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sur 177 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Résurrection est peut-être le plus dostoïevskien des romans de Tolstoï : il y est question de Crime et de Châtiment, de pauvres Gens, de Souvenirs de la Maison des Morts (la déportation et le bagne de Sibérie), d'un Idiot (à tout le moins un prince que les gens de son milieu jugent tel) et d'un savoureux mélange politico-religieux qui n'a rien à envier aux Possédés.

Pourtant, c'est assurément le plus personnel des romans tolstoïens : le héros, Nekhlioudov, est tellement imprégné, nourri, imbibé du véritable Tolstoï que c'en est touchant, troublant même. Est-ce une fiction ? Est-ce une autobiographie ? Un roman ? Un essai politique ? Je crois bien qu'on y est constamment sur la ligne de partage des eaux.

Résurrection ne jouit pas d'une aussi grande réputation qu'Anna Karénine ou que La Guerre et la Paix. Est-ce à dire qu'il est moins bon ? C'est toujours très difficile de se positionner là-dessus. En ce qui me concerne, je crois qu'effectivement, cette réputation moindre est justifiée, en revanche, l'écart de réputation entre cet ouvrage et les susnommés, lui, ne me semble pas justifié. Car il ne s'en faut tout de même pas de beaucoup pour que Résurrection aille tenir la dragée haute à Anna Karénine.

C'est surtout la troisième partie, qui, d'après moi, a le ventre un peu trop mou. Tolstoï, qui courait si vite, qui courait si bien dans les deux premières parties, a absolument tenu à franchir un terrain difficile, particulièrement meuble (donc très risqué d'un point de vue romanesque) et ses pieds se sont malheureusement un peu englués dans la vase qui colle.

Il a quitté ce qui fait la moelle et les artères d'un écrit romanesque pour basculer franchement dans l'écrit engagé politique et sociétal. À sa façon, ce roman se rapproche d'un livre à la 1984 de George Orwell. On sent bien, on sent trop que le destin, la relation de Maslova avec Nekhlioudov n'intéresse pas vraiment l'auteur. Ce n'est qu'un prétexte à tenir son propos engagé contre les institutions que sont les tribunaux et les prisons, contre cette organisation sociale inégalitaire et injuste, qui place l'aristocratie terrienne au pinacle et ceux qui font effectivement le travail, au quatrième sous-sol, malheureux comme les pierres.

Je partage son propos mais, en tant que lectrice, mes appétits romanesques sont un petit peu déçus par cette fin qui ne s'appelle pas une fin mais plutôt botter en touche. Qu'on s'appelle Tolstoï ou non, le roman ne peut pas être qu'un prétexte à l'essai politique ou philosophique, ou alors mieux vaut choisir une autre forme que le roman. C'est ce qui pénalise, d'après moi, Clarisse Harlove de Richardson, c'est ce qui me déçoit un peu dans 1984 et tous les romans de ce genre : le roman doit avoir une fin romanesque. L'émotion suscitée ne peut pas être bonne à tout faire et surtout n'être bonne qu'à porter une réflexion : émotion et réflexion sont comme l'huile et l'eau. L'ossature du roman, ce sont les personnages, si l'on se désintéresse à la fin des personnages, alors, mécaniquement, on se désintéresse un peu du roman également.

Dans le dernier tiers de Résurrection, après avoir fait tant monter sa mayonnaise, Tolstoï ne nous fait presque plus percevoir ce que ressent Maslova. Or, c'est elle et sa relation avec Nekhlioudov qui nous intéresse, nous les lecteurs du roman. Les lecteurs de l'essai dans le roman, c'est autre chose, cela reste intéressant, bien qu'en ce qui me concerne, il prêchait une convaincue. Non, on aurait voulu autre chose entre elle et lui, quelque chose qui nous eût fait fondre en larmes ou empli d'allégresse, quelque chose qui nous eût fait croire que décidément, la vie est mal faite, injuste ou belle, que ces deux-là sont passés à un cheveu du bonheur, ou d'un malheur bien pire, que sais-je ? mais quelque chose en tout cas, qui vienne clore notre investissement émotionnel. C'est comme d'allumer des bougies sur un gâteau sans avoir la joie des les souffler, c'est frustrant.

