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sur 849 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Avec Crénom Baudelaire, Jean Teulé nous offre une biographie romancée de l'auteur des Fleurs du mal, assez irrévérencieuse, mais ô combien savoureuse ! Ce très bon conteur, nous peint avec moult grivoiseries le portrait d'un homme décrit comme un punk défoncé du matin au soir, adepte de la confiture verte, extrait gras de haschisch mêlé à du miel et des aromates qu'il prenait en décoction dans du thé, et d'autres substances comme l'opium ou le laudanum prescrit par son médecin pour soigner sa syphilis. Mais il ne tenait aucun compte des doses à ne pas dépasser.
Charles Baudelaire né à Paris en 1821 n'a que 6 ans lorsque son père François, âgé de plus de 34 ans que sa mère, décède. Loin d'en être affecté, il se sent au contraire soulagé, débarrassé d'un rival, sa mère n'aura plus, dès lors, que lui à aimer. Mais son bonheur dure peu, car Caroline, sa mère, se remarie 19 mois plus tard avec l'officier Jacques Aupick. Pour Charles, c'est une véritable trahison, car il lui prend une grande partie de l'affection de sa mère. Ce beau-père va vouloir le dompter et s'opposera même à sa vocation de poète. Ce sera une lutte incessante entre eux jusqu'à ce que, pour le mâter, le beau-père l'oblige à embarquer à bord du Paquebot-des-mers-du-Sud, direction L'Inde jusqu'à Calcutta, pour une durée d'un an. C'est d'ailleurs au cours de ce voyage en mer que notre jeune Charles, tout juste vingt ans, composera ce magnifique poème, L'Albatros, ayant assisté à la pêche et à la capture de de cet oiseau ensuite ridiculisé et maltraité par l'équipage et incarnant pour lui l'artiste incompris et rejeté.
Sa mère l'ayant trahi, une blessure déterminante, il ne fait plus confiance aux femmes. Il va alors mener une vie dissolue, fréquenter des prostituées, dont Sarah la Louchette et bien sûr la devenue célèbre Jeanne Duval, cette grande et jeune métisse qu'il nomme son soleil noir, en quelque sorte son alter-ego, qui sera sa maîtresse et sa muse et avec qui il aura des relations orageuses tout comme avec Marie Daubrun ou Apollonie Sabatier.
C'est cette face sombre du poète, cette personnalité méconnue, cet éternel ado révolté, ce personnage odieux et dépravé, cet homme qui se cherche, et aussi cet homme malheureux souffrant d'une forme de dépression, que nous raconte merveilleusement Jean Teulé, dans ce roman assez long, pas moins de 430 pages, mais jamais rébarbatif, bien au contraire. le texte est émaillé de nombreux poèmes ou de morceaux choisis de ses plus belles rimes, judicieusement placés. L'auteur montre bien également le temps qu'il prenait et le travail et l'application que mettait Charles Baudelaire à peaufiner ses écrits. Il dresse par ailleurs des portraits hauts en couleurs de tous les personnages.
Si Jean Teulé affirme que tout est exact sur ce côté détestable de ce génie littéraire, difficile pour moi de confirmer, ne connaissant que peu sa vie.
J'ai particulièrement apprécié ce livre qui permet, à travers la personnalité méconnue de cet immense poète maudit dont le recueil Les Fleurs du mal, publié en 1857, fera scandale à sa sortie et dont six poèmes devront être supprimés de l'oeuvre incriminée de mieux comprendre son oeuvre. Outre les poèmes inclus dans le roman, Jean Teulé a également inséré quelques vers avec les corrections de l'auteur envoyées à l'éditeur.
L'écrivain réussit à merveille à faire revivre ce 19ème siècle avec les grands travaux entrepris dans Paris. Il nous permet aussi de côtoyer avec Charles toutes ces figures célèbres que sont entre autres Gustave Flaubert, Théophile Gautier, Gustave Doré, les frères Goncourt, Edouard Manet, Gustave Courbet, Nadar ou encore Auguste Poulet-Malassis, cet éditeur qui a osé publier Les Fleurs du mal.
Crénom Baudelaire m'a beaucoup appris tout en m'amusant beaucoup. Il faut, à mon avis, beaucoup de talent pour réussir une oeuvre de vulgarisation comme cet ouvrage sans tomber dans le ridicule ou le niais. C'est à la fois très divertissant et hautement instructif et sérieux.

