« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd'hui, nous partons au Japon avec
Les délices de Tokyo, de
Durian Sukegawa.
-Bon, alors déjà, ça commence par une contradiction gigantesque.
-Ah bon ? Laquelle ?
-« Délices » et « durian » dans la même phrase. Pardon, mais c'est impossible. le durian, c'est un fruit à l'odeur insoutenable ! J'ai humé ça une fois dans un gâteau au restau, et ben, plus jamais, j'te l'dis tout de go !
-Moui, bon, mais là, c'est le nom de l'auteur, on n'y peut rien !
-Moi je dis que ça sent mauvais.
-*Soupir* Or donc, Sentarô dirige une boutique de dorayaki, de petits gâteaux faits de deux disques de pâte à pancake et fourrés de pâte industrielle de haricots rouges. L'affaire vivote. Un jour, une vieille dame aux doigts abîmés se présente pour confectionner la pâte de haricots.
-Et ?
-Et je n'en dis pas plus.
-Boah, de toute façon, toulmonde l'a lu, toulmonde sait ce qu'il se passe…
-Hé bien, pas moi, là !
La première chose que j'ai remarquée dans ce roman, c'est la façon dont le narrateur enveloppe de mystère les deux personnages principaux…
-Pas vrai. La première chose que tu t'es dite, c'est qu'il n'y a pas de style.
-Quoi ?
-Il n'y a pas de style. Amateurs et amatrices de phrases élégamment ciselées, passez votre chemin.
-Mais pas du tout ! le texte est rédigé avec sobriété, voilà tout.
-« Sobriété », c'est la traduction gentille de « il n'y a pas de travail sur les tournures et la forme des phrases ».
-Je ne suis pas d'accord. Oui, le texte est constitué de phrases simples et apparemment sans fioritures. Non, cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de travail : au contraire, pour atteindre ce résultat épuré, il faut consciencieusement tailler et retrancher tout ce qui alourdirait la prose.
Cela paraît simple. Cela ne l'est pas.
Et cette technique d'écriture possède un atout incontestable : les rares figures rhétoriques, quand elles sont repérées, décuplent leurs effets.
-Moi, je trouve que cette technique possède un inconvénient incontestable : rien ne m'accroche durablement.
-Bref, j'ai bien aimé la symétrie entre les deux personnages, Sentarô et Tokue. Tous les deux possèdent un Terrible Secret, tous les deux sont isolés, bien que pour des raisons différentes, et la toile de fond m'a rappelé l'un des passages les plus poignants de Princesse Mononoké, ainsi que l'exclusion que subissaient les victimes des bombes atomiques.
Ensuite, j'ai adoré les détails de la confection de la pâte. L'amour du geste parfait, pour obtenir le meilleur résultat possible, le temps que l'on prend, le soin, la méticulosité… en un mot, la passion pour la gourmandise m'a fait rêver.
-Et saliver.
-Oui, auchi *chomp chomp*
-Mais tu manges, là ?! Tu le sors d'où, ce dorayaki ?
-D'une pâticherie japonaije. Ch'est bon, bien que (avale) déconcertant au début pour mon palais occidental.
L'autre réussite de ce livre tient dans l'ambiance. Nous sommes à Tokyo d'après le titre, mais un Tokyo dont nous ne voyons pas les tours ni les carrefours bondés. le cerisier marque le rythme des saisons, sa beauté est maintes fois évoquée. Il en résulte une atmosphère douce et paisible, qui contraste avec le désarroi de Sentarô. Les émotions des personnages ont beau n'être pas toutes positives, elles sont toujours tempérées par la douceur tranquille du texte.
Je crois que c'est cela que je retiendrai des Délices de Tokyo : la douceur, la compassion… l'amour du travail bien fait, aussi.
Je regrette cependant une conclusion trop… abrupte, dirons-nous.
-Et pourquoi c'est déconcertant, le dorayaki ?
-Parce que… comment dire ? le sucré japonais ne ressemble à rien de ce que je connais. En goût, je le trouve beaucoup moins puissant : ni gras comme une crème, ni acidulé comme un fruit, ni amer comme le chocolat. Si tu n'aimes pas, l'adjectif qui lui conviendrait serait « douceâtre ».
-C'est pas bon, alors ?
-Chi. *chomp chomp* Ch'adore (avale) Mais ce n'est pas un goût évident, on n'en a pas l'habitude. »