On pourrait croire qu'il s'agit là d'un livre de "petite histoire", fait de témoignages de cuisiniers chargés de nourrir quelques-uns des plus féroces tyrans de la planète :
Fidel Castro, Enver Hodja,
Saddam Hussein, Pol Pot, Idi Amin Dada. Pourtant, l'optique de l'ouvrage est assez convaincante : tous ces révolutionnaires n'ont pu venir à leurs fins, à savoir renverser le régime et prendre le pouvoir, sans nourriture. Et il fallait bien que cette nourriture soit préparée par quelqu'un : rares sont les chefs capables de se débrouiller seuls (à part Castro qui réussissait parfaitement les spaghetti). Les tyrannies évoquées ici étaient souvent des autocraties : la charge de nourrir l'individu charismatique qui gouverne tout le monde est donc hautement sensible, hautement politique et d'une extrême importance. Sachant d'autre part que tout est suspendu au caprice d'un seul (comme la survie, par exemple, de la cuisinière particulière de Pol Pot, qui échappa huit fois à la mort), le cuisinier tient entre ses mains la survie de beaucoup, et la sienne propre : il ne faudrait pas que ses plats provoquent la mauvaise humeur du dictateur, sachant les ravages qu'elle peut causer. Ainsi, le journaliste polonais
Witold Szablowski a-t-il eu l'idée de partir à la recherche de ces cuisiniers survivants des dictatures, et insère leurs témoignages dans un récit global et plutôt imagé des régimes, à tous les sens du terme, dans lesquels ils ont vécu. Il en a trouvé cinq, dont les souvenirs permettent de nuancer le jugement sévère que l'histoire porte, à juste titre, sur les tyrans qu'ils ont servi. C'en est parfois embarrassant, puisque le dernier récit émane de la cuisinière de Pol Pot qui continue d'idolâtrer son patron, dans le plus parfait mépris des millions de morts qu'il a causés.