'habitude, mon père prit la défense du Rabbi : « Il est possible qu'un saint soit incapable de faire certains miracles. » Sur quoi ma mère dit : « Comment quelqu'un de stupide pourrait-il être un saint ? — Continue ! Corromps les enfants ! dit mon père. — Je veux que mes enfants croient en Dieu, pas en un imbécile, répliqua ma mère. — D'abord, c'est le Rabbi de Radzymin, demain ce seront tous les Rabbis et après, Dieu nous en préserve, le Baal Shem lui-même ! » s'exclama mon père. Il avait raison. Mon frère continuait à s'habiller comme un hassid, mais cela ne l'empêchait pas de passer de plus en plus de temps à lire des livres profanes, peindre et discuter longuement avec ma mère, à qui il parlait de Copernic, Darwin et Newton, sur lesquels elle avait déjà lu des choses dans des livres en hébreu. Elle manifestait une prédilection pour la philosophie et ripostait aux arguments de mon frère par des raisonnements semblables à ceux dont les philosophes religieux se servent encore aujourd'hui”.

Et c'est justement son frere, Israel Yehoshua, le revolte, qui l'introduira a de nouvelles idees, a de nouvelles facons de vivre, a la litterature, ce frere qui deviendra son mentor. “Du côté des Juifs « éclairés », il parlait d'un ton acerbe, avec une grande clarté, en proférant quelques plaisanteries malgré son dilemme personnel. C'était difficile de savoir en réalité pour qui il était vraiment. Bien qu'opposé à une piété étroite, il connaissait parfaitement les défauts d'une vie profane. N'était-ce pas cela qui avait provoqué la guerre ? de tendance socialiste, il était en même temps trop sceptique pour avoir beaucoup de foi en l'humanité. Mon père disait de lui : « Ni pour ce monde ni pour celui à venir… » […] Malgré mon jeune âge, je comprenais bien son problème : il s'était éloigné de la tradition mais ne trouvait rien dans les temps nouveaux qu'il pût dire bien à lui. Tout en ayant « divorcé » des coutumes juives, il restait un Juif pour les chrétiens”.


Romancant ses souvenirs d'enfance, Bashevis Singer a un regard bienveillant envers tout ce petit monde qu'il croise a Varsovie, le petit monde de la proletaire rue Krochmalna. Ses pages nous concretisent des personnages, bons ou mauvais, mais jamais terribles au point de ne pas aspirer a une redemption. Il decrit une societe studieuse et en meme temps ignorante, travailleuse et en meme temps apathique, commercante et en meme temps endormie, ses joies et ses peines, sa peur du changement, un changement qui s'y engouffre subrepticement. Derriere un semblant d'ordre eternel fremissait l'incertitude, l'insecurite de l'existence juive. Les temps nouveaux recelaient de grands dangers et de grands espoirs. le debut du 20e siecle s'averait, pour les juifs aussi, un temps revolutionnaire.


Et Bashevis Singer nous raconte aussi son propre eveil, influence par son grand frere. L'eveil a la litterature, qui lui revelera un horizon insoupconne; qui le fera sortir du monde etrique, condamne, du “tribunal" de son pere, meme s'il en garde une certaine nostalgie: “À l'époque, j'avais commencé à découvrir les écrivains yiddish, Mendele Mocher–Sforim, Sholem Aleichem, Peretz, Asch, Bergelson, mais je n'avais pas encore lu tous leurs livres. Je découvrais avec enthousiasme la poésie de Bialik, Tchernichovski, Jacob Cohen et Schnéour – et mon désir d'en connaître davantage était insatiable. Et je n'avais jamais oublié les deux volumes de Crime et Châtiment qui m'avaient tant intrigué, même si je ne comprenais toujours pas bien du tout ce que je lisais. […] À l'époque, l'Amérique nous envoyait des sacs de farine et des traductions en yiddish d'écrivains européens – et ces livres me fascinaient. Je lisais Reisen, Strindberg, Don Kaplanovitch, Tourgueniev, Tolstoï, Maupassant et Tchékhov. Je dévorai en un seul jour le Bien et le Mal d'Hillel Zeitlin. Zeitlin y résume l'histoire du monde et l'histoire de la philosophie, y compris la philosophie des Juifs. Un peu plus tard, je découvris Spinoza. Je me rappelais que mon père disait toujours: « Que le nom de Spinoza soit effacé à jamais ! »”.


Toutes ces esquisses, ces souvenirs romances, au regard (faussement) candide, donnent en definitive un beau livre, bien que je l'aie ressenti des fois repetitif dans ses portraits, y ayant vu des longueurs. Mais l'ecriture, qui se veut simple et sobre, developpe une harmonie formelle, etheree. Un livre doux et naif, tout en tendresse, sans aucune aigreur, d'ou perce toute l'humanite de ce grand conteur qu'etait Bashevis Singer.
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Avec "Au tribunal de mon père" nous avons un témoignage de la vie de la population juive de Varsovie au début du XXème siècle, avant et pendant la première guerre mondiale. le père en question est celui du narrateur, Isaac Bachevis Singer, et était rabbin et à ce titre avait un rôle en quelque sorte d'arbitre dans des litiges d'ordre privés, familiaux, religieux ou même financiers, lui donnant du même coup une position d'observateur privilégié de la société concernée.
C'est raconté avec beaucoup de simplicité et de clarté, mais non sans subtilité ni humanité. de plus, quelles que soient sa religion, ou son absence de religion, le lecteur ne peut qu'être touché par la sincérité et la profondeur de la foi du rabbin et de son épouse, ainsi que par leur candeur devant la vie et ses laideurs. le lecteur suit aussi et surtout l'évolution morale et spirituelle de leur fils qui est donc le narrateur, depuis son enfance jusqu'à la fin de son adolescence, exposée avec une grande fraîcheur par un auteur qui a l'art de s'attacher la complicité du lecteur et de lui faire en quelque sorte la courte échelle à partir du terreau de ses origines pour lui permettre d'entrevoir l'universel.
Avec ce récit essentiellement autobiographique en yiddish publié en 1962, nous suivons l'enfance et la genèse de ce grand écrivain, prix Nobel de littérature en 1978. À recommander à tout lecteur à la fois exigeant et curieux.
Traduction Marie-Pierre May
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