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4,12

sur 1312 notes
Jón Kalman Stefánsson est un auteur islandais que j'ai découvert il y a quelques années avec « D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds ». Mais malheureusement, cette rencontre a été un rendez-vous manqué, je n'ai pas réussi à entrer dans le récit et je l'ai abandonné au bout de quelques pages seulement.

Après plusieurs critiques élogieuses de « Entre ciel et Terre », en particulier celles de HordeDuContrevent et Pancrace que je vous invite à lire, j'ai voulu retenter une nouvelle rencontre, et je dois dire que cette fois-ci, la magie a opéré dès les premières lignes.
Que dire de ce récit qui m'a accompagnée pendant ces quelques jours ? C'est beau, subtil, sombre, profond.

*
Ce titre, magnifique, intemporel, introspectif, évoque ce qu'il y a entre ces deux immensités, le ciel de plomb et la terre noire : des forces contraires qui s'opposent et s'harmonisent en un jeu de contrastes de sons, d'odeurs, de couleurs tranchées, d'éclairage, de sensations.
Montagnes et mer, vent et glace, lumière et obscurité.
L'horizon et le vide, le sac et le ressac, le flux et le reflux.
La vie et la mort, le bien et le mal, le paradis et l'enfer.
Le calme et la tempête, le bruit et le silence, l'amour et le deuil, la poésie et la tragédie.

« La mer est d'un bleu froid et jamais calme, un monstre gigantesque qui inspire, nous porte la plupart du temps, mais parfois se dérobe et alors, nous sombrons : l'histoire de l'homme n'est pas si complexe que cela. »

*
« Entre ciel et terre », le premier livre d'une trilogie, se déroule en Islande, à la fin du XIXe siècle, dans une petite communauté de pêcheurs.
Entre prose et poésie, l'auteur rend compte de l'atmosphère austère et silencieuse de ces lieux perdus dans les fjords, des croyances de l'époque, de la vie épuisante et risquée de ces hommes, de leur loyauté, de leur courage, de leur ténacité malgré leur impuissance face à une mer si peu fiable.

« S'éloigner de la côte peut être douloureux, on a l'impression d'avancer vers la solitude. »

Nous suivons deux hommes, un jeune garçon qui n'a pas de nom et Bárður, amoureux de poésie. Les deux amis s'engagent sur un bateau de pêcheurs pour subvenir à leurs besoins. Bravant l'océan et ses dangers, ils s'élancent sur des "cercueils ouverts ", affrontant la mer d'Islande pour pêcher la morue.
Et puis le drame survient lorsque, par une journée de mars, la tempête, monstrueuse, terrifiante, destructrice, se lève et frappe le canot de toute sa puissance meurtrière.
C'est bien connu que la mer donne et reprend.

« … les vagues enflent autour d'eux, la terre a depuis longtemps disparu, de même que la ligne d'horizon, il n'existe plus rien au monde que ces six hommes sur une coquille de noix, occupés à tirer des profondeurs glacées des poissons et des rêves. »

*
Jón Kalman Stefánsson décrit avec beaucoup de pudeur et de profondeur, le quotidien de ces hommes et de ces femmes de pêcheurs.

« Les sanglots naissent quand les mots ne sont plus que des pierres inutiles. »

Petit à petit, on apprend à connaître quelques pêcheurs et leurs proches. Ballottés dans cet univers âpre et brutal qui parfois se déchaîne, on ressent leur désespoir, leurs sentiments d'isolement, leur peur d'affronter la mer, leur courage, leur inconscience parfois dictée par la nécessité de survivre. Mais ce récit sombre est aussi illuminé par des trouées de lumière dans le ciel d'ardoise qui rendent la vie moins terne et monotone.

