Quand un juge ultra-médiatisé, ex-patron du pôle anti-terroriste, décide d'abandonner les tribunaux, les essais littéraires et les plateaux télés pour s'essayer au roman grand public, je me dis ouille ouille ouille, on l'a perdu. Et de m'arracher sauvagement les cheveux : encore un qui s'éparpille, s'en est fini de sa crédibilité, moi qui l'aimais bien il a tout brisé entre nous. Et de m'emballer : Trévidic t'es foutu, Babélio est dans la rue. Puis je retrouve la raison : tiens, si je lisais le bouquin plutôt que douter et critiquer le bonhomme? Pas idiot ça. Puis la calvitie ne m'ira pas de toute façon.
Et... Quand un juge ultra-médiatisé, ex-patron du pôle anti-
terroriste, se sert de la fiction à des fins de vulgarisation et de sensibilisation sur un sujet aussi sensible que le fanatisme religieux et l'endoctrinement, je m'incline alors bien bas et réimplante mes cheveux.
Marc Trévidic se révèle un excellent conteur. Et rien n'échappe à son regard expert. En situant son roman sur plus d'une dizaine d'années dans la Tunisie de Ben Ali jusqu'à sa chute, il confirme adroitement que la menace des fondamentalistes fanatiques plane de longue date, les loups étant tapis dans l'ombre prêts à bondir à la première occasion, et soutenus par une effarante logistique. Ce roman est notamment un bon prétexte pour pointer de la plume l'incroyable et impitoyable organisation de ces extrémistes. A travers le personnage d'Issam, frère d'
Ahlam, fragilisé par la mort de sa mère et tiraillé entre une famille pourtant aimante et bienveillante, un avenir prometteur loin des turpitudes tunisiennes, et des "amis" salafistes, Trévidic décortique patiemment la lente radicalisation des plus fragiles et l'impact sur leurs proches.
Et il excelle sur ces passages. Fort de son expérience de terrain, il met en exergue les techniques d'enrôlement des filières djihadistes, le djihad médiatique et ses montages vidéos visant une propagande de masse, la manipulation par le discours et l'image.
En parallèle, le roman appuie sur les faibles recours des proches, spectateurs impuissants et otages de la métamorphose de leur fils, frère, ami, de leur Tunisie toute entière. Se résigner, fuir ou lutter. Les armes (bien dérisoires mais ô combien symboliques) d'
Ahlam et Paul : l'amour, la peinture, la musique. le climat bienveillant du début se dégrade au fil des pages pour faire place à un âpre combat entre le monde de l'art et la menace extrémiste.
Out donc le jargon juridico-politico-magistratico-toutrukenco. le style est propre, soigné, l'écriture appliquée, quelques touches de poésie pimentent le récit et une quiétude colorée se dégage finalement des décors tunisiens en opposition à une violence latente.
Plutôt réussi donc. Et zut. Je me suis arrachée les cheveux pour rien. Aucune matière à râler, mea maxima culpa, la crédibilité de monsieur le juge est sauve.