Le monde changeait ; les valeurs et les idéaux aussi. La célébrité et la publicité : voilà ce qui rapportait des clients au cabinet dans lequel elle travaillait. Et les honoraires élevés faisaient le bonheur de ses associés. Meg était ainsi devenue le sauveur des riches délinquants et criminels, la reine du clinquant des salles de tribunal, la proie préférée des journalistes en quête de gros titres, auxquels elle s’était toujours efforcée d’échapper.
A force d’observer les gens autour d’elle – ses relations, ses collègues, et même des étrangers marchant dans la rue, main dans la main –, elle en était venue à s’interroger sur la nature de son véritable problème. Pourquoi était-elle incapable de retomber amoureuse, et en choisissant l’homme idéal, cette fois ? Pourquoi était-elle incapable de trouver un homme à épouser, avec qui avoir des enfants, avec qui partager sa vie ? Elle regardait autour d’elle, et elle s’interrogeait ; peu à peu son isolement volontaire et heureux s’était transformé en une douloureuse solitude. Et aujourd’hui, elle se demandait si toutes ses tentatives pour nouer des relations amoureuses, aussi rares que futiles, n’avaient pas servi qu’à aggraver les choses…
Elle était trop timide pour se faire des amis, tremblant à l’idée qu’ils ne découvrent le terrible secret ; si sa mère n’était pas mariée, si elle était malheureuse, c’était sa faute à elle ! Il n’existait qu’une seule échappatoire ; elle l’avait trouvée dans les livres. Chaque soir, Meg se réfugiait dans sa chambre miteuse et, là, elle lisait, lisait, lisait, jusqu’à ce que les cloches horripilantes, les sifflets et les applaudissements des jeux télévisés que regardait sa mère cessent, jusqu’à ce qu’elle soit certaine que Gladys dormait enfin, certaine qu’on ne parlerait plus, jusqu’au lendemain, de son « foutu père ». Ou qu’on ne parlerait plus du tout, ce qui, d’une certaine façon, était encore pire.
Les abus sexuels devenaient un moyen de défense de plus en plus utilisé dans les procès pour meurtre, et cette dérive écœurait Meg. N’était-ce pas injuste pour tous ceux qui souffraient véritablement de ce fléau ? Dans quelques années, ces systèmes de défense n’auraient plus aucun poids. Les juges, les jurés auraient entendu trop souvent ces arguments. Et alors, conséquence plus terrible que la remise en liberté de coupables, de vrais innocents seraient envoyés en prison. Ainsi fonctionnait le système. Ainsi fonctionnait la justice américaine. Et eux, les avocats de la défense, seraient obligés d’inventer de nouvelles stratégies pour l’emporter face au ministère public.
On n’était jamais trop prudent, de nos jours. Natalie avait au moins raison sur un point ; elle et Michele n’étaient plus innocentes. Aujourd’hui, les adolescentes semblaient passer directement du berceau aux draps de satin. Ou aux canapés de cuir… Alissa priait simplement pour que quelqu’un trouve rapidement un remède contre le sida avant que ce fléau ne frappe l’une ou l’autre de ses filles.