« Il est peu de choses aussi belles que la mer par une magnifique journée ou par une nuit limpide, quand elle rêve et que le clair de lune est la somme de ses rêves. Pourtant, la mer n'a nulle beauté et nous la haïssons plus que tout quand elle élève ses vagues à des dizaines de mètres au-dessus de la barque, au moment où la déferlante la submerge et nous noie comme de misérables chiots, peu importe à quel point nous agitons nos bras, implorons Dieu et Jésus-Christ, elle nous noie comme de misérables chiots. »

*
Quelques beaux personnages émergent de ce décor où la mer est souveraine.
On ne peut qu'apprécier ce jeune garçon tout juste sorti de l'adolescence, déjà meurtri par toutes les pertes qu'il a subies dans sa courte vie. Sans nom, il nous reste plus ou moins inconnu, mais déjà on s'attache à lui, percevant sa solidité sous sa fragilité apparente.
J'ai également aimé Bárður qui puise sa force tranquille et sa détermination dans l'amour de la littérature, des livres et de la poésie. Les mots deviennent alors des balises qui l'aident à traverser les moments difficiles, à apaiser ses angoisses, à reconsidérer le monde qui l'entoure et tourner son regard vers un horizon ensoleillé.

« Les rêves nous libèrent parfois des amarres de la vie. »

Mais, le reflux des vagues nous amène d'autres histoires qui prennent le pas sur celles des deux personnages principaux : les voix de Guðrún, Guðjón, GeirÞrúður, Brynjólfur, Ragnheiður, Þorvaldur, … sont comme des lignes de pêche jetés à l'eau. Elles se mêlent et s'entremêlent : amitiés, amours, deuil, regrets, combats, espoir, rêves.
De toutes ces vies solitaires et humbles, se dégage une profonde humanité qui m'a touchée.

« le coeur est un muscle qui pompe le sang, il est le domaine de la souffrance, de la solitude, de la joie, il est le seul muscle capable de nous ôter le sommeil. »

*
L'Islande… extrême, contrastée, majestueuse, féérique, une destination qui me fait rêver. Des paysages à couper le souffle.
Mes mots, seuls, ne suffiront pas à exprimer mes émotions de lectrice à la lecture de ce texte poétique teintée de perfection et de rudesse. J'ai voyagé au milieu des embruns, j'ai été ballotté par la puissance dévastatrice des vagues, j'ai rencontré des hommes courageux et fiers, j'ai rêvé, j'ai espéré, j'ai cru.

La plume de Jón Kalman Stefánsson, poétique, métaphorique, apaisante et enivrante est comme une caresse. L'auteur a su capturer le mystère insaisissable de ces paysages aux multiples visages : la beauté changeante et insondable de la mer, les variations de lumière, l'éclat sauvage des paysages accidentés, le spectacle majestueux de ces montagnes noires comme le charbon, écorchées, qui plongent dans la mer.

« … dehors la pénombre de la nuit les attend, qui monte du fond de la mer jusqu'au ciel où elle allume les étoiles. La mer respire lourdement, elle est sombre et muette, et quand elle se tait, chaque chose fait silence, jusqu'à la montagne en surplomb où le blanc et le noir alternent. »

Mais ces descriptions font aussi appel à d'autres sens, car on ressent pleinement l'odeur iodée du large, le hurlement du vent, l'humidité glacée de la brume, le froid mordant de la tempête.

*
L'écriture magnifique de l'auteur enveloppe le lecteur d'une douceur infinie que chacun s'appropriera à sa façon.
Si l'auteur réussit à merveille à nous plonger dans ce décor clair-obscur où la mer occupe une position centrale, le destin des hommes émerge délicatement des flots, étayés par des digressions philosophiques.

« La mer vient inonder les rêves de ceux qui sommeillent au large, leur conscience s'emplit de poissons et de camarades qui les saluent tristement avec des nageoires en guise de mains. »

Au-delà de cet amour inconditionnel pour la mer, l'auteur nous fait ressentir toute l'étendue des émotions humaines.
Le silence des hommes n'en cache pas moins leurs peurs face à la violence de la nature, leur envie de rompre avec la solitude et de trouver une amitié profonde, l'amour.

"Rien n'est doux pour moi, sans toi."