Et cette émotion ? Et cette histoire ? Quelle est-elle ? Nekhlioudov, aristocrate oisif, prince russe de vieux lignage (exactement comme l'était Tolstoï) qui après avoir fréquenté les armées du tsar s'essaie à l'art en amateur en regardant grossir son ventre d'année en année. Il est plus ou moins promis à un mariage avec la belle mais très superficielle Missy, fille des très opulents, très influents Kortchaguine. Il hésite, sentant vaguement que cette alliance sera pour lui comme une corde au cou.

Un petit événement va venir gripper quelque peu cette belle mécanique, bien huilée des convenances et du mode de vie de l'aristocratie pour Dimitri Ivanovitch Nekhlioudov. En effet, celui-ci va être désigné juré dans une affaire d'empoisonnement impliquant un marchand, une prostituée et des hôteliers. Nekhlioudov souhaite faire de son mieux, mais, pour dire le vrai, cette histoire ne l'intéresse pas plus que ça, jusqu'au moment où…

… il s'aperçoit que la prostituée en question est une vieille connaissance à lui. Il l'a connue des années auparavant. Il la savait orpheline et recueillie par ses tantes. Il sait, il se souvient, même si c'était dans une autre vie, qu'il l'a trouvée jolie, qu'il l'a désirée, qu'il l'a aimée, même. Il se souvient encore qu'il l'a séduite, qu'il a obtenu d'elle ce que les hommes aiment obtenir des femmes et qu'il l'a ensuite laissée tomber comme une vieille chaussette qui pue. Pourtant, au fond de lui, il l'aimait. Et elle, elle l'adorait, elle se serait tuée pour lui…

Lui était reparti dans son régiment… Elle… Elle était enceinte. Et une jeune femme enceinte, en dehors des liens sacrés du mariage, dans une famille aristocratique et très respectable, ça ne se peut pas, si bien que la jeune femme fut chassée quand la « faute » fut devenue manifeste. Elle alla par les chemins, chercha à se faire employer à droite à gauche mais, décidément, victime de sa trop grande beauté, les hommes ne souhaitaient l'employer que comme Nekhlioudov l'avait fait.

De déconvenues en déceptions, de déceptions en dépravations, Catherine, Katioucha comme on l'appelait chez les tantes, devient peu à peu Maslova, la prostituée affriolante qu'on s'offre pour trente roubles dans une maison prévue à cet effet. Quel choc pour Nekhlioudov ! Cette jeune fille, cette Katioucha, qu'il avait connue si pure (le prénom Catherine évoque, d'ailleurs, étymologiquement, cette pureté), si belle, si réservée, si morale, cette Katioucha qui est devenu cette Maslova, qui a ce regard hardi, qui tient si fièrement sa grosse poitrine en avant et qui sourit aux hommes d'un air de dire : « Veux-tu monter, beau gosse ? »

Que se passe-t-il dans le coeur d'un homme quand il assiste à cela ? Que se passe-t-il dans le coeur d'un homme qui a fait tomber une jeune fille irréprochable le jour de Pâques, le jour de la résurrection du Christ ? Que se passe-t-il lorsqu'un homme, un artiste, qui se croit juste et raffiné est mis en face de son « oeuvre », est mis en face de son animalité, de son inconséquence, de son immoralité, mis en face de ses responsabilités vis-à-vis de la société ?

Mais que peut un homme ? Même un Nekhlioudov, même un prince de sang face à un système qui a mis en place toutes sortes de garde-fous pour se préserver lui-même, pour se légitimer ? La justice, les tribunaux, les prisons, des fonctionnaires, des ministres, des forces de l'ordre… Quelle justice ? Forces de quel ordre ? Ce monde inique où celui qui s'use au travail à tout juste de quoi se nourrir et se vêtir tandis que ceux qui bénéficient de son travail se vautrent dans l'oisiveté et ne savent que le mépriser ? L'ordre qui trouve immoral de voler, de tuer, de se prostituer mais qui lui même fait quoi de ses journées ? Les possédants font-ils autre chose que de voler, de tuer, de se prostituer pour accroître encore l'étendue de leurs possessions ?

