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sur 176 notes
Social media, that great repository of wisdom, tells us that the works of Russian writers are being removed from bookshelves in libraries in Ukraine. Like much on social media, I have no idea if this is true. What I do know is that Russia is home to some of the greatest writers our world has produced. I was reminded of this, as has been the case on numerous occasions, while reading Lev Tolstoi's Resurrection. Long before the October Revolution of 1917, the seeds for change had been sown in Mother Russia. Prince Nekhlyudov, born into a life of privilege, experiences a spiritual awakening during a trial of a prostitute in Moscow. He learns, through a combination of raw emotion and dogged research, that the legal system is designed not to help the accused, but to maintain the status quo. Resurrection could easily be set in this century, with a very similar story line. Tolstoi had a gift for seeing beyond the present and recognising the complexities of human nature. Read Tolstoi and other great Russian writers puts one on a fast track to the pleasure of writing at its best.
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Ce dernier roman de Léon Tolstoï, inspiré d'une histoire vraie, lui a pris quelques années avant d'être enfin édité.
Lors du procès d'une prostitué la Maslova, le prince Nekhlioudov qui fait partie des jurés reconnaît la jeune servante qu'il a séduite (et limite violée) et perdue dans sa jeunesse. Suite au verdict où elle est jugée coupable par erreur de compréhension de la procédure, Nekhlioudov se sent responsable de cette condamnation car c'est par sa faute initiale qu'elle en est arrivée là.
Par la suite, à travers son combat pour la libérer, Tolstoï va nous dépeindre le système carcéral impérial Russe dont va directement découler le système concentrationnaire communiste. Pour avoir lu quelques livres sur le Goulag stalinien, on ne peut être que frappé par la similarité de l'histoire.
Bien plus que dans ces deux oeuvres très connues que sont la guerre et la paix et Anna Karenine, j'ai découvert le côté humaniste et féministe de Tolstoï. En amont de la révolution russe, ce livre semble une éloge de l'idéologie marxiste, plaidant pour une société plus juste, plus égalitaire et où la terre n'appartiendrait à personne.
Tout au long du livre, le personnage principal va ouvrir les yeux sur l'injustice de son monde, l'égoïsme de sa classe et sera perpétuellement déchiré entre son idéal d'égalité et la difficulté de renoncer à ses privilèges. Après avoir lu la biographie de l'auteur, on ne peut que reconnaître Tolstoï dans le prince Nekhlioudov. La description de la prise de conscience qui se fracasse sur le jugement de la société sent le vécu. L'horreur face à la découverte de la misère des plus pauvres aussi.
Un grand livre, qui encore plus que les autres m'a donné envie de lire l'intégralité des oeuvres de Tolstoï.
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Une très belle decouverte. Je vais continuer à lire cet auteur car j'apprécie son écriture et son univers. J'aime beaucoup cet univers.
J'apprécie beaucoup les écrivains russes du début du siècle dernier. J'aimerais lire d'autres auteurs russes mais l'épaisseur des livres me fait peur
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Étrangement Léon TOLSTOÏ (1828-1910) a écrit peu de romans. Si nombre de ses nouvelles pourraient aujourd'hui, par leur ampleur, figurer au nombre de ce format, seulement une poignée se voit en être attribuée, parmi lesquels « Résurrection ».

« Résurrection » est un roman ample, typiquement russe, avec ses intrigues, ses longues séquences d'amour, sa pléthore de personnages, son contexte historique. La Maslova, Katucha, est une prostituée condamnée pour meurtre suite à un procès irrégulier conté par l'auteur, gâché par les jurés dont faisait partie Nekhludov, un homme qui a aimé Katucha 10 ans plus tôt. Il va tout mettre en oeuvre pour la faire reconnaître comme innocente et la sauver du bagne.

