Témoin d'une fusillade dans un collège, Charlie est choquée. de terribles souvenirs resurgissent. le jour où sa mère a été assassinée en lieu et place de son père, avocat détesté pour les libérations obtenues de personnes peu reluisantes. le jour où sa soeur a été enterrée vivante. le jour où elle...
Trente ans. Trente ans ont passé mais la boîte hermétique qui abrite ses douloureuses résurgences se fissure. Sa famille est de nouveau une cible mais s'en remettra-t-elle une nouvelle fois?
Quel plaisir de retrouver
Karin Slaughter, auteur que j'adore et qui me déçoit rarement, dans ce one-shot sombre et perturbant!
Il y a l'élément déclencheur qui renvoie violemment Charlie dans le passé: une fusillade, deux morts dont une petite fille de huit ans, et une coupable toute désignée. Et c'est le balai des médias-vautours, des flics en colère, des avocats aux dents longues. Et cette toute frêle jeune fille au QI faible, malléable et influençable au possible, Kelly, qui se retrouve derrière les barreaux. Rusty, le père de Charlie, est tout désigné pour la représenter, lui qui a si mauvaise réputation, à défendre les indéfendables.
Au travers de cette enquête et de celle plus ancienne du drame subi par Charlie et sa famille, l'auteur dresse le portrait du métier d'avocat, de sa fonction, certes, de son mode de fonctionnement, assurément, mais surtout de sa conscience et de sa motivation. Apprendre des textes de Loi, maîtriser le jargon juridique, savoir quelles règles appliquer à telle situation, connaître les ficelles pour en contourner d'autres, c'est une chose, ardue, difficile et parfois rébarbative. Mais se retrouver face à l'humain, victime ou accusé, c'en est une autre et le face à face psychologique ne figure dans aucun texte de Loi, n'est codifié nulle part.
Avec le portrait de Rusty, l'auteur analyse finement cette conscience au fil des pages. L'homme est truculent, fonceur, gouailleur, il a l'air de se moquer de sa réputation comme de la nature profonde des individus qu'il défend. Somme toute assez antipathique, a fortiori lorsque ses absences répétées en qualité de père et d'époux tissent une apparence de froideur, de distance et d'indifférence. Mais progressivement, les couleurs changent. Si le lecteur n'est pas loin, au départ, de se joindre à ses détracteurs taguant de doux mots sur la façade de sa maison, à la fin du roman, un mot prévaut: respect. Mais là, je me tais, à vous de découvrir pourquoi!
Si l'enquête sur la fusillade est présente et permet d'aborder certains sujets comme la profession d'avocat, de la position de chacun prise en faveur de la peine de mort ou du pardon, le personnage de Kelly nous questionne sur l'existence de ces personnes aux faibles facultés intellectuelles, aux cibles idéales qu'elles représentant malgré elles, aux dangers auxquels elles s'exposent par naïveté quand elles ne sont pas encadrées et aux pièges dans lesquels elles tombent quand les rencontres sont mauvaises.
J'ai eu de la peine pour cette jeune fille qui se retrouve accusée de meurtre alors qu'elle n'est que douceur et gentillesse, à l'ostracisation et aux abus de faiblesse dont elle a été la cible toute sa vie. Une jeune fille qui ne possède pas les armes psychologiques pour se défendre et qu'on aide bien moins souvent qu'on ne l'écarte.
A contrario, un portrait totalement opposé amène à la même conclusion que certains êtres ne trouvent pas leur place dans une société stéréotypée. C'est celui de la mère de Charlie et Sam, Gamma, une femme intelligente, brillante, au QI élevé, ayant soif de savoir et de connaissances, à l'esprit cartésien. Elle a le cerveau très bien fait et pourtant s'intégrer dans la société lui demande des efforts monumentaux. Mention spéciale à la scène du trajet en voiture avec une Charlotte hurlant de douleur avec une fracture ouverte et Gamma pensant l'apaiser en lui détaillant les détails anatomiques de son bras! Humour douloureux s'il en est!
J'ai beaucoup apprécié les joutes verbales entre Rusty, Lenore, Charlie et Sam: entre réflexions caustiques et piques bien acérées, où commence l'affection, où naît la colère et la rancoeur et où se termine l' humour. Ces dialogues allègent la gravité des drames abordés.
Et j'ai gardé le meilleur pour la fin, les personnages de Charlie et Sam. Toutes deux se sont éloignées, ont géré leurs traumatismes de manière différente et au fil des pages, on s'attache à ses femmes si différentes et pourtant unies dans la tragédie.
On loue le courage de Sam, aux prises avec une convalescence difficile et longue, quand le moindre geste a demandé à être ré-appris et que les douleurs rythment chaque seconde de son quotidien.
On s'agace de l'auto-destruction de Charlie qui a vu ses blessures physiques ne laisser aucune trace apparente mais qui sous-estime les cicatrices intérieures et psychologiques.
Et peu à peu, on comprend, on s'horrifie devant les révélations et l'atrocité des dommages causés, on s'interroge. Elles sont attachantes chacune à leur manière, on voit le portrait craché du père dans l'une, l'héritage maternelle dans l'autre.
Mais même trente ans après, les chemins peuvent se croiser à nouveau et se fondre...
Une fille modèle est un roman riche et passionnant. Je ne dirais pas que c'est le meilleur roman de
Karin Slaughter mais elle est diablement en forme, pour mon plus grand bonheur de lectrice!
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