Je remercie Babelio et Masse critique documentaire pour l'envoi de ce recueil de quatre- vingt lettres échangées entre 1914 et 1918 entre Victor Tardieu, né à Lyon, en 1870 , dans une famille de soyeux, formé à l'école des beaux - arts de sa ville puis à Paris, dans l'atelier de Léon Bonnat jusqu'en 1894 et son fils Jean , né en 1904 dont le lecteur peut déplorer le nombre très restreint rédigées , seulement deux missives à l'adresse de son père....
En 1901, il épouse la harpiste Caroline Luigini , fille du chef d'orchestre Alexandre Luigini.
Il exerce le métier de peintre , de professionnel de l'art, réalise des portraits , vitraux , cartons et nombre de décorations d'édifices publics .
A 44 ans , au début de la grande guerre , il s'engage pour toute la durée du conflit , au cours de laquelle il accomplira diverses tâches : secrétaire, peintre aux armées :
Cet ouvrage présente d'ailleurs au lecteur, au début , une très belle iconographie stylisée, colorée, de ses réalisations : l'ambulance de Sutherland , quatre vues de Verdun bombardée, les convois, les grandes pièces d'artillerie , la vie des blessés et de leurs infirmières sur le front anglais ....
L'ouvrage dessine quelques - uns des thèmes fondamentaux qui alimentent la correspondance entre Victor et Jean: au delà du conflit : un tableau assez précis et approfondi de la pensée sociale française sous la Troisième République.
L'auteur désirait contribuer ardemment à La Défense de la Patrie et adhère pleinement à « l'utopie de la « der des der » qui animait tous les « poilus ».
Au cours des lettres à son fils , il déplore être relégué à des tâches qu'il juge inutiles, stériles et inacceptables , non par leur humilité mais par leur manque de sens , mais quelle part réservée à un peintre comme lui ?.
« Je m'efforce d'être utile à quelque chose. » ou encore « Je me reprocherai à tous les instants mon inaction » ....dans une lettre non datée de probablement mars 1915 ...
Il sera aussi voiturier, chauffeur, brancardier et responsable du camouflage à la fin de la guerre ...
Il apprendra à taper à la machine ce qui nous vaut de belles pages ironiques à Jean...
« Ces trois années , écrit - il seront marquées d'une tristesse ineffaçable dans ma vie » lors d'une longue lettre le 4 mars 1917 ...
Pour ne pas être trop longue , j'ajouterai que ses lettres commencent toujours par « Mon bon poulet chéri » et se terminent par « mon charmant poulet chéri » que j'embrasse mille et mille fois .
Ton vieux père poilu.
Un père qui se soucie énormément des études de son fils, de ses progrès en latin et grec .
Il l'exhorte constamment surtout dans la dernière partie de redoubler d'efforts à accomplir , de ne pas lâcher ses études « Il faut savoir de quoi on est capable pour ne pas gâcher sa vie . »
Il évoque lors de très belles pages moins ennuyeuses qu'au début , où il évoquait beaucoup sa vie terne , décolorée , plate :les désastres de la guerre : les ruines d'Ypres,, les arbres rasés, , les débris d'arcade, les masses de fonte tombées, impressionnantes, où « dans le ciel rouge du coucher du soleil comme saignant et déchiré , les obus qui ne cessent de traverser dans tous les sens, ces hurlements continuels , les maisons qui restent debout semblent en dentelle, ces clochers éventrés , des entonnoirs de 20 mètres de diamètre , creusés par les obus, des troupes en quantité, un fracas à vous assourdir , l'amoncellement des ruines , la plus horrible
des beautés . »
L'ennemi , le Boche est présenté comme menteur et déloyal brute et voleur ,..les pires scélérats , les petits méchants , ces médiocres de l'humanité ...
Ces lettres sont informatives ,pessimistes, chaleureuses mais incroyablement aimantes et tendres, décrivant avec passion , sous l'oeil exercé du peintre la beauté ineffable de la nature , indifférente malgré le désastre ..
,Jean tardieu , son fils deviendra poète, dramaturge , essayiste et traducteur et publiera ses premiers poèmes dans la NRF , en 1927 .
La première de couverture nous montre une des « pochades » de Victor Tardieu comme il nommait ses peintures .
Un bel ouvrage malgré quelques longueurs fastidieuses ...en milieu d'ouvrage ....
Je pense avoir été trop longue, une fois de plus ...
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« Oui, ce mot de Boche qui me déplaisait tant autrefois , je l’emploie avec plaisir depuis que je sais que ce mot les vexe particulièrement donc, d’un trait de plume, supprimons l’ Allemagne qui ne sera que la Bochie peuplée de Boches, lourds et sots, reconnaissables à leur chair rose, leurs soies pâles ( les poils n’existant que chez les poilus) et leur tête carrée. »
au fil des pages : ... : les défilés de munitions sur les routes, dans la nuit noire, les détachements silencieux d'hommes allant au massacre, la bonne humeur de tous ces braves gens sous le ciel sans cesse illuminé par les éclatements et la canonnade continue...( p.144)
Il y a tous les jours par ici des convois de prisonniers crasseux aux joues maigres et aux yeux bleus qui ont l'air bougrement heureux d'être expédiés sur l'arrière, ceux -là aussi ne s'en font pas.(p.145)
...il fait un temps à ne pas mettre un obus à la rue !(p.150)
Vois-tu mon poulet, il faut t'armer pour la lutte et surtout te préoccuper d'avoir ta place bien marquée parmi ceux qui sont nécessaires, rien ne t'empêchera d'ailleurs de t'occuper de littérature, puisque tu la sens vivement mais il faut aussi s'occuper du côté réel de la vie...(p.152)
Pour moi, l'avenir n'existe pas, je suis continuellement tourné vers le passé et ce n'en est que plus amer, de revivre en son souvenir les jours qui ne sont plus et les joies qu'on ne reverra jamais.(p.192)
La campagne est magnifique et tragique, les arbres blessés tordent dans le ciel des bras amputés à moitié, tout est brûlé, saccagé,tordu... parfois, on voit errer de lamentables habitants qui viennent rechercher l'emplacement de leur demeure...(p.206)
Oui, j'ai eu là encore l'impression ...de la médiocrité de l'humanité dans les pires manifestations de sa méchanceté... l'horrible bataille de Verdun ne changeait rien à la sérénité de la nature dont les grandes lignes, calmes et majestueuses n'étaient pas même effleurées par les pires bombardements.(p.207)