Comme souvent chez TOLSTOÏ, on tergiverse, on souffre mentalement, on se flagelle beaucoup. Car ce Nekhludov, touché par la grâce, cherche la rédemption en vue d'une purification pour donner un sens à sa vie. Après des années de débauche, il veut se racheter et faire le bien sur terre. Avec une foi touchant au mysticisme, son but est de distribuer le bonheur, non sans un discours anarchiste, puisqu'il veut entre autres, lui le barine, rendre ses moujiks propriétaires de ses propres terres. « le projet de Nekhludov partait d'un désir de renoncer à son intérêt personnel pour l'intérêt des autres ».

Vous l'aurez aisément compris, Nekhludov est le double de TOLSTOÏ, dont la volonté de créer une religion nouvelle et mystique, le Tolstoïsme, son « anarcho-christianisme » à son paroxysme en cette fin de XIXe siècle. Nous sommes alors en 1899, il termine « Résurrection » à la toute fin de cette année-là. Nekhludov est son moi propre qu'il affirme, scrutant ses personnages de manière psychologique voire psychanalytique. Katucha est une femme qui s'enivre, qui se salit physiquement comme moralement, qui sait charmer pour obtenir ce qu'elle veut, et son double à lui, l'auteur, cherche à la replacer sur le droit chemin, celui de la rédemption, et donc de la Résurrection. Nekhludov se sacrifie pour la Maslova, veut l'épouser, ce qu'elle refuse, la suit lors de ses voyages entre deux détentions, le but ultime étant une déportation en Sibérie.

Nekhludov, dans ce besoin de produire le bien, est un être irritant car surenchérissant dans une bienveillance touchant à l'envahissement. Cherchant à tout prix à se purifier, il semble vouloir purifier de ce fait la terre entière. Mais ne vous méprenez pas pour autant : « Résurrection » est un très grand roman de TOLSTOÏ. Oui, malgré tout ce que je viens de décrire, cette histoire est bouleversante, notamment par la description des conditions de détention des prisonniers russes sous le tsarisme, mais pas seulement. L'étude des personnages est poussée, la doctrine chrétienne est finement déployée même si elle tourne à une sorte de caricature du bien « à tout prix ». Quant à la morale anarchiste, elle est parfaitement en place, elle représente les revendications et les postures de TOLSTOÏ à cette époque.

La traduction que j'ai lue est signée Teodor de WYZEWA, mais comme vous le savez, rien n'est simple dans les retranscriptions de la littérature russe classique. En effet, nous trouvons plusieurs traces de traductions de ce texte sous cette signature, mais différentes… Il en existe au moins deux, pas tout à fait similaires, et surtout le texte n'est pas découpé de la même façon pour les chapitres, les noms des personnages sont également modernisés (ce qui ne cesse d'ailleurs d'évoluer dans les traductions de littérature russe), de quoi devenir chèvre. J'ai pour ma part utilisé la version disponible gratuitement sur Wikisource.

« Résurrection » est de ces classiques amples, forts, malgré des longueurs (600 pages tout de même), de nombreuses redites, mais il vaut largement l'expérience de lecture. Il est une fresque que l'on a du mal à lâcher, un roman d'une grande profondeur, sans doute novateur pour son époque par ses thèmes et en tout cas pour la manière de les présenter. Et au risque d'en choquer, je rajouterai qu'il en ressort un ton particulièrement Dostoïevskien (dans le mysticisme, la souffrance, les éléments féminins, les contradictions, la lutte pour Dieu ou contre son absence, etc.), et c'est sans nul doute le plus Dostoïevskien des textes de TOLSTOÏ, il est d'une grande puissance, d'un grand aboutissement, il me paraît l'un des chaînons incontournables de l'oeuvre.

