Ma lecture de "
Dans le noir", roman de l'autrice serbe Svetlana Velmar-Janković que je découvre avec ce titre, a été, malgré sa passionnante thématique, rendue poussive par une écriture que j'ai trouvée bavarde, et un procédé narratif qui m'a laissé perplexe...
Début des années 1980.
La narratrice, Milica Pavlović, une bourgeoise octogénaire, revient sur une période de sa vie, concomitante avec l'occupation allemande de la Yougoslavie pendant laquelle la Serbie fut dirigée par un gouvernement fantoche et collaborationniste, puis avec la prise de pouvoir par les communistes.
Son mari, le Professeur Pavlović, éminent critique et historien d'art est alors arrêté et ses biens confisqués par des représentants du nouveau pouvoir, en l'occurrence l'ex-concierge de leur immeuble, l'épicier de leur quartier et Zora, la jeune femme qu'en prenant à leur service, son époux avait sauvée du camp de concentration croate de Jasenovac -où des juifs furent exterminés dès 1941. C'est son rôle de conseiller ministériel au sein du gouvernement collaborationniste qui lui vaut ce traitement. La narratrice elle-même n'avait pas compris son choix, et en était restée cloîtrée, de honte, dans leur grand appartement. de quoi accentuer l'éloignement qui plombait déjà le couple, malgré les justifications du Professeur face à l'intransigeance offensée de sa femme. Car ce n'est pas en accord avec ses convictions qu'il a agi, mais par pragmatisme, avec l'intention d'oeuvrer, avec ses moyens, tout en côtoyant l'ennemi, préférant alors faire le peu en son pouvoir que d'être réduit à l'impuissance pour avoir refusé tout compromis. Qu'aurait apporté le fait de jouer les vertueux, hormis de conserver sauf un honneur de façade vain, inefficace ? Ce n'est que plus tard que Milica comprendra, quand, sous le communisme, elle devra elle aussi, pour survivre, ravaler ses principes, notamment en traduisant, sous un pseudonyme et pour le compte du pouvoir en place, des oeuvres littéraires. Ironie du sort : son mari a payé le fait d'avoir collaboré au grand jour quant elle a été payée pour collaborer en secret...
Elle transcrit ses "mémoires", comme elle les définit, en tournant inlassablement autour de plusieurs événements qu'elle lie à cette arrestation : la dernière exposition, de son vivant, du peintre serbe Sava Šumanović, (dont elle avait fait connaissance, dans les années trente, lors d'un voyage à Paris), quelques mois avant qu'il soit raflé avec d'autres otages puis assassiné par la police fasciste de Croatie ; sa volonté farouche de récupérer la toile que le même Sava lui avait dédicacée, confisquée en même temps que les biens de son époux, bien que lui appartenant personnellement ; le sauvetage de Pavel Zec, ancien assistant du Professeur Pavlović, résistant sous l'occupation, et que Milica, à la demande de Zora, avait hébergé à l'insu de son mari, le temps qu'il se remette d'une blessure et puisse rejoindre le maquis.
Elle témoigne avec amertume et mélancolie non pas tant de la violence de l'Histoire, que de celle d'hommes qui, au mépris de leurs soi-disant idéaux, se livrent à des jeux de pouvoir et de domination. Confrontée à la malveillance et à la duplicité, consciente de l'extrême rareté des vertueux capables de véritables sacrifices au nom d'une morale humaniste, elle a perdu sa foi en l'humanité.
Enfermée dans les rôles que lui ont imposé les pouvoirs successifs, elle a été victime tantôt de sa condition de femme, tantôt de sa position sociale. La fulgurante ascension du Professeur comme historien et critique d'art, l'a contrainte a cumuler les fonctions de mère, d'épouse et de collaboratrice parfaite, de compagne élégante, et d'interlocutrice charmante... Elle a dû abandonner, à la demande de son mari, constatant son épuisement, son poste d'enseignant où pendant un an et demi, elle a pourtant pu s'épanouir pour elle-même. C'est ensuite son statut de bourgeoise -mais aussi d'épouse d'un ennemi politique- qui a conditionné son existence, la ravalant à une quasi indigence.
Vous devez vous dire que pour un roman que j'ai eu du mal à lire, je suis rudement bavarde... c'est que curieusement, je dois avouer que le choix narratif de Svetlana Velmar-Janković, s'il alourdit le récit et en rend même par moments la lecture pénible, finit par servir le fond, en l'imprimant dans l'esprit du lecteur. L'intrigue suit une chronologie éclatée, mais focalisée sur les mêmes épisodes, dont l'évocation revient en boucle tel un leitmotiv, l'auteur tissant des correspondances, des échos à travers le temps. Mais elle le fait de manière trop démonstrative, son héroïne exprimant régulièrement sa volonté d'abolir les frontières entre époques et souvenirs, comme pour s'assurer que le lecteur ait bien saisi son procédé. Par ailleurs, l'écriture parfois tortueuse, et la propension de la narratrice à se perdre dans des digressions que j'ai par moments trouvé inintéressantes, ont aussi contribué à rendre cette lecture abrupte dans l'ensemble.
Lien :
https://bookin-ingannmic.blo..