Adèle van Reeth est une philosophe. C'est son métier. Et t'as beau tourner la biscotte dans tous les sens, un philosophe, faut toujours que ça mette des citations compliquées dans les phrases... Et puis, j'aurai toujours en mémoire le souvenir ému de Mme Bergère, ma prof de philosophie de Terminale.
Elle avait autour 40 ans mais en paraissait 60. Elle avait les cheveux grisonnant, la même blouse bleue grise que celle que ma grand-mère portait du lundi au samedi (le dimanche, on s'habillait bien, c'était jour de messe) et un petit peu de moustache. Elle avait aussi des "souliers". Oui, des souliers... C'est comme ça qu'on appelait des chaussures de ville en 1930-40. Sauf qu'on était en 1994. Maintenant, on dit sneakers urban style. Deux salles, deux ambiances.
Quoi qu'il en soit Mme Bergère avait du courage. Elle tentait d'expliquer les concepts de base de la philosophie à des élèves qui ne pensaient qu'à faire des concours de lancers de boulettes de papier dans la poubelle dès qu'elle avait le dos tourné. A chaque panier réussi, le lanceur se voyait octroyer le droit de pousser un bêlement discret (lien avec la bergère, tout ça) mais suffisamment audible pour faire marrer toute la classe. Autant dire que le respect n'était pas une notion philosophique très maîtrisée par notre troupeau d'adolescents boutonneux au rire gras.
Adèle van Reeth est donc une philosophe. Je ne sais pas si elle ressemble à Mme Bergère mais en tout cas, son livre "
la vie ordinaire" parle de sujets atemporels : le sentiment de banalité de la vie et surtout l'amour maternel. Difficile de dire si le texte est autobiographique. En tout cas, il est très intime.
Adèle (on va dire que c'est le prénom de la narratrice de l'histoire) est un peu blasée de la vie. Une vie qu'elle trouve un peu fade, un peu trop ordinaire.
Elle s'est plutôt bien intégrée auprès de son compagnon et des enfants de celui-ci. Sauf que ce petit coquin a eu une vie sentimentale agitée. D'un tempérament sans doute un peu queutard, il s'est montré dans le passé assez peu enclin à la stabilité. Il a eu trois enfants de trois précédents mariages. L'efficacité personnifiée. Grand chelem en perspective.
Et quelque part, Adèle se dit qu'elle n'a pas vraiment besoin d'avoir d'enfant. Elle a déjà suffisamment à faire dans cette famille recomposée. Et puis, quatre enfants, ne serait-ce pas un peu trop pour son compagnon ? Elle les aime ces enfants même si ce n'est pas les siens. Mais, au fond d'elle, elle se demande quand même ce que ça ferait d'être enceinte, d'être une maman.
Et Adèle pense. Elle réfléchit. Elle ne fait que ça. Elle rumine la banalité de sa vie. Mais en faisant référence à quelques citations de philosophes célèbres quand même. On ne se refait pas.
Une vie ordinaire est-elle inévitablement synonyme d'ennui, de monotonie ? Qu'est-ce que ça changerait si elle avait un enfant à elle ?
Et puis finalement, un jour, elle va arrêter de se poser cette question. Un jour pas fait comme les autres, voilà que deux traits apparaissent sur le test de grossesse. Et c'est le top départ d'une déferlante de nouvelles sensations et, évidemment, de son lot de questions qui va avec.
Adèle nous racontera avec moultes détails ses longs mois de grossesse, son accouchement, cette garce de sage-femme, la naissance de son petit garçon : cette fameuse première rencontre pleine d'émotion avec un être qu'elle a senti grossir dans son ventre. Ce petit bonhomme qu'elle connaît si bien, tout en ne l'ayant jamais vu.
Il y a une vraie authenticité dans sa manière de décrire ce qu'elle ressent. Ses sentiments, ses sensations, ses hauts et ses bas... tous ces moments insignifiants de la vie quodienne, de déprime routinière.
Une vie ordinaire qui nous ramène à notre condition de pions interchangeables, dans laquelle il est si facile de se perdre, de se sentir seul. Une femme parmi tant d'autre. Une mère parmi tant d'autres. Parmi la foule elles sont toutes les mêmes, ils sont tous les mêmes. Et pourtant, peut être pas pour ce petit bout de choux, ce petit bout d'elle-même si fragile pour qui elle est tout, et vice-versa. Elle n'est plus seule dans cette immensité de gens insignifiants. Elle est désormais unique, au moins pour quelqu'un.
Des questions, elle s'en pose à longueur de journée. Sur tout et surtout sur n'importe quoi. Elle m'a retourné la tête avec toutes ses interrogations, jusqu'au point de me faire moi-même me poser des questions que je ne m'étais jamais posées.
La première d'entre elles, pourquoi Mme Bergère ne disait rien quand le troupeau de chèvres se mettait à bêler pour un magnifique panier à 3 points ?
C'est peut être ça la philosophie. Permettre d'avoir la hauteur d'esprit nécessaire pour supporter la bêtise humaine.
Elle avait peut être raison, Mme Bergère, de laisser ses blancs moutons se mouiller quand il pleut.
Mme Bergère, vous êtes ma nouvelle idole.
(zut, j'ai raté mon lancer franc. Ouaf ouaf)
scob.