Outre l'ironie de cette nouvelle, que je retrouve bien d'une nouvelle à l'autre de cette série, j'ai goûté l'incursion dans le domaine de la justice, revue à l'aune d'une procédure numérique incluant des calculs algorithmiques, qui permettent au logiciel Justitia de délivrer, quasiment seul, le verdict. En effet, si certains avocats peuvent encore plaider, voire contre-interroger des témoins - passant alors pour de suprêmes emm*** aux yeux du juge, la délibération du jury implique désormais un juge et un juré. La procédure consiste à lire sur une tablette les critères énoncés par l'intelligence artificielle et à valider chaque étape de concert, enfermés à deux dans une petite pièce. Point n'est besoin de vérifier, puisque ce fabuleux logiciel a tout fait pour vous...
Seulement, l'affaire qui occupe juge et juré ce jour demande un peu de réflexion, contrairement à ce qu'en pense le juge qui voudrait bien en finir rapidement, car on l'attend pour un cocktail au Ministère après ses affaires de l'après-midi. le juré veut en savoir plus sur le refus des circonstances atténuantes pour l'accusé qui a tué sa femme (la machine a déjà considéré qu'il avait agi avec préméditation, sur la base de statistiques). le logiciel prend-il en compte l'aveuglement amoureux ? le juge a beau s'impatienter, tempêter, rien n'y fait, et il faut bien se résoudre à mettre en route les différentes procédures prévues par le protocole : la conception de Justitia est élaborée en Californie, mais il convient tout d'abord de faire appel à un psychiatre assermenté, traduire le terme en anglais, puis reprendre les textes au
Ministère de la Justice... L'affaire se conclut vers minuit, et le juge peut enfin énoncer le verdict, qui réserve des surprises aux parties prenantes de l'affaire...
J'ai apprécié cette nouvelle, regrettant au passage de ne pas mieux m'y connaître en droit ; elle ne repose pas tant sur le suspense que sur un certain sens du ridicule, et un retournement qui en fait une nouvelle efficace, avec une chute caractéristique. Je déplore un peu que le juge ait été si antipathique car, à mon sens, dans la réalité les magistrats ont eux-mêmes à pâtir de l'évolution actuelle de la Justice, du manque de moyens, de l'inertie... A l'inverse, le personnage de l'avocat était un peu terne. En revanche, la prise en compte du rôle potentiel du numérique dans la "simplification" de la machine judiciaire est réussie et tout à fait crédible, rendant la tonalité de cette nouvelle presque humoristique, avec un zeste de grinçant. La construction est également intéressante, car tout se joue à huis-clos, et les autres personnages ne peuvent que deviner ce qui se passe, en essayant de tromper attente et ennui, d'après le défilé du greffier, de l'informaticien...