Évidemment, le propos de Tolstoï est toujours valable aujourd'hui et plus que jamais. On bourre les prisons de gens qui n'auraient probablement jamais versé dans la délinquance s'ils avaient eu des chances de prospérer par d'autres biais. Au nom de la moralité on enferme celui ou celle qui se rend coupable d'un braquage mais au nom de la moralité on déroule le tapis rouge aux banquiers, aux assureurs, aux rentiers par décision d'État qui pratiquent le vol légalement et à grande échelle. On stigmatise celui qui a tué quelqu'un avec une arme à feu mais que font nos armées au Mali, en Syrie ou ailleurs ? J'imagine que nos soldats cultivent la pâquerette et le pissenlit au Mali. Dans l'intérêt de qui ? du peuple français ? du citoyen lambda ou de M. AREVA ? George Bush qui a fait butter je ne sais combien d'innocents irakiens a-t-il eu à répondre de ses crimes ?

À quoi aboutit ce bourrage des prisons ? À une amélioration du comportement de ceux qu'on y envoie ? le peuple est-il mieux protégé grâce à elles ou plus en danger ? Aujourd'hui comme hier, en Russie comme partout ailleurs, la seule façon de juguler la violence est d'instaurer la justice sociale, de donner une vraie place à chacun et de suivre avec humanité ceux qui relèvent effectivement de la pathologie. Or, j'ai peine à croire que tous ceux qui peuplent les prisons relèvent de la pathologie ; certains, sans doute, mais sûrement pas la majorité.

Investir dans la réhabilitation des individus dangereux plutôt que de les concentrer dans une pétaudière insalubre où l'on ne cultive que leurs plus abjectes facettes. Car, tous les hommes ont des facettes néfastes et des facettes admirables, tous. Même les criminels ont des qualités admirables.

À titre d'exemple, souvenons-nous du siège de Sarajevo dans les années 1992-1995 : lors de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, ce sont, pour l'essentiel, des délinquants, des criminels bosniaques qui ont défendu Sarajevo face aux Serbes. Je le répète car cela peut paraître incroyable : une minorité de délinquants et de criminels bosniaques ont sauvé du massacre une majorité d'honnêtes et paisibles bosniaques, qui les méprisaient auparavant et qui rêvaient de les voir croupir en prison… Je vous laisse méditer là-dessus car, de toute façon, ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Dans Résurrection, Tolstoï mêle intrigue romanesque et réflexion philosophique, politique et métaphysique, à l'instar de Dostoïevski dans ses oeuvres. Résurrection est moins connu que les autres romans de Tolstoï mais c'est une oeuvre touchante, bouleversante, qui m'a laissé une forte impression et qui aide à mieux comprendre les causes historiques de la révolution de 1917, en Russie.

Nekhlioudov est juré à un procès d'Assises et découvre qu'il connaît une des accusées : Maslova. Elle est en fait Katioucha qui travaillait comme domestique chez ses tantes quand il était jeune homme. Ils sont tombés amoureux et Nekhlioudov a fait perdre à Katioucha sa virginité. Les convenances lui interdisaient de l'épouser car elle n'était qu'une servante. Il a donc fait ce que tout gentleman fait en la circonstance : il l'a dédommagée en lui donnant de l'argent et a ainsi fait d'elle une prostituée, gâchant leur amour pur et innocent au début. Katioucha s'est retrouvée enceinte, s'est fait renvoyer, a perdu l'enfant, mort à cause de la misère et sa descente aux enfers a commencé. Les hommes la poursuivaient de leurs assiduités car elle était belle, elle a fini par renoncer définitivement à sa vertu pour vendre son corps et vivre dans une maison close. Accusée de vol et de meurtre avec préméditation, elle est en réalité innocente et s'est retrouvée piégée par des domestiques cupides qui voulaient dépouiller son client.