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Avec sa verve habituelle, Jean Teulé ne déçoit pas en publiant Crénom, Baudelaire !, hommage vibrant au plus grand des poètes.
Pourtant, tout au long du livre, il ne ménage guère son héros, cet homme qui ne pouvait exprimer son génie que drogué, halluciné, toujours très désagréable avec les gens qu'il croise.
Sa chute au sortir de l'église Saint-Loup de Namur, en 1866, ouvre ce roman plein de surprises et d'enseignements, ouvrage qui permet de lire ou relire les vers du poète, ce qui est parfait.
Sans délai, le voilà à cinq ans, complètement accroché à sa mère, Caroline (33 ans). Sa passion pour elle marque à jamais sa personnalité. Son père a 34 ans de plus que Caroline et décède le 10 février 1827. Pendant dix-neuf mois, Charles vit une relation passionnelle avec sa mère qui se remarie avec Jacques Aupick (39 ans), un officier. Cette rupture est très dure à vivre pour l'enfant, traumatisé par ce qu'il vit comme un abandon.
Quelques années plus tard, alors qu'il est élève au lycée Louis-le-Grand, il en est exclu. À vingt ans, Louis-Philippe étant au pouvoir, il traîne dans les cabarets, clame qu'il veut être poète, dépasser Racine et Hugo. C'est après avoir agressé son beau-père que celui-ci l'envoie sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud, à Bordeaux pour un an de navigation. Il vit très mal cette punition. Mélancolique, boudeur, il est horrifié par le piégeage d'un albatros par les matelots et rédige un poème magnifique :

« Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers. »

Toujours coiffé d'un chapeau très original et vêtu comme un dandy, il se paie une prostituée pour qu'elle le dépucèle. Résultat : une blennorragie, la chaude-pisse ! Un peu plus tard, dans Le Quartier latin, une actrice noire l'époustoufle. Cette mulâtresse originaire des Caraïbes, est grande, une tête de plus que lui. C'est elle, Jeanne Duval, qui sera sa muse, celle avec laquelle il vit les plus forts moments de sa vie et les plus douloureux, lors des ruptures. Elle lui fait cadeau de la syphilis, la grande vérole, et Charles est pris dans l'engrenage infernal de la drogue : shit, laudanum, opium, avalant des doses impressionnantes pour être bien et surtout doper son inspiration géniale. J'ajoute qu'il dépense sans compter et qu'il est sans cesse la proie des huissiers et dépend de la générosité de sa mère.
Ainsi, au fil des chapitres enchaînés nerveusement, Jean Teulé m'a fait souffrir avec les déboires de Baudelaire, m'a enthousiasmé avec ces vers d'une force extraordinaire, m'a révolté devant l'attitude des bien-pensants qui iront jusqu'à le condamner et interdire plusieurs poèmes des Fleurs du Mal. Ici, je salue le formidable courage de son imprimeur, Auguste Poulet-Malassis. Il ira jusqu'à se ruiner pour publier ce poète qui le touche beaucoup.
J'ajoute que Jean Teulé sait bien faire ressentir la vie dans Paris au XIXe siècle, des plus beaux salons aux bas-fonds, qu'il démontre bien les bouleversements créés par Haussmann et surtout permet à son lecteur de rencontrer, dans le désordre : Félix Nadar, Edouard Manet, Charles Asselineau – son plus fidèle ami -, les frères Goncourt – pas à leur avantage-, Hector Berlioz, Daumier, Gustave Courbet - d'une patience infinie -, Gustave Flaubert, Gustave Doré, Alfred de Musset, Barbey d'Aurevilly, Gérard de Nerval, Eugène Delacroix que Charles Baudelaire, jamais de bonne humeur, croise chez la délicieuse Apollonie Sabatier qui tient salon le dimanche. Voilà une belle brochette d'immenses artistes pour faire honneur au plus grand des poètes qui meurt le 31 août 1867, à 46 ans !