https://deslivresrances.blogspot.com

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Oui Nastasia (cf. ta critique de décembre 2018), « Résurrection est le plus dostoïevskien des romans de Tolstoï », je ne te le fais pas dire. Sous prétexte d'une trame grossièrement romanesque, Tolstoï développe ses thèses sur l'état social de la société russe : c'est du Zola. le scénario est d'une banalité affligeante. On est consterné par ce simplisme idéologique affiché qui est à des années lumière de l'intelligence pétillante, de l'humour sémillant du premier Tolstoï. En outre, conventionnelle, volontairement dénuée de style (car maintenant l'auteur ne fait plus dans le style, il aborde sérieusement le fond), l'écriture respire outrageusement le mauvais roman. C'est désolant mais il faut comprendre : à la fin de sa vie, Tolstoï (à l'instar de notre Jean-Jacques national) n'est plus simplement un écrivain : il est devenu une autorité. C'est un penseur que l'on écoute, un sage que l'on consulte en faisant des kilomètres pour le visiter. On ne mesure jamais assez l'incidence d'une notoriété, l'impact d'un succès.
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La Résurrection est celle du Christ, après avoir subi la Passion.
Dans cette oeuvre baignée de religion et de spiritualité chrétienne, les deux personnages principaux aussi subissent une forme de Passion. le roman est celui du châtiment, après le crime qui a déjà eu lieu pour reprendre le titre du roman de Dostoïevski. La Maslova est accusée d'avoir tué un de ses clients, elle qui est prostituée. Son chemin de croix sera donc d'assister à un jugement et à une condamnation - elle qui est innocente, puis de suivre toutes les étapes de la déportation aux travaux forcés en Sibérie, sous la chaleur écrasante de l'été d'abord, dans le froid et le typhus de l'hiver ensuite.
Pour Nekhlioudov, son châtiment est de se sentir coupable du sort de la Maslova, lui qui l'a violée puis abandonnée enceinte en ne lui laissant qu'une centaine de roubles - le texte dit qu'il l'a séduite ; la scène est décrite de telle façon qu'il s'agit bien d'un viol, la Maslova a peur, elle s'enferme, elle pleure. Même si elle aimait Neklioudov, elle ne voulait pas lui céder.
Cependant, la transformation du barine fat, sûr de lui, jouisseur, homme du monde, en pénitent sentimental voire sentimentaliste prêt à donner toute sa fortune aux pauvres et à vivre une vie de misère parce qu'il estime que c'est son devoir, sa rédemption, est trop rapide. J'aurais sans doute aimé que la narration se focalise sur la Maslova plutôt que sur son ancien amant, sur ses pensées à elle - après tout, on n'est jamais sûr de ce qu'elle pense, c'est Neklioudov qui interprète ses réactions.
Cependant, j'ai eu l'impression que Tolstoi était peut-être dépassé par l'ampleur du sujet, au lieu de centrer le récit sur le procès et le voyage de la Maslova. Ainsi, il va multiplier les expériences de Nekliodov pour qu'il soit confronté à toutes les formes de misères et d'injustices possibles, des souffrances des paysans à celles des filles mères, de l'alcoolisme qui ronge la classe ouvrière à la corruption et l'imbécilité des dirigeants. Pour moi, Tolstoï a voulu faire une oeuvre totale, mais ce qui fait que sur le plan romanesque, l'intrigue n'avance que doucement, avec des répétitions, la multiplication de personnages secondaires et de récits dans le récit à l'intérieur desquels je me suis un peu perdue.
