Merci aux éditions Steinkis de m'avoir permis de découvrir un auteur de BD grec, et pas n'importe lequel puisque Soloup a écrit un doctorat sur la BD de son pays.
Ce roman graphique, ou plutôt ce recueil de nouvelles graphiques, est bâti autour d'un épisode peu connu des années 1920, le déplacement de populations grecques et turques dans le mer Egée et en Asie mineure, suite à des conflits. Ce déplacement avait commencé une vingtaine d'années plus tôt, lors du soulèvement de la Crète contre l'Empire ottoman, mais il atteint son niveau maximum suite au traité de Lausanne. « Un traité d'une dizaine de pages a ainsi redessiné une région stratégique du monde et décidé du déracinement de deux millions de personnes. » Cette histoire dramatique a été vécue par une partie de la famille de Soloup, et il me semble qu'on peut assez facilement l'identifier au narrateur.
D'une rive à l'autre de la Mer Egée, ce sont les mêmes personnes, les mêmes villages, les mêmes histoires, les deux côtés d'un miroir que personne ne songe à traverser. En face de Mytilène, la patrie de coeur que le narrateur a trouvée, il y a
Aïvali et il décide d'y aller. Sur ce trajet de la Grèce à la Turquie, avant qu'il y aille réellement, il nous propose un détour par le passé en nous racontant l'histoire de plusieurs personnes qui ont vécu elles-mêmes ce déracinement. Avec elles, nous découvrons qu'au-delà de la haine collective, il y a souvent des gestes individuels de fraternité et même d'amour.
En revenant au présent et en arrivant à
Aïvali, le narrateur retrouve les souvenirs des Grecs et les ruines de leurs vies. Il rencontre ensuite Mehmet et sa famille, un Turc qui est héritier des mêmes déchirements puisqu'une partie de ses ancêtres a été expulsée de Crète vers 1900. Ensemble, ils relisent l'histoire troublée des relations entre les Grecs et les Turcs. Ils se rendent compte que ce qui les sépare peut aussi les réunir, eux, les petits-enfants du traité de Lausanne. L'avenir des deux pays est dans la réconciliation comme entre le narrateur et Mehmet ou entre Soloup et l'écrivain-libraire turc Ahmet Yorulmaz.
Le style du dessin est assez varié, reprenant les aspects byzantinisants de Fotis Kontoglou ou « le Cri » de Munch. L'insertion de véritables photos en noir-blanc, dont celles des quatre grands-parents du narrateur, nous rend proches ces vies brisées. Nous ne sommes pas que dans de la fiction, mais dans des récits de vie bien réels.