*
Pour conclure, « Entre le ciel et la terre » est un roman contemplatif qui se lit davantage pour la beauté de la langue plutôt que pour l'intrigue. J'ai été captivée par l'écriture poétique de Jón Kalman Stefánsson dans laquelle prédomine la mer, miroir des émotions humaines. D'une beauté bouleversante, il nous convie à explorer le monde intérieur de ses personnages.
Ce roman sur la perte d'un être cher et le deuil est également un apprentissage de vie, une expérience qui n'épargne personne.
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Entre vie et mort,
Entre rêve et désespoir,
Entre amour et amitié,
Entre poésie et réalité,
Entre ciel et terre
Il y a l'horizon comme prison et le froid comme poison.
Entre dans l'enfer gelé de Jon Kalman Stefansson et découvre la loyauté et l'héroïsme malmenés par l'abîme glacé de la mer d'acier et les inquiétantes montagnes qui écorchent le gris du ciel.
« Les montagnes ne font pas partie du paysage, elles sont le paysage. »
Les êtres chers ne font pas partie de ta vie, ils sont ta vie.
Quand Bárður meurt, le « gamin » sera prêt à donner la sienne pour rendre le livre de poésie que son ami a emprunté.
Démarche puérile et magistrale, poétique et incontournable, périlleuse et apaisante.
Chemin d'existence où il est plus facile de mourir que de vivre.
Atmosphère de vies austères où même la joie est grave et les sourires pétrifiés.
Lieux hostiles aux personnages rêches et tenaces habitant des villages sévères où le coeur réchauffe autant que la bière.
Stefansson hisse son récit à un niveau poétique tel que tous les drames exposés s'en trouvent auréolés de pureté et nimbés de délicatesse.
J'ai tellement aimé ses phrases imagées que je m'y suis noyé.
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Stefansson ne connaît sans doute pas Valéry Larbaud qui parlait de la lecture comme d'un « vice impuni ». Ici, en Islande, lire est puni car lire tue: survivre est une lutte qui ne permet aucune distraction. Une vareuse oubliée, c'est la mort. Encore plus extraordinaire que du Hugo, le combat que mènent les pêcheurs pour arracher leur nourriture à la mer coupe le souffle et glace le coeur.
La mer prend les hommes et les nourrit: cette ambivalence est aussi celle des livres, qui font vivre autant qu'ils tuent et qui, s'ils n'enseignent rien, rendent le monde plus humain. Bardur est mort d'avoir voulu relire les vers du « Paradis perdu ». À quoi bon les retenir, puisque l'épopée de Milton lui a fait oublier ses réflexes de pêcheur? À quoi bon puisque ce poète veut nous apprendre à respecter un Dieu qui, selon Stefansson, n'existe pas? (« abandonné de tous, sauf de Dieu et Dieu n'existe pas »). Mais les livres transforment la vie en destin et les histoires en mythes: le gamin, désespéré par la mort de son ami va connaître les affres de l'émancipation. Fuyant les lois des pêcheurs et précipité dans le monde, le gamin, nouvel Adam, vit la Genèse à l'envers: tenté de délaisser le fruit de la connaissance au profit de la mort, il sera sauvé de cette tentation par les femmes.
Comme beaucoup, j'ai eu du mal avec la deuxième partie de ce livre qui rompt avec l'épopée et l'envoûtement qu'elle procure. Mais c'est aussi tout l'art de la littérature de savoir conter la désillusion, le deuil et le manque.
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Le gamin avait un ami, Baldur, pêcheur comme lui.
Baldur aimait les mots lorsqu'ils devenaient poèmes. « Certains poèmes nous conduisent en des lieux que nuls mots n'atteignent, nulle pensée, ils vous guident jusqu'à l'essence même, la vie s'immobilise l'espace d'un instant et devient belle, limpide de regrets ou de bonheur. »
Le gamin aimait les poèmes à travers son ami jusqu'à ce que la mort s'empare de Baldur.
Lire un poème avant de monter sur une barque à six rames en oubliant sa vareuse ne pardonne pas.
Laissant le corps de son ami aux soins des pêcheurs, le gamin part dans une sorte de voyage initiatique avec pour but premier de rendre le livre de poèmes à son propriétaire. Ensuite il décidera de continuer à vivre ou de se diriger vers la falaise des suicidés.