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Né dans une famille plutôt aisée, Charles Baudelaire traversera la vie dans la pauvreté. La faute à son addiction aux drogues, à une vie débridée de dandy qui ne compte pas, à une mère qui ne lui fait pas confiance et lui rationne les subsides.
Qu'importe, Baudelaire croit en son talent, n'hésite pas à écrire des vers qui paraissent bien anodins aujourd'hui, mais que le 19ème siècle ne pouvait accepter. Il réussit à les faire publier (Les fleurs du mal) provoquant la ruine de son éditeur...

C'est cette histoire que nous conte Jean Teulé, avec ses mots à lui, mais en n'hésitant pas à se couler dans la personnalité du poète pour provoquer le lecteur.
Quand on lit les critiques de ce roman, on constate que certains ont beaucoup aimé, et d'autres pas du tout ; on est rarement dans la notation intermédiaire. Un texte très clivant donc
L'auteur, récemment décédé, ne pourra pas confirmer mon point de vue, mais je suis certain que c'est ce qu'il cherchait : écrire un roman qui ne puisse pas laisser indifférent, en bien ou en mal. Comme le faisait Baudelaire.
J'ai trouvé cela très réussi. Mais je dois reconnaître que je suis un fan du poète, depuis bientôt 50 ans et la découverte des fleurs du mal au lycée...
Un destin : celui de Charles Baudelaire. Une verve pour nous le conter : celle de Jean Teulé.


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Charles a 5 ans - sa mère un paradis parfumé qu'il perdra quand elle se remariera à ses 7 ans.

A 18 ans exclu du Lycée Louis Legrand ; puis éloigné par son beau-père.
Il fera une croisière sur "Le paquebot-des-Mers-du-Sud" où il cassera les couilles à tout le monde et leur dira :
"Répondez-moi, vous aux moeurs de pucerons et sans doute amours de cloporte!".
Jeune passager fantasque et irrespectueux.

Baudelaire, dépucelé par "Sarah la louchette" - juive aux seins qui pendent comme des calebasses mais qui a un sexe au charme inattendu d'un brillant diamant rose et noir".

Baudelaire olibrius, toxicomane, dispendieux qui fréquente assidument les maisons de prostitution.
Et va rapidement choper une blennorragie, puis la syphilis.
Il ne faisait pas bon, aimer baiser en ces temps là, car même s'il existait des préservatifs appelés "redingotes d'Angleterre" elles semblaient inefficaces.

Baudelaire vivra de chambres d'hôtel en garnis sous les combles.
L'apothicaire disait pas plus de 10 gouttes d'opium liquide. Il en mettra 300 puis arrivera à 1000.
Il sera usé par tous ses excès .
A 44 ans il en paraîtra 80.
A 46 ans il s'éteindra dans une hébétude opaque.

Jean Teulé a sans aucun doute pris des libertés pour raconter son histoire et revisiter la vie de ce grand poète. Mais sa verve et sa bonne humeur se ressentent dans l'écriture et ce fut un plaisir de le lire encore une fois.

Jean Teulé émaille de-ci de-là, l'histoire de la vie de Baudelaire avec ses poèmes qui lui ont été inspirés à chacune de ses rencontres et chacune des périodes de sa vie.
- Ainsi défile
- L'Albatros
- La servante au grand coeur
- le vin de l'assassin
- La charogne
- A une passante
- Enivrez-vous (p.213)
- Les petites vieilles (p.325)
- le poison
- L'invitation au voyage

Vie "en bâton de chaise" il faut bien le souligner.

