C'est l'heure du classique, un par mois, pour rompre avec la vie trépidante de notre siècle.
Là, c'est la fin du 19ème, quelque part dans l'Est, entre Moscou et la mer d'Azov, la vallée du Don, vous savez non ? le Donetz, ça vous parle plus, ah oui c'est en..., et Kharkov ? Alors là, bien sûr, le Donbass, en..., allez savoir ?
Peu importe pour l'histoire, je veux dire l'histoire racontée ici, par un artiste russe, qui se passe "dans les steppes de l'Asie centrale". Un poème lyrique, ou une suite musicale, écrite en 1888, l'auteur avait 28 ans, une oeuvre de jeunesse.
Vous êtes sûr ? Ce n'était pas plutôt en 1887, juste avant sa mort, que Borodine a composé ce poème symphonique ?
Mais qui vous parle de musique ? Je viens de lire "
La steppe", de
Tchekhov, l'une de ses premières productions.
Ah bon, c'est bizarre cette confusion, ou plutôt cette similitude, même époque, même sujet. J'ai dû mal prendre mes notes, mais je suis de concert avec vous, qu'elle soit écrite ou composée,
la steppe mérite qu'on s'y attarde.
Borodine a utilisé des instruments à vent pour illustrer la lente progression de
la caravane dans cette plaine pleine de vide. Attention, le vide ne veut pas dire l'absence de vie, la faune et la flore sont bien représentées, mais c'est le désert. Il l'a située en Asie centrale sa steppe, déjà à l'époque ça permettait de ne pas raviver les tensions entre Russes et Ukrainiens, la musicalité du vent qui anime cette région se suffit à elle-même. Torpeur, somnolence, à la rigueur ennui, mais certainement pas conflits, combats, guerre. Une monotonie apaisante, relaxante, tout juste réveillée de temps en temps par un orage venu de nulle part.
Vous parlez du poème symphonique ou de la longue nouvelle ?
Pareil vous dis-je ! le mieux, c'est d'embarquer dans la lecture de
Tchekhov en écoutant la musique de Borodine, l'association de ces deux moyens de communication nous emmène directement dans cette contrée magique. Il suffit de se laisser porter par les mots et les notes, et on vit ce lent voyage comme si on y était. Essayez, je vous assure.
L'intro est un peu longue, non ? Allons dans le vif du sujet. Considéré comme l'un des meilleurs novélistes de sa génération, Anton nous transporte dans son monde de précision et de concision. Avec des "mots passant" de descriptions minutieuses du paysage aux rapides dialogues des personnages, il alterne la lenteur et la vitesse pour maintenir l'attention du lecteur. le voyage de quelques jours du jeune Iégorouchka vers le lycée et le monde des adultes est ponctué de scènes où la confrontation des personnages présents le réveillent de cet ennui profond dû à la langueur du paysage.
Un fil rouge maintient l'attention, la chemise de la même couleur portée par le jeune garçon. Une tache écarlate qui éclate dans le mordoré omniprésent de
la steppe infinie. Histoire de bien marquer sa présence qui serait sans doute passée inaperçue s'il avait porté un vêtement plus terne.
L'enfance et sa petitesse, la plaine et son immensité, le présent rassurant au contact de la famille, l'avenir incertain vers un monde inconnu. C'est tout l'enjeu de cette histoire, un brin autobiographique, entre récit et fiction. le détachement, charnel et naturel, un petit être qui veut exister dans un monde bien trop grand pour lui.
Et l'hymne qu'il "entonne,
Tchekhov", est comparable à celui de
Galsan Tschinag écrit près d'un siècle plus tard dans "
La fin du chant".
Qu'elle soit mongole ou russe, la poésie ne cède pas à la mélancolie dans
la steppe, elle la sublime. J'aurais aimé la lire en russe, mais cette langue m'est hermétique. Les traductions ne rendent pas toujours les mêmes sensations, en voici deux exemples d'un paragraphe pris au hasard.
Par
Olga Vieillard-Baron : "A présent les voyageurs roulaient au milieu d'une vaste plaine coupée d'une chaîne de collines qui, se bousculant et se chevauchant, se fondaient dans un massif unique à droite de la route et s'étiraient jusqu'à l'horizon pour disparaître dans le lointain mauve".
Pour
Vladimir Volkoff : "Cependant, sous les yeux des voyageurs, se déployait déjà une vaste plaine, sans limites, traversée d'une chaîne de collines. Se pressant et passant la tête les unes devant les autres, ces collines se fondaient en une éminence qui, à droite de la route, s'étendait jusqu'à l'horizon et disparaissait dans un lointain lilas".
Malgré tout, le rendu est tout aussi saisissant, même si la longueur est différente. Chaque lecteur se fait sa propre image, celle qui reste gravée à jamais dans les souvenirs littéraires. le son de la mélodie de Borodine résonne dans mes oreilles, j'y vois la chevauchée lyrique de
Tchekhov.
Ecrit ou composé, le même art, sublime !