"Dans un pays où règne l'esclavage, le seul endroit convenant à l'honnête homme est la prison". En effet, les seules figures sincères, droites, positives, du roman, sont celles des prisonniers politiques qui pensent aux autres avant de penser à eux-mêmes, et qui sont portés par des idéaux.
Néanmoins, je regrette le message religieux trop appuyé, martelé même notamment à la fin. J'avais davantage apprécié Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski, au plus près des détenus déportés.
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Un grand roman qui nous relate la genèse de l'esprit socialiste russe au travers notre héros, un personnage de la haute société mais pour qui l'âme a commencé a dégringolé les marches de sa conscience à partir d'une bévue commise dans sa jeunesse! En tombant dans les moments de troubles de culpabilité, c'est une nouvelle philosophie de la vie qui s'annonce pour lui , comme une nouvelle naissance...ou une résurrection...
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J'ai tenté une incursion dans le XIXe siècle russe avec ce pavé de Leon Tolstoï qui semble-t-il n'est pas le plus connu. J'ai lu "Résurrection" avec beaucoup de difficulté malgré ma fascination pour la forme, le fond et le style. J'ai découvert un univers désenchanté, effrayant mais réaliste, même si parfois, je me suis un peu ennuyée. C'est un roman à dimension sociétale où les questions de classe se cristallisent dans ce siècle de tous les dangers. Tolstoï rend compte de la violence institutionalisée en Russie représentée par le tsar et une noblesse oisive et corrompue. Pour conserver cette existence, on violente, on emprisonne, on affame, on tue tout un peuple.
Nous faisons la connaissance d'un microcosme de captifs, où les condamnés de droits commun fréquentent les opposants politiques et les femmes de mauvaises vies. Nous rencontrons Maslova en prison avant son jugement pour meurtre. Maslova est une enfant naturelle, belle et pauvre qui a survécu grâce à l'intervention d'une de deux vieilles demoiselles pour lesquelles travaillait sa mère. le second protagoniste est le prince Dimitri Ivanovitch Nekhlioudov, dont le corps blanc, parfumé et musclé est déjà alourdi par la graisse. Son linge est propre et repassé, ses bottines brillent comme des miroirs. Il vit confortablement dans un bel appartement dont il a hérité récemment après la mort de sa mère. Les deux personnages se croisent au tribunal. Maslova, en tant qu'accusée et Nekhlioudov, en tant que juré. le prince se souvient de la jeune fille qu'elle était à 17 ans, chez ses tantes. Une première fois, leurs jeux sont innocents. La seconde fois, dépravé par ses années à l'armée, Nekhlioudov cède à ses désirs.
Une erreur des jurés condamne Maslova à la déportation. Ce procès indigne jette à la figure du prince toute sa vie passé et présente pervertie et creuse. le voile se déchire. Il prend conscience des grandes inégalités de la société russe. S'engage alors une transformation de tout son être, ses pensées et ses actes.
Tolstoï est un écrivain talentueux. Il réussit à investir chaque personnage (principaux et secondaires) avec justesse jusque dans les moindres détails physiques et moraux. Il décrit avec précision les rouages de la machine judiciaire, le rôle de l'Eglise orthodoxe acquise au tsar, l'opposition entre la ville et le monde rural, les conditions misérables dans lesquelles sont asservis les paysans, la répression des opposants et des intellectuels. C'est une sorte d'éveil moral et spirituel.
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Après «La sonate à Kreutzer», en tous points pour moi mortifère, je m'étais jurée de remettre à plus tard la lecture de «Résurrection».