Son recueil "Les Fleurs du Mal" sera considéré comme l'expression de la lubricité la plus révoltante, un délit d'outrage à la morale publique.

Quant à Jean Teulé, il a l'art de me faire rire et de m'amuser . Lui, a l'air de bien s'amuser aussi en écrivant ses livres.
Pour moi, il est plein de bons mots comme un encensoir, et cela a été surtout une lecture défouloir.


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Crénom, la couverture du livre ressemble à du Teulé mais ce n'est pas du Teulé !
En effet, dans les années 80, Jean Teulé réalisait des B.D. à partir de photographies sur lesquelles il dessinait et peignait un peu comme sur la couverture! (j'en parle au passé car il a tourné la page de cette première partie de carrière du temps de “l'assiette anglaise”)

Jean Teulé retrace la courte vie du poète avec une verve tantôt poétique, tantôt gouailleuse.
J'aime le descriptif et la narration de Teulé, ici, il s'en donne à coeur joie au service d'un sujet fort en couleurs, celui de la vie vénéneuse de Baudelaire et ses fleurs du mal.

La biographie romancée est émaillée de vers et de poèmes qui illustrent des moments de la vie de celui qui “saura pétrir de la boue pour en faire de l'or”.

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Crénom, Baudelaire et Jean Teulé dans le même ouvrage !
Qui ne pouvait mieux que Teulé raconter la vie de Baudelaire ?
Car, croyez-moi, les mots irrévérencieux de cet auteur contemporain facétieux collent à merveille avec la poésie crue, la vie anticonformiste, dissolue et provocante du dandy sulfureux.


Je suis triste de la mort de Jean Teulé. J'ai lu un certain nombre d'ouvrages de cet auteur qui m'ont plus ou moins exaltée, mais j'avoue que la plupart du temps, j'adore son humour décalé. Il a le don pour rendre joyeuse la pire des tragédies.
Quelques jours après sa disparition, je suis tombée au détour d'un étalage bien fourni en Teulé sur cette biographie romancée de Charles Baudelaire qui avait échappé à ma vigilance jusqu'alors.
J'avais bien apprécié celle de Villon ; je n'ai donc pas hésité une seule seconde.

Et j'ai bien fait ! Parce que c'est jubilatoire !
J'ai d'ailleurs l'impression que ce mot « jubilatoire » est l'adjectif qui convient le mieux à la plume fantaisiste et subversive de Jean Teulé.
Je ne sais pas ce qu'en aurait pensé Charles, l'insupportable taciturne, mais toujours est-il que Jean fait de la vie du poète une farce grandiose et sublime. A bien, y réfléchir, je pense qu'il aurait apprécié cet hommage burlesque, lui, l'auteur génial des Fleurs du Mal qui maniait l'autodérision à merveille, comme cela apparaît si bien dans L'Albatros.


Jean, je vous ai découvert, avec une joie non dissimulée, il y a plus de vingt ans avec le Montespan.
Vous avez accompagné certaines de mes heures sombres et affligées avec Darling et Je, François Villon.
Vous m'avez fait mourir de rire, par un bel après-midi ensoleillé, avec le magasin des suicides.
Vous m'avez un peu ennuyée avec Fleur de Tonnerre.
Vous m'avez carrément fait rougir et fait pousser des grognements d'indignation lors de ma lecture d'Héloïse, Ouille ! (Sans doute mon côté prude et mon éducation catho qui ont pris le dessus..Il mériterait sans doute une deuxième lecture ce truculent roman ! )
Vous ne m'avez pas emballée avec Comme une respiration
Vous m'avez finalement bien réconciliée, de votre plume insolente, avec Azincourt par temps de pluie.
Et aujourd'hui, je crois bien que Crénom, Baudelaire ! vient faire figure de petit chouchou.
Il me reste de vous quelques romans à découvrir et les bandes dessinées aussi ! Je m'en estime bien heureuse...Mais, tout de même, vous allez drôlement nous manquer !
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Waouh !