Nekhlioudov se sent coupable de la chute de Katioucha. À cause d'une erreur de procédure, elle est condamnée par le jury qui ne répond pas correctement aux questions posées, bien qu'il soit persuadé de l'innocence de l'accusée. À partir de ce moment, Nekhlioudov va faire tout ce qu'il peut pour tenter de casser ce jugement, il promet à Katioucha de ne pas l'abandonner et va même jusqu'à la suivre en Sibérie. Il s'engage personnellement pour sauver à la fois Katioucha et lui-même, il cherche le chemin de la rédemption, le pardon pour les fautes qu'il a commises.

En Sibérie, il rencontre des détenus politiques emprisonnés pour leurs idées révolutionnaires. Il fait la distinction entre les révoltés contre un système injuste et les idéologues qu'il n'aime pas car ils sont arrogants et méprisent le peuple. Propriétaire terrien, il culpabilise. Inspiré par des théories socialistes, il pense que l'idée de justice est inconciliable avec la propriété du sol. Aussi décide-t-il d'avoir enfin le courage d'abandonner une partie de ses domaines aux paysans avant de suivre Katioucha en Sibérie. Les paysans sont méfiants et réticents car, selon eux, les grands propriétaires fonciers ne cherchent que leurs intérêts. Cette décision inhabituelle est, pour eux, incompréhensible.

Nekhlioudov apparaît ainsi comme un homme de bonne volonté, qui incarne, au-delà de l'idéologie, une certaine forme de bonté. Peut-être celle dont parle Vassili Grossman dans Vie et Destin, celle qui peut vaincre le mal au-delà des théories politiques et dogmatiques. Grâce à ses idées, Nekhlioudov essaie de faire le bien. Les idées ne le poussent pas au crime comme c'est le cas pour Raskolnikov, célèbre personnage tourmenté, inventé par Dostoïevski. J'ai bien aimé aussi le personnage de Katioucha qui rêve de pouvoir enfin avoir une vie normale auprès d'un homme qui éprouverait pour elle un amour sincère et non de la pitié ou de la culpabilité. Comme Jean Valjean dans Les Misérables de Victor Hugo, elle est victime d'une société qui ferme les yeux sur la misère atroce du peuple.

Ce souci du peuple, dans cette oeuvre, m'a beaucoup plu, ainsi que la satire virulente et subversive des institutions : judiciaires, religieuses, la propriété privée des terres aux mains de quelques grands propriétaires. Tolstoï effectue une peinture pertinente de la société russe de la fin du XIXe siècle, dont l'organisation injuste a mené à la révolution de 1917. Il réfléchit sur la notion de justice telle qu'elle est exercée par les hommes et s'oppose aux châtiments que les hommes font subir à leurs semblables en son nom. Qui sommes-nous pour juger nos semblables ? Dieu ? Sa critique féroce de l'Église en tant qu'institution ne l'empêche pas de revendiquer un retour aux sources de l'évangile qu'il cite en épigraphe et en conclusion. Nekhlioudov constate que, si les hommes suivaient davantage les enseignements du Christ (le sermon sur la montagne), il y aurait moins d'atrocités et de laideurs dans notre existence car elle serait régie par l'amour du prochain, même envers nos ennemis. le titre, Résurrection, est une référence explicite à Jésus-Christ et est aussi la renaissance de Nekhlioudov qui veut essayer de vivre enfin en harmonie avec ses principes, même si cette attitude doit le faire passer pour fou aux yeux de la société.