Je n'ai pas tenu mon engagement, la curiosité ayant fini par l'emporter sur l'effroi qu'avait suscité cette longue nouvelle.

En préliminaire, je voudrais dire que j'ai lu à deux reprises, à trente ans d'écart, «Anna Karénine», du même Tolstoï, et que je ne l'ai jamais aimée.

Tant il est vrai qu'on ne change pas vraiment au cours d'une vie et qu'on continue seulement à creuser le même sillon.

Les amours d'Anna et de son beau Vronsky, tout comme la recherche éperdue d'Emma Bovary, m'ont irritée comme celles de midinettes qui auraient, contre toute raison et tout indice en provenance du monde extérieur, poursuivi une chimère risible.

Comme je m'irritai et tapai secrètement du pied à l'affligeant spectacle de «fans» parmi mes camarades, soupirant deux ans de suite sur la même photo de leur acteur fétiche.

Sans doute l'intensité de ma répulsion tenait-elle à l'efficacité même des oeuvres de fiction de Tolstoï et de Flaubert : ces miroirs, telles les «sorcières» des carrefours, indiquaient tellement de périls aux aguets que je leur préférai la politique de l'autruche : ne rien voir des démons grimaçants dans les bosquets et aux portes des armoires (pour le reste, mon lycée n'était pas mixte, c'était bien tranquille)…

Pour ce qui concerne «Guerre et paix», je n'ai jamais pu dépasser le tiers du roman : chaque jour m'obligeait à relire les pages précédentes oubliées, à me référer à de fastidieuses listes de personnages que j'avais pourtant notées au fur-et-à-mesure. Bref, un jour, j'ai abandonné.

Rien de tel avec Dostoïevsky que j'ai idolâtré tout de suite, au point d'y convertir toutes mes proches camarades de première : ah ! «Crime et châtiment», lu dans mon lit en claquant des dents par 39 ° de fièvre, conditions idéales pour bien comprendre Raskolnikov… Ah ! «Les frères Karamazov» qui ont accompagné et illuminé quinze jours de vacances de Pâques de terrible solitude… puis «L'idiot», «Les possédés», «Souvenirs de la maison des morts»… Un envoûtement sans fin…

J'étais tombée dedans.

——

Mais, peut-être pourrais-je revenir à «Résurrection» ?

Ce roman vous colle aux doigts, vous ne pouvez pas vous en séparer comme ça. Je viens de le terminer après une nuit de quasi insomnie. C'est un roman anthropophage.

«Résurrection» retrace l'itinéraire d'un jeune militaire, le prince Dmitri Ivanovitch Nekhlioudov, originaire de Nijni Novgorod, vers la sainteté.

Pas celle d'un moine ou d'une religieuse réfugiée dans un couvent, non, d'une Vraie Sainteté de terrain, trouble et claire, faible et puissante, ne rechignant pas à l'ouvrage.

Ce «barine» Nekhlioudov est un véritable colosse, un titan, un doux Hercule chrétien.

Au départ, il était comme vous ou moi : parti de rien. Banal, plutôt sympathique, faisant le mal par négligence, oublieux de ses méfaits et petites crapuleries quotidiennes.

Puis un jour vient la Révélation : un évènement, sa nomination en tant que juré à un procès criminel, lui fit comprendre que quelque chose n'allait pas dans sa vie quotidienne et il qu'il fallait y porter remède, sous peine de se perdre. Tout de suite. Maintenant.

Et il se mit en route : vers l'approfondissement de lui-même et du monde. Vers davantage de lucidité. Vers le renoncement,

Qu'est-ce que le monde ?

Nekhlioudov (peu importe ce qu'il a vécu avant), en fit connaissance à l'énoncé du verdict qui lui sembla monstrueux puisqu'il fit condamner une innocente par vice de procédure. Cela (et d'autres circonstances que je tais ici), occasionnera sa révolution intérieure.

Il décide instantanément d'amender ses errements passés en suivant la victime de l'erreur judiciaire dans son groupe de prisonniers en partance pour la Sibérie. Il multiplie ce faisant démarches, recours et services divers à ceux qui le lui demandent, développant un altruisme dont il se croyait incapable.

Bien que logé à l'hôtel dans les étapes du convoi, il est le spectateur atterré de l'ignominieux système carcéral russe sous les tsars : s'entassent en effet dans des geôles insalubres prisonniers de droit commun, prisonniers politiques, marginaux et illuminés religieux.

Dès le début il est brutalement immergé dans un monde où précisément l'immersion ne peut être que brutale, même pour un simple témoin.