Quelle plume les amis, je ne m'en lasse pas et quelle histoire aussi qui avait besoin de cette gouaille drôlesque et morbide pour décrire au plus près la vie d'un junky génial du temps passé.

Car Baudelaire, ce dandy pervers, ce toxico punk, ce tordu mal-aimé, ce râleur boudeur jamais content, ce petit bonhomme à la mine patibulaire, ce misogyne amoureux de la laideur, ce détraqué de l'amour, ce manipulateur enjôleur, ce poète incompris né trop tôt et mort trop jeune finalement, n'est que cela un junky génial qui rêve en vers. Et ces vers, du noir à la lumière, de l'horreur à la beauté, ils nous transportent et chantent dans nos vies du coup bien ternes.

Chapeau Mr Teulé, une fois de plus j'ai ri et j'ai pleuré pour ce poète inspiré et cent fois maudits qu'est Baudelaire, ce magicien halluciné aux vers sublimes et percutants. Une lecture émouvante et me voilà à la recherche de mon exemplaire perdu des « Fleurs du Mal » :-)
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Merci monsieur Teulé ! Je suis encore sous le charme.
Quel bonheur que ce livre dédié à la grande figure de Baudelaire.
J'ai toujours trouvé que l'Homme était détestable alors que ses écrits sont tellement envoûtants. Pourtant, au fil des pages de ce magnifique livre, je suis arrivée à lui trouver des excuses et même à avoir de l'empathie pour cet homme qui au fond, cachait peut-être sous ses délires et ses méchancetés, une peur toute existentielle.
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Salle 104 au collège Popeck. Aujourd'hui, c'est restitution de copies.

Monsieur Chabance, toujours avec son velours côtelé, ce jour-là vert olive, circule posément entre les rangs pour rendre les devoirs. L'ambiance est lourde, parce qu'on sait tous qu'on s'est viandés ; forcément c'est tombé sur le seul sujet sur lequel on a fait l'impasse.
- Monsieur Junet ?

On sait tous que lorsqu'il appelle quelqu'un par son nom de famille, ça pue. Etienne n'en mène pas large.
- J'suis là, M'sieur.

Chabance fait un sourire, ses yeux se plissent derrière ses lunettes arrondies.
- Quatorze. Vous faites d'excellents progrès. Continuez.

Etienne respire. Il n'a jamais plus de 8, la faute à sa dyslexie que les profs ont toujours prise pour de la paresse. Chabance, lui, essaie d'en tenir compte, mais il ne peut tout de même pas décemment mettre 16 à un devoir avec une faute tous les deux mots. Alors, aujourd'hui, il est très fier.

- T'as eu quatorze ?! Fais montrer !

Le sourire de Chabance s'évanouit brusquement, et laisse place à un rictus désemparé. L'origine de cet émoi, c'est Baptiste, le jumeau d'Etienne qui, lui, a eu la chance à la naissance de ne pas être la bête noire des profs de lettres.
- Ai-je bien entendu ? « Fais… montrer » ?

La voix du père Chabance est soudain menaçante. Il s'avance vers Baptiste armé d'un Bon Usage qui ne quitte jamais son bureau.
- Tu veux que je te le fasse bouffer, ce Grévisse ?

Chabance a osé le tutoiement. C'est pire que le nom de famille ; là, Baptiste est condamné à subir le supplice du pal, voire pire.
- Bah, je veux juste voir la note à Etienne, histoire d'être sûr, quoi.
- Et tu lui demandes de te… faire montrer ?
- Bah, on dit pas ça ?