Un périple fait de questionnements mais aussi de belles rencontres.
Ce roman est véritablement hypnotique. La langue est extrêmement poétique, les paysages islandais sont magnifiés, on ressent la force des éléments, le vent, le froid, mais aussi la peur et la solitude face à une nature aussi grandiose qu'hostile.


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Jon Kalman Stefansson est sans hésitation l'un de mes auteurs contemporains préférés. Est-ce d'avoir croisé sa route un 16 novembre 2015 dans le cadre d'une rencontre chez Babelio? Sans doute mais pas que...
Entre ciel et terre est son premier roman, le premier volet d'une trilogie. L'Islande, le froid, la neige, les montagnes, le fjord et la mer cette amie/ennemie. Celle qui donne de quoi vivre mais qui happe l'homme à la moindre occasion.
Pourquoi Baldur? Pourquoi lui ? A t'il été puni d'avoir trop aimé lire et trop aimé la poésie? Pourquoi? Et le gamin pourquoi, pour qui ,doit il continuer à tracer son chemin?
Une splendide histoire d'hommes, de femmes dans ce pays âpre et dur.Une splendide histoire d'amitié.
Et bien sur une splendide écriture! La traduction d'Eric Boury conserve au texte sa fluidité, sa sonorité, sa beauté intrinsèque, merci à lui. Combien de fois me suis je retrouvée à lire et relire certains passages rien que pour la beauté du verbe!..
Allez je vous laisse et m'en vais aller fouiner dans ma PAL , j'ai rendez-vous avec le gamin et c'est devenu une priorité.
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Un roman MAGNIFIQUE plein de poésie, l'auteur (et le traducteur) écrit et décrit parfaitement, il nous fait ressentir les choses plus qu'il ne les décrit.
L'histoire est simple veut rendre un livre (le paradis perdu de Milton) à son propriétaire un vieux capitaine aveugle.
Au dela de l'histoire il y a une recherche du sens de la vie, de l'engagement et la POESIE est présente à chque page dans chaque mot.
J'ai vraiment beaucoup aimé et je me demande pourquoi je n'ai mis que 4*
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Quelque part au Nord, entre ciel et terre, une île.
Des falaises abruptes sous un vent glacial, des roches volcaniques cernées de flots capricieux : voilà l'Islande.

Et pour nous raconter l'Islande, qui de mieux que Jón Kalman Stefánsson ?
Qui d'autre pour tout nous dire de cette terre sauvage et inhospitalière, pour nous soumettre alternativement au froid polaire des bourrasques et au feu ardent qui brûle dans le coeur des hommes, qui pour nous plonger dans cette lumière unique, "capable de te transpercer et de te changer en poète" ?

Une fois encore, le génial conteur islandais nous propose là un trés beau roman, soigneusement concocté sur la base de ses ingrédients fétiches (et largement éprouvés !) : beauté des paysages et finesse des descriptions, personnages à la fois farouches et sensibles, pétris d'espoirs et de rêves contrariés, introspections puissantes et très imagées, réflexions sur la mort et le sens de la vie... Divin mélange s'il en est, et teneur en poésie 100% garantie !
Pas de véritable surprise, donc, pour qui connaît un peu le bonhomme, mais un plaisir de lecture intact et toujours renouvelé !

Cette fois l'auteur nous transporte au début du siècle dernier. Il commence dans la première moitié du texte par nous faire partager le quotidien de six valeureux pêcheurs de morues, liés par une indéfectible camaraderie et habitués aux conditions extrêmes des périlleuses sorties en mer. Bien sûr Stefánsson sait y faire, et immédiatement le lecteur se trouve lui aussi embarqué sur leur frêle esquif, cramponné au banc de nage face aux embruns glacés.
Il est ainsi aux premières loges, transi avec eux, quand survient le drame. Pour s'être laissé prendre par la beauté d'un poème de Milton, tiré d'un ouvrage qu'on lui avait prêté et qu'il a souhaité relire encore au matin de l'expédition, le vaillant Bárður a laissé sa vareuse au dortoir. Funeste oubli sous ces latitudes ! Bárður n'a pas survécu, il est mort de froid, mort d'avoir laissé sa passion des mots prendre le pas sur sa rigueur de matelot.
Son jeune et brave compagnon, dit "le gamin", ne s'en remettra pas. Tournant le dos à la mer, il prend la route pour rapporter le fameux recueil de poésie à son propriétaire, un vieux capitaine devenu aveugle, et la seconde partie du roman est le récit de son voyage. Aux magnifiques peintures des panoramas rencontrés, Stefánsson ajoute avec beaucoup d'à-propos des portraits de marins, de villageois - ici un commerçant, là un pasteur ou un notable local - et de quelques fantômes aussi...
C'est donc toute la vie d'une petite communauté insulaire qui se dessine sous nos yeux, avec ses drames, ses passions et ses mythes, et toujours en filigrane le souvenir des pêcheurs disparus, eux qui "pleurent comme pleurent les noyés" (n'est-ce pas d'ailleurs pour ça que la mer est salée ? s'interroge le poète).