C'est un univers où le travail de police est mal fait et soumis à des impératifs de visibilité : à défaut de grands délinquants, mieux vaut mettre à l'ombre un voleur à la tire de quatorze ans ou une prostituée sans défense ; ou alors de simples citoyens que l'incurie d'une administration a privé de leurs papiers sans qu'ils y soient pour rien ;

Où règne l'arbitraire absolu ;

Où celui qui juge est moralement plus vil que celui qui est jugé ;

Où, quand on n'a pas les moyens de se défendre, énormément d'erreurs judiciaires sont commises par des juges et des jurés inattentifs, occupés à leur digestion, ou simplement malveillants, par mépris ou par bêtise ;

Où les administrateurs, les politiques, les directeurs de prison, intercesseurs, garde-chiourmes sont corrompus ou incapables à eux seuls de résister à la putréfaction du gros corps social.

Sont mélangés pêle-mêle criminels de droit commun, hommes, femmes, enfants, nourrissons, pseudo prisonniers politiques n'ayant eu d'autre tort que celui de connaître un soit-disant «agitateur» ; tous dans des conditions sordides de promiscuité, de crasse, de malnutrition, de viols ou tentatives de viols ; proies des poux, des rats, et de la phtisie qui fond sur les prisonniers entassés.

Là-dessus est organisé un hallucinant voyage jusqu'au bagne où doivent se rendre à pied les détenus, quelque soient les intempéries, les maladies, l'avancement des grossesses, avec son cortège de cadavres semé dans l'indifférence générale au gré des haltes.
Les femmes sont séparés des maris, les enfants de leurs mères, les pères humiliés et battus devant leur progéniture.

On est dans l'enfer de Dante. Notre Saint héros suit un vertigineux parcours intérieur.

Le lecteur lui aussi en a le vertige.

C'est à cette fréquentation quotidienne de la prison et de la déportation, ainsi qu'à sa pratique intense de la méditation, de la réflexion et de l'altruisme, que Nekhlioudov devra de pouvoir donner un sens à sa vie.

Cette oeuvre est prométhéenne, Tolstoï a un souffle inouï. Il a, soixante-cinq ans avant Anna Arendht, élaboré, sans lui donner un nom, la théorie de la banalité du mal.

En effet, tous ceux qui infligent ces souffrances à leurs semblables, à leurs frères, sont pourtant des hommes. Chacun accomplit sa tâche selon son tempérament, sans voir l'inhumanité de l'ensemble. Chacun est responsable du seul petit rouage social dont le fonctionnement lui incombe, mais refuse de voir l'ensemble monstrueux.

C'est le principe de la dissolution de la responsabilité.

Voici la superbe analyse qu'en fait Tolstoï :

«Mais ce qui est particulièrement affreux,—se dit-il,—c'est que ces infortunés ont été tués sans que l'on puisse savoir qui les a tués. Ils ont été conduits à la gare, comme tous les autres prisonniers, sur un ordre écrit de Maslinnikov. Mais Maslinnikov, évidemment, s'est borné à remplir une formalité; on lui a apporté à signer une pièce rédigée dans les bureaux; l'imbécile y a apposé son plus beau paraphe, sans même s'inquiéter de ce qui y était écrit; et, pour rien au monde, il ne consentirait à se croire responsable des accidents qui viennent d'arriver. Encore moins pourra-t-on en rendre responsable le médecin de la prison, qui a passé en revue les déportés avant leur départ. Celui-là a ponctuellement rempli ses obligations professionnelles; il a mis à part et fait monter en voiture les prisonniers malades, et, sans doute, il n'a point prévu qu'on ferait marcher le convoi en plein midi, par cette chaleur, en foule compacte. le directeur? le directeur n'a fait, lui aussi, qu'exécuter les ordres de ses chefs; comme ceux-ci le lui ordonnaient, il a fait partir, à la date fixée, un nombre déterminé de prisonniers: tant d'hommes, tant de femmes. Impossible, également, d'accuser le chef du convoi: on lui a ordonné d'aller chercher des prisonniers dans un certain endroit et de les conduire dans un certain autre: c'est ce qu'il a fait, du mieux qu'il a pu. Il a dirigé le convoi aujourd'hui comme la fois dernière; et lui non plus ne pouvait guère prévoir que des hommes robustes et valides, comme les deux que j'ai vus, ne supporteraient pas la fatigue et mourraient en chemin. Personne n'est coupable; et cependant ces infortunés ont été tués, et tués par ces mêmes hommes qui ne sont point coupables de leur mort! «Et cela provient,—se dit ensuite Nekhludov,—de ce que tous ces hommes, gouverneurs, directeurs, officiers de paix, sergents de ville, tous ils estiment qu'il y a des situations dans la vie où la relation directe d'homme à homme n'est pas obligatoire. Car tous ces hommes, depuis Maslinnikov jusqu'au chef du convoi, s'ils n'étaient pas fonctionnaires, auraient eu vingt fois l'idée que ce n'était pas chose possible de faire marcher un convoi par une telle chaleur; vingt fois en chemin ils auraient arrêté le convoi; et, voyant qu'un prisonnier se sent mal, perd le souffle, ils l'auraient fait sortir des rangs, l'auraient conduit à l'ombre, lui auraient donné de l'eau; et, en cas d'accident, ils lui auraient témoigné de la compassion. Mais ils n'ont rien fait de tout cela, ils n'ont pas même permis à d'autres de le faire: et cela parce qu'ils ne voyaient pas devant eux des hommes, et leurs propres obligations d'hommes à leur égard, mais seulement leur service, c'est-à-dire des obligations qui, à leurs yeux, les dispensaient de tout rapport direct d'homme à homme.»