Même si j'ai une préférence pour la vision souvent pessimiste et les personnages tourmentés de Dostoïevski parce qu'ils annoncent, d'une façon plus réaliste selon moi, les grands drames du XXe siècle (deux guerres mondiales, les camps, les goulags, la mort des utopies), j'ai apprécié la vision idéaliste de Tolstoï dans ce livre qui laisse une place bienvenue, surtout de nos jours, pour la foi en l'homme, en sa capacité à changer les choses de manière positive. N'avons-nous pas encore besoin d'espoir, d'espérance qui effaceraient la désespérance et redonneraient foi en l'être humain et en l'avenir ? Ces problématiques me semblent toujours d'actualité.
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J'ai tenté une incursion dans le XIXe siècle russe avec ce pavé de Leon Tolstoï qui semble-t-il n'est pas le plus connu. J'ai lu "Résurrection" avec beaucoup de difficulté malgré ma fascination pour la forme, le fond et le style. J'ai découvert un univers désenchanté, effrayant mais réaliste, même si parfois, je me suis un peu ennuyée. C'est un roman à dimension sociétale où les questions de classe se cristallisent dans ce siècle de tous les dangers. Tolstoï rend compte de la violence institutionalisée en Russie représentée par le tsar et une noblesse oisive et corrompue. Pour conserver cette existence, on violente, on emprisonne, on affame, on tue tout un peuple.
Nous faisons la connaissance d'un microcosme de captifs, où les condamnés de droits commun fréquentent les opposants politiques et les femmes de mauvaises vies. Nous rencontrons Maslova en prison avant son jugement pour meurtre. Maslova est une enfant naturelle, belle et pauvre qui a survécu grâce à l'intervention d'une de deux vieilles demoiselles pour lesquelles travaillait sa mère. le second protagoniste est le prince Dimitri Ivanovitch Nekhlioudov, dont le corps blanc, parfumé et musclé est déjà alourdi par la graisse. Son linge est propre et repassé, ses bottines brillent comme des miroirs. Il vit confortablement dans un bel appartement dont il a hérité récemment après la mort de sa mère. Les deux personnages se croisent au tribunal. Maslova, en tant qu'accusée et Nekhlioudov, en tant que juré. le prince se souvient de la jeune fille qu'elle était à 17 ans, chez ses tantes. Une première fois, leurs jeux sont innocents. La seconde fois, dépravé par ses années à l'armée, Nekhlioudov cède à ses désirs.
Une erreur des jurés condamne Maslova à la déportation. Ce procès indigne jette à la figure du prince toute sa vie passé et présente pervertie et creuse. le voile se déchire. Il prend conscience des grandes inégalités de la société russe. S'engage alors une transformation de tout son être, ses pensées et ses actes.
Tolstoï est un écrivain talentueux. Il réussit à investir chaque personnage (principaux et secondaires) avec justesse jusque dans les moindres détails physiques et moraux. Il décrit avec précision les rouages de la machine judiciaire, le rôle de l'Eglise orthodoxe acquise au tsar, l'opposition entre la ville et le monde rural, les conditions misérables dans lesquelles sont asservis les paysans, la répression des opposants et des intellectuels. C'est une sorte d'éveil moral et spirituel.
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Résurrection narre le voyage initiatique d'un bourgeois qui abandonne sa classe et découvre avec horreur sa propre imposture, dans un récit mené de main de maître. On y retrouve l'extraordinaire talent de Tolstoï pour mettre ses personnages face à leurs contradictions, leur renvoyer leur égoïsme naturel et ainsi les forcer à étaler leur cynisme. C'est particulièrement apparent dans les descriptions qu'il fait des relations entre les Hommes, où chacun cherche à extirper son plaisir et son intérêt, quitte à agir sans noblesse ni vertu.

Profondément contrit par la faute originelle qu'il a commise sur une de ses servantes, la faisant tomber dans la dépravation, le prince Nekhlioudov décide de tout faire pour se racheter en la suivant dans sa déportation vers la Sibérie.

À travers son repentir, le prince met à jour le système de domination sociale institutionalisée dans la société russe, l'inégalité de traitement et de justice entre riches et pauvres. C'est une critique systémique de la mainmise de la bourgeoisie sur les institutions supposées protéger le peuple que Marx ne renierait certainement pas !

Malgré l'évidente injustice de la situation que Nekhlioudov découvre, une sourde dissonance cognitive l'assaille. Il doute souvent, peine à être un véritable traître à sa classe et garde malgré lui un véritable amour de l'argent, des femmes de la noblesse, du raffinement aristocratique.
Merveilleusement décrit, il oscille entre la candeur inconsciente du nanti bien pensant et l'hypocrisie du bourgeois matérialiste.

Ce qui est particulièrement intéressant à observer dans ce récit, c'est la déception qu'il ressent alors qu'il s'attend systématiquement à recevoir de la part des pauvres qu'il aide une gratitude intense, dans une attitude tout à fait pharisienne.

C'est donc une vraie fable marxiste et révolutionnaire, tragique de par le destin terrible auquel les prisonniers sont voués, demeurerant pourtant résolument optimistes. En effet, les détenus ne sont ni tristes ni abattus, ils vivent avec chevillée au corps la foi en la Révolution et l'avènement d'un monde plus équitable et plus juste.

L'on navigue ainsi entre les détenus politiques s'écharpant sur les conditions de vie auxquelles les paysans pourraient aspirer si la révolution advenait, les couples emprisonnés qui continuent de faire vivre leur amour malgré la promiscuité, les femmes qui suivent leur mari injustement emprisonné, etc.

Tolstoï dénonce la culture du vice et de l'immortalité qui règne dans les prisons, résultat des sévices avilissants et des humiliations inexplicables infligées à des détenus la plupart du temps innocents, seulement coupables d'être pauvres, et que l'administration pénitentiaire déprave alors même qu'elle prétend les sauver.

À la fin de la narration de la conversion typiquement chrétienne du héros, Tolstoï prône pour finir un anarchiste judiciaire, citant longuement l'Évangile de Saint Matthieu pour affirmer que l'homme ne peut juger l'homme puisque chacun est coupable envers tous.
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Au coeur de la Russie du XIXe siècle, un homme se sent coupable d'avoir conduit une femme qu'il a aimée vers la déchéance, et va alors tout tenter pour parvenir à la rédemption.
On pourrait dire de prime abord que le récit comporte quelques longueurs, mais quelle satisfaction, une fois que la lecture est finie! C'est une satisfaction pour moi, car il ne s'agit pas d'une simple histoire d'amour ou de ce dans quoi on voudra bien la ranger; pour moi, l'histoire n'a été en fait qu'un prétexte pour l'auteur de mener une réflexion sur les conditions de détention des malfaiteurs dans les prisons russes, et sur le déroulement des procès. Il s'agit d'un gigantesque pamphlet sur la justice, et en même temps une vaste critique du statu quo de la société, qui se voudrait une prémisse à la lutte des classes, où sont ridiculisés les représentants de l'aristocratie. On sent bien en filigrane la voix de Tolstoï qui parle derrière sa plume. Et en même temps, on s'attache aux personnages, on a envie de savoir la suite, d'arriver au bout pour enfin savoir ...
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Étrangement Léon TOLSTOÏ (1828-1910) a écrit peu de romans. Si nombre de ses nouvelles pourraient aujourd'hui, par leur ampleur, figurer au nombre de ce format, seulement une poignée se voit en être attribuée, parmi lesquels « Résurrection ».

« Résurrection » est un roman ample, typiquement russe, avec ses intrigues, ses longues séquences d'amour, sa pléthore de personnages, son contexte historique. La Maslova, Katucha, est une prostituée condamnée pour meurtre suite à un procès irrégulier conté par l'auteur, gâché par les jurés dont faisait partie Nekhludov, un homme qui a aimé Katucha 10 ans plus tôt. Il va tout mettre en oeuvre pour la faire reconnaître comme innocente et la sauver du bagne.

Comme souvent chez TOLSTOÏ, on tergiverse, on souffre mentalement, on se flagelle beaucoup. Car ce Nekhludov, touché par la grâce, cherche la rédemption en vue d'une purification pour donner un sens à sa vie. Après des années de débauche, il veut se racheter et faire le bien sur terre. Avec une foi touchant au mysticisme, son but est de distribuer le bonheur, non sans un discours anarchiste, puisqu'il veut entre autres, lui le barine, rendre ses moujiks propriétaires de ses propres terres. « le projet de Nekhludov partait d'un désir de renoncer à son intérêt personnel pour l'intérêt des autres ».

Vous l'aurez aisément compris, Nekhludov est le double de TOLSTOÏ, dont la volonté de créer une religion nouvelle et mystique, le Tolstoïsme, son « anarcho-christianisme » à son paroxysme en cette fin de XIXe siècle. Nous sommes alors en 1899, il termine « Résurrection » à la toute fin de cette année-là. Nekhludov est son moi propre qu'il affirme, scrutant ses personnages de manière psychologique voire psychanalytique. Katucha est une femme qui s'enivre, qui se salit physiquement comme moralement, qui sait charmer pour obtenir ce qu'elle veut, et son double à lui, l'auteur, cherche à la replacer sur le droit chemin, celui de la rédemption, et donc de la Résurrection. Nekhludov se sacrifie pour la Maslova, veut l'épouser, ce qu'elle refuse, la suit lors de ses voyages entre deux détentions, le but ultime étant une déportation en Sibérie.

Nekhludov, dans ce besoin de produire le bien, est un être irritant car surenchérissant dans une bienveillance touchant à l'envahissement. Cherchant à tout prix à se purifier, il semble vouloir purifier de ce fait la terre entière. Mais ne vous méprenez pas pour autant : « Résurrection » est un très grand roman de TOLSTOÏ. Oui, malgré tout ce que je viens de décrire, cette histoire est bouleversante, notamment par la description des conditions de détention des prisonniers russes sous le tsarisme, mais pas seulement. L'étude des personnages est poussée, la doctrine chrétienne est finement déployée même si elle tourne à une sorte de caricature du bien « à tout prix ». Quant à la morale anarchiste, elle est parfaitement en place, elle représente les revendications et les postures de TOLSTOÏ à cette époque.

La traduction que j'ai lue est signée Teodor de WYZEWA, mais comme vous le savez, rien n'est simple dans les retranscriptions de la littérature russe classique. En effet, nous trouvons plusieurs traces de traductions de ce texte sous cette signature, mais différentes… Il en existe au moins deux, pas tout à fait similaires, et surtout le texte n'est pas découpé de la même façon pour les chapitres, les noms des personnages sont également modernisés (ce qui ne cesse d'ailleurs d'évoluer dans les traductions de littérature russe), de quoi devenir chèvre. J'ai pour ma part utilisé la version disponible gratuitement sur Wikisource.

« Résurrection » est de ces classiques amples, forts, malgré des longueurs (600 pages tout de même), de nombreuses redites, mais il vaut largement l'expérience de lecture. Il est une fresque que l'on a du mal à lâcher, un roman d'une grande profondeur, sans doute novateur pour son époque par ses thèmes et en tout cas pour la manière de les présenter. Et au risque d'en choquer, je rajouterai qu'il en ressort un ton particulièrement Dostoïevskien (dans le mysticisme, la souffrance, les éléments féminins, les contradictions, la lutte pour Dieu ou contre son absence, etc.), et c'est sans nul doute le plus Dostoïevskien des textes de TOLSTOÏ, il est d'une grande puissance, d'un grand aboutissement, il me paraît l'un des chaînons incontournables de l'oeuvre.

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On aurait pu croire que les goulags sibériens étaient une invention de Lénine... que nenni, les prisons du Tsar dégorgeaient avec une telle abondance qu'il fallait bien réaliser des purges humaines. Il faut dire que la justice était plutôt expéditive quand on était de petite condition.

c'est ainsi que le prince Nekhlioudov va, par le plus grand des hasards retrouver cette jeune servante qu'il engrossa et qu'il abandonna contre 100 roubles dans sa jeunesse, dans un tribunal où il fait partie du jury.
Katioucha (tel est le nom de la demoiselle) a pris quelques rides aux coin de ses yeux rieurs, mais elle est toujours bien jolie et le prince se prend de remords pour son comportement passé.
Malgré son innocence avérée lors de ce procès où elle est accusée de meurtre la justice est borgne et l'envoie respirer l'air pur des contrées sibériennes.
Nekhlioudov va alors commencer des démarches pour aider la jeune femme.

Dernier "grand roman" de Tolstoï et peut-être le moins apprécié il n'en demeure pas moins une intéressante critique politique qui met en relief un aspect sentimental hors du commun pour l'époque.

Agréable lecture





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un des romans majeurs de Tolstoi cette histoire nous plonge dans la face sombre de la russie du debut du siecle avec cette plongee dans les prisons russes et l'nfer des detenus.UN grand livre de fiction à decouvrir sans tarder !
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