Entre ciel et terre est donc une méditation d'une grande délicatesse sur le deuil et la renaissance, sur le pouvoir des mots et sur l'amitié (ou peut-être l'amour ?) par delà la mort.
Une bien belle entrée en matière pour la suite de la trilogie ... mais n'allons pas trop vite en besogne, et savourons comme il le mérite ce premier volet très réussi.
Si vraiment "le silence qui s'installe au terme d'une longue histoire nous apprend si elle a atteint son but ou si elle a été racontée pour rien", alors trêve de blabla et que Stefánsson se rassure : avec ce premier tome, le but est plus qu'atteint.
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A proximité du cercle polaire, à l'extrême limite du monde, dans une cabane de pêcheurs, est étendu Bardur. Son corps est froid, ses yeux sont vides, et le gamin le pleure. L'hiver, la mer, la tempête ont eu raison de cet homme passionné de livres et de poésie. le gamin ne sait plus quel sens donner à sa vie, ni où est sa place… Avec le souvenir de son ami pour seule chaleur, il se rend au village et décidera alors de son avenir…

Cette première rencontre avec l'univers de Jon Kalman Stefansson a été pour moi assez réussie. Je me suis laissée porter par son écriture poétique, imagée, sensorielle.

Entre terre et ciel donne la parole à un jeune garçon, que la mort a frappé bien trop souvent déjà. Alors qu'il a perdu ses parents et sa soeur, il forme un binôme lumineux avec Bardur, un gaillard solide et courageux. Ils sont ensemble sur les routes, au fond d'une barque de pêcheurs ou tête bêche sur le matelas d'une cabane. On ressent toute l'amitié, l'admiration et la tendresse qu'ils éprouvent l'un pour l'autre.

La mer assure leur subsistance, c'est elle qui les nourrit. Mais c'est de mots, de poésie, d'histoires, qu'ils vivent. Ce sont les livres, empruntés au village, qui leur donnent la force de combatte les conditions difficiles qui bercent cette partie oubliée du monde.

La langue et la mélodie de l'auteur forment comme une ritournelle qui nous berce doucement. C'est bien au chaud, au coeur de cette histoire, que nous fabriquons à notre tour, le souvenir des mots qui font de nous les lecteurs que nous sommes…

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Précision : l'orthographe des noms et des lieux n'est pas celle du livre, mais je n'ai pas les caractères nécessaires pour les transcrire exactement.
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Pour s'être mis en tête de retenir quelques vers du Paradis perdu de Milton, le pêcheur Bardur a oublié sa vareuse. En pleine mer, par un matin de tempête glaciale, cet oubli est fatal et Bardur meurt de froid sous le banc de la barque de pêche. « Un homme sans vareuse se retrouve ruisselant en un temps infime, le froid s'empare de lui comme un étau et ne le lâche plus, en tout cas, pas ici, en pleine mer. » (p. 92) Cette tragique disparition bouleverse le gamin, jeune pêcheur de 20 ans, indéfectiblement lié à Bardur. le gamin décide de rapporter le livre maudit à son propriétaire, un vieux capitaine aveugle. Pendant sa marche dans la neige, il se résout à mourir une fois sa mission accomplie, afin de retrouver son ami, mais aussi tous les êtres chers qui ont déjà dépeuplé son existence. Arrivé au terme de son périple, il rencontre le capitaine Kolbeinn, Helga et Geirbrudur qui forment une étrange trinité. « Il a rendu le livre, mission accomplie, merci bien, la prochaine affaire à l'ordre du jour consiste à décider s'il doit vivre ou mourir. » (p. 171) Alors que tous ses chers disparus semblent l'appeler depuis l'au-delà, le gamin ne sait pas s'il doit faire honneur à Bardur en mourant ou en vivant.

Le gamin est un personnage très touchant, notamment par le sentiment qu'il a de toujours être ridicule. Je le rejoins parfaitement en cela. « Il dit bien souvent de grosses bêtises qui le mettent dans l'embarras ou éveillent sur lui un intérêt inutile, ce qui revient presque au même que de s'attirer les problèmes. » (p. 239) Ah, cette envie constante de disparaître aux yeux du monde… le gamin garde à l'esprit les lettres de sa mère qui lui parlait de son père, de ses frères et de sa petite soeur. Cette correspondance est le fondement de sa littérature intime. À celle-ci s'ajoute désormais la poésie de Milton qui a coûté la vie de son ami. On s'interroge alors sur le pouvoir des mots. « Lire des poèmes vous met en danger de mort. » (p. 103) C'est vrai pour Bardur, mais pas pour le vieux capitaine aveugle. Ce qui l'a sauvé du suicide, c'est de savoir qu'il y avait encore des mots à découvrir et à partager.

Ce roman est une belle peinture de l'Islande. La pêche à la morue est emblématique des pays nordiques. « La plupart des villages d'Islande ont été construits sur les arêtes de morue, lesquelles sont les piliers qui soutiennent la voûte des rêves. » (p. 81) Si on en doutait, on constate que l'Islande est le pays du froid, que ce soir sur terre ou sur mer. La neige, la glace et le vent sont autant d'éléments éternels et immuables de ce pays : ils semblent défier les vivants et se moquent bien des pêcheurs engloutis dans les profondeurs gelées de la mer. Je m'interroge d'ailleurs sur le titre : quid de la mer qui est tout de même un élément essentiel au noeud de l'intrigue ? Certes, le gamin s'en éloigne après la mort de son ami, mais sans elle, il n'y aurait pas eu de drame.

Voici enfin le point négatif de ce roman : pour moi, l'oubli de la vareuse est totalement improbable. Certes, Bardur était tout à sa poésie, mais il faisait glacial avant même qu'il monte dans la barque. En outre, comment ses camarades, et surtout le gamin si occupé de son ami, ont-ils pu ignorer que Bardur avait oublié sa vareuse ? Enfin, la barque attend un moment à l'arrêt le signal du départ : Bardur a forcément eu froid et je ne comprends pas comment il peut attendre la haute mer pour prendre conscience de son oubli. Mais peut-être est-ce moi qui projette mon confort de frileuse sur cet homme rude, habitué à une vie rugueuse. Toutefois, il me semble que le roman se fonde sur une invraisemblance qui rend peu crédible le drame.

L'amitié entre le gamin et Bardur est palpable et très émouvante. Il s'agit donc d'un beau roman, bien construit, hormis la réserve que j'ai évoquée. Certaines descriptions manquent un peu d'âme, mais on se laisse facilement emporter par cette histoire de mer et de deuil.
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En Islande, au XIXe siècle, des pêcheurs affrontent quotidiennement la mer, les vents déchaînes et le froid pour aller chercher la morue qui les fera vivre... ou mourir : la mer est cruelle et impitoyable...
Mais même les pêcheurs peuvent aimer les mots, la lecture et la poésie et c'est ce qui perdra Bardur qui a oublié sa vareuse en essayant de retenir des vers de "Paradis Perdus".
Un récit sombre et beau qui interroge sur la vie, le pourquoi de la vie, sa brièveté, ses aléas et sa fragilité, sur l'amitié, sur les gens que nous aimons et qu'il nous faut chérir tant qu'il est encore temps ; une quête métaphysique écrite et traduite de façon magistrale et poétique, tendre et envoûtante.
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