N'est-ce pas lumineux ?

A Nekhlioudov l'interprétation du Grand Livre des Écritures et de la vie sera enfin permise : et il ressuscitera.

Et comme les premiers chrétiens, il Vivra.

«Résurrection» fait partie des grands romans, comme «Les frères Karamazov», «Crime et châtiment»ou «l'Idiot» de Dostoïevski.Je n'ai d'ailleurs pas pu m'empêcher de comparer ce qu'est devenu le personnage de Nekhlioudov à l' Alioucha de «L'idiot»
.
Voici un roman politique, sociale et mystique de grande envergure.

Une de ces oeuvres dont on ne peut s'empêcher de ressentir, comme quand on écoute certaines symphonies, qu'elles ont toujours existé, et qu'elles n'ont fait qu'émerger à un moment de l'histoire, porté par un génie, tant elles sont parfaites.
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Le remord ronge Nekhlioudov dans Résurrection comme il ronge Raskolnikov dans Crime et Châtiment de Dostoïevski.
Le prince Dimitri Nekhlioudov culpabilisé par le souvenir de sa faute de jeunesse veut se racheter envers Katioucha Maslova fille de métayer.
Dandy dans sa jeunesse il devient ensuite activiste social. La relation entre ces deux êtres invite Léon Tolstoï à exposer sa vision de la religion ( un petit côté antechrist ) et des "serviteurs de l'État" traitant les êtres leurs semblables comme des objets après des jugement iniques.
Au cours des déportations, il rencontre dans les prisons les idéologues révolutionnaires marginalisés comme l'eût été Théodore Monod l'utopiste chez nos contemporains (enfin ... seulement coté utopie hein ! Monod était pacifiste amoureux du desert et n'a pas été en prison 😊)
L'amour, les attentes interminables , le doute les sempiternels questionnements , tout ce qui fait la vie apparaît sous la plume fluide de Tolstoï.
Ce roman publié en 1899 n'a pas pris une ride, posant les questions sur l'homme , son avenir.
Considéré comme la troisième oeuvre de Léon Tolstoï après Guerre et Paix ; Anna Karénine , cette chronique romanesque au début devient militante à la fin contre un système tyrannique qui, sous prétexte de protéger la société ne fais que perpétuer et accroître les maux qui la ronge.
Tolstoï , comme Shakespeare restera un monument de la littérature. Cette humilité dans son écriture révèle quelque chose de plus fort de plus puissant d'intemporel !
Ces petit plus indescriptibles qui font les grands écrivains.
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