Chabance ôte ses lunettes. C'est pire que quand il t'appelle par ton nom de famille et qu'il te tutoie. C'est plus le supplice du pal, c'est la colère de Chabance.
- Bon, mise en situation. Supposons que je me promène avec une ravissante créature le long d'un chemin de campagne, lorsque soudain je rencontre le cadavre décomposé d'un, mettons, blaireau.
Fier de ma trouvaille, je pourrais dire à la belle ‘‘Je vais te montrer la charogne que j'ai trouvée'' - trouvée avec un e à la fin, ne soyons pas oublieux de notre belle orthographe -, ou bien ‘'Je vais te faire voir la charogne que j'ai trouvée''. Mais certainement pas ‘'Je vais te faire montrer la charogne que j'ai trouvée''. Cela n'a aucun sens. La belle me larguerait sur le champ, et pour tout vous dire, je me larguerais moi-même sur le champ, de honte et de déshonneur d'avoir commis horreur pareille.

Finalement, Chabance remet ses lunettes. Il est plus apaisé.
- Sinon, vous pouvez être plus dans la poésie, et dire à l'oreille de votre amour ‘'Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme, / Ce beau matin d'été si doux / Au détour d'un sentier, une charogne infâme / Sur un lit semé de cailloux…'' C'est autrement plus beau.
- C'est dégueulasse, Monsieur.
- C'est Baudelaire.

Chabance était un amoureux inconditionnel de Baudelaire – entre autres poètes maudits. le genre de prof à réussir une leçon de grammaire en citant comme exemple un poème où la chère et tendre devient chair plus tellement tendre.

- Mais il était complètement détraqué, ton prof, s'indigne Caillou à qui j'ai raconté l'anecdote chabancesque.
- N'empêche que plus personne n'a fait l'erreur de dire « faire montrer ».
- Mais tu aimerais, toi, que ton bonhomme te compare à un blaireau décomposé ?
- C'est mignon, un blaireau.
- T'es immonde, Galette. de toute façon, moi, j'aime pas Baudelaire. C'est un con.
- Tu dis ça parce que tu t'es tapé 8 au bac de français avec la dissert sur Baudelaire.
- Y'a de ça, ouais…

Ainsi donc, Baudelaire, pauvre Baudelaire, sera un type décrié toute sa vie et sa mort. Haï des élèves, vilipendé par les papa-la-morale… Seuls quelques émules, comme Chabance, l'apprécient assez pour déclamer ses vers.

Quelques émules seulement ? Et Jean Teulé, alors ?

Sacré Jean. Jean qui a eu la mauvaise idée en octobre dernier de manger des boulettes de viande pas fraîches, au point d'en faire une intoxication et d'en mourir.

Quelle mort con. Cela dit, ça me permet de faire un instant prévention.

Instant prévention : Si vous allez à la Tourelle à Saint-Mandé, restaurant qui ne parlera qu'aux initiés, mais j'pense pas qu'ils soient nombreux parmi mon lectorat, évitez la mayonnaise, elle est pas fraîche non plus. Inutile d'aimer Teulé au point de l'imiter dans sa mort, n'allez pas me faire un syndrome du Jeune Werther, après vous ne serez plus là pour lire mes critiques et mes stats vont baisser (déjà qu'elles sont pas bien hautes, vu comment je m'absente…)

Où en étais-je ? Ah, oui, Jean. Jean, donc.

Jean aime bien les gens un peu cyniques et les histoires glauques. Personnellement, je l'avais découvert avec l'excellent Mangez-le si vous voulez (vraiment excellent, peut-être qu'un jour j'écrirai là-dessus), récit assez trash d'un quiproquo qui finit par un barbecue cannibale.

De fait, si Jean apprécie fouiller dans les archives de petites mairies périgourdines pour avoir les détails croustillants (c'est le cas de le dire) d'une histoire de lynchage sous le Second En Pire, tu te doutes bien que faire de même avec un poète du genre à déclarer sa flamme par le biais d'une charogne, ça le botte.

Et c'est ainsi qu'on découvre ce joli ouvrage, au titre qui perso m'avait pas convaincue de prime abord, mais qui recelait pourtant d'une folle histoire : celle d'un poète timbré à la vie aussi misérable que romanesque.

Charles naît en 1821, sa maman est super jeune par rapport à son daron qui est super vieux.
Très tôt, Charles s'excite le burnous en sentant les cheveux de sa mère (tant que c'est que les cheveux…), et, comme un certain Marcel, il attend très tard le bisou du soir, sans quoi il a peur du monstre sous le lit.

Or, la caractéristique des vieux, c'est que ça meurt. Donc, Baudelaire père succombe, et Maman se retrouve sur le marché.

Comme feu son bonhomme de mari était imberbe facialement parlant, elle décide de se mettre avec un officier, parce qu'ils ont tous des moustaches. Enfin, c'est pas ce qui est dit, mais moi j'en suis sûre. Sinon ça aurait été du gâchis.

L'heureux élu, c'est le père Aupick, belle gueule (belles moustaches), belle prestance (belles moustaches) bref, mariage dans la foulée. Et Charles perd l'exclusivité de sa maman.

S'ensuit une relation beau-père/beau-fils pas très fusionnelle, tant et si bien que Papa Aupick envoie Charlie respirer le bon air marin sur un bateau pendant un an.

Finalement, Charles se fait la malle.

Un des premiers actes de franche rébellion, qui va être la caractéristique de toute son existence. Rébellion contre la morale, contre les codes, contre les moeurs.

Charles se fait poète, chante l'amour des putes et des bordels, n'admire rien que les beaux seins et les potits chats tout mignons.

Il aime Jeanne, aussi, la Vénus noire même si personnellement je la trouve pas si noire que ça (par contre, elle a une de ces chevelures…)

Il aime l'opium, aussi. Surtout depuis que Jeanne lui a refilé la chtouille. Dont il mourra en 1867 dans les bras de sa moman désormais veuve de son moustachu (la pauvre.)

Et puis voilà. T'as résumé l'existence de Charles, même si le bouquin est bien plus passionnant que le modeste résumé que je t'en fais. Evidemment.

Alors voilà. Dans ce bel ouvrage que j'ai vachement bien noté (c'est pas courant), Jean Teulé raconte donc les aventures pathétiques d'un misérable qui, pourtant, est passé à la postérité.

Car il y a ça aussi, qui est ironique. Si je te dis Jean-Pons-Guillaume Viennet, est-ce que ça te dit un truc ?
- Bien sûr, Galette, c'est un poète s'illustrant particulièrement dans les fables morales. C'est toi qui es inculte.

Je sais que tu charries, t'es allé voir sur Wikipédia.

Sans blague, si aujourd'hui, Jean-Pons-Guillaume Viennet est un nom oublié (en même temps, quand tu t'appelles Jean-Pons…) au temps jadis, c'était un Académicien-avec-un-grand-A, donc le Pierre Niney de l'époque, qui regardait de haut les petites fleurs du mal de ce dépravé de Baudelaire.

Pourtant, le dépravé a depuis croisé dans l'escalier Jean-Pons, l'un montant à la postérité, l'autre descendant aux oubliettes.

Et de fait, quand il faisait une leçon de grammaire, Chabance citait Baudelaire, pas Jean-Pons.

Comme quoi, y a qu'à mourir pour être aimé.

Je vous laisse, je m'en vais prendre des boulettes de viande à la mayonnaise.
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Quel plaisir de retrouver la plume acerbe de Jean Teulé! Et quand cette plume nous raconte la vie d'errance de ce personnage farfelu et tourmenté qu'était Baudelaire, elle ne peut que s'enflammer... et par-là même m'emballer !
On se surprend à retourner voir le visage de la Duval, à contempler un Courbet, à replonger avec délice dans les Fleurs du mal.
Teulé, aussi irrévérencieux que son personnage, nous livre ici une magnifique biographie romancée au vitriol, à l'opium et au soufre.
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