De Légende noire à Légende dorée, il est assez rare de trouver des témoignages objectifs sur les amérindiens, civilisations qui furent en grande partie détruites, cultures assimilées, déformées ou perdues. Aujourd'hui où ils sont cités à toutes les sauces comme premier écologistes, penseur naturaliste et autres idées new-age, il est peut-être temps de se pencher enfin et réellement sur ce qu'ils furent : une civilisation humaine parmi tant d'autres, avec ses qualités et ses défauts.
Ce qui est exactement le propos de se livre, consistant en un témoignage direct d'un blanc devenu indien Ojibway par assimilation. Un témoignage sans artifice, orienté mais qui a le mérite de proposer un point de vue clair et documenté. Certes, ce n'est pas objectif, mais en tout cas ça n'est pas là pour étayer une pensée contemporaine ou un propos politique. L'auteur se contente de relater sa vie, embellissant peut-être les faits, mais ne cherchant pas à en faire une quelconque utilisation.
Et c'est ce qui m'a plu, dans cette lecture : le côté récit réaliste, sans rien de plus que la vie de cet homme. Une vie mouvementée, qui a son intérêt déjà à elle seule, mais qui rajoute en plus toute la partie découverte d'une peuplade et de sa façon de vivre. Je n'avais, comme beaucoup de gens, que peu d'informations et beaucoup de clichés sur les amérindiens. Hors, dans la multitude de peuplade qui les composent, on peut trouver de tout. En l'occurrence, les Ojibways (et un peu les Crows qui sont plusieurs fois mentionnés) vont à l'encontre de beaucoup de principes que je pensais naturels chez eux : la violence, le rapport à la nature ou le cadre familiale. Sans dévoiler tout, ce qui serait trop long, j'ai eu beaucoup de surprises sur la façon de vivre de ces tribus, qui connaissaient la faim de nombreuses années. Ce qui est d'ailleurs le thème quasi central de toute la vie de
John Tanner : la faim, la nourriture, manger. Combien de fois ne dira-t-il pas que ce fut tout ce qui importait ? Combien d'hiver mal nourris ?
Le récit navigue dans une carte qu'on ne connait que très peu, avec de nombreux personnages et plusieurs passages elipsés (volontairement, bien sur).
John Tanner ne se livre pas au complet, mais ce n'est pas le plus important. Ce qui compte, c'est le portrait qu'il dresse de lui-même et de ses pairs. On découvre une vie qui n'existe plus aujourd'hui et qui est bien souvent fantasmé à défaut d'être connu.
Et rien que pour cela, je recommande la lecture. Il y a de nombreuses choses qu'il faut se remettre dans le crâne avant de parler d'autres civilisations comme des modèles, et je déclare bien haut que je ne souhaite pas vivre ce qu'a vécu le narrateur, où une manche de chemise déchirée pouvait devenir motif de meurtre.
On retrouve de nombreuses autre chose qui font réfléchir dans ce roman, comme l'implication de l'alcool dans la société, la place de l'homme blanc ou les guerres indiennes, franco/anglaises et blanc/indien. Au fil de la lecture, de nombreux sujets sont abordés et cela fait plaisir de découvrir tout en même temps. Une parenthèse d'histoire bienvenue qui permet de mieux découvrir et comprendre le monde américain au dix-huitième siècle. Agréable et passionnant tout autant qu'instructif.