La vie de Rembrandt.
Si le génie de Rembrandt se libère de son milieu et de son temps, fatalement la vie quotidienne l’y rattache. Elle l’enveloppe et le cerne comme pour le pénétrer.
Pendant la période de formation et de recherches, elle l’envahira ; mais dès que le peintre se sera conquis, c’est-à-dire dès qu’il sera le Rembrandt que nous étudions, il luttera avec elle, la reléguera aussi loin de lui que possible, se créera en pleine réalité âpre, une existence de rêve, une existence fastueuse, imaginaire et folle, qu’un jour il lui faudra abandonner comme un failli, comme un vaincu. Tel aura été le résultat de son inassimilation à son milieu.
Rembrandt naît à Leyde, le 15 juillet 1606, près des remparts, sur un des bras du Rhin qui traverse la ville. Ses parents ? Harmen Gerritszoon (c’est-à-dire fils de Gerrits) et Neeltgen Willemsdochter (c’est-à-dire fille de Willem). Il est leur cinquième enfant. Harmen Gerritszoon est un bon bourgeois. Il veut que son fils, dans un milieu universitaire, soit un savant, « serve par sa science la cité et la république ». Rembrandt regimbe, refuse de se courber sur les livres. À treize ans, il entre dans l’atelier de Jacob van Swanenburgh, peintre médiocre, dont le nom n’existerait plus si Rembrandt ne l’avait prononcé comme le nom de son premier maître.
Harmen Gerritszoon est meunier. C’est donc dans un moulin, dans une maison de vent, de pluie et de soleil que s’est écoulée l’enfance de son fils.
Un moulin est ailé, il vibre, tremble, s’agite ; il tourne, il se meut, il change à chaque instant d’aspect, il n’appartient guère qu’à l’espace et à l’air ; tout l’infini le traverse. Pour un artiste, le moulin est un logis idéal. Il y peut étudier à l’intérieur mille effets de lumière presque surnaturelle et, dès qu’il en sort, toute la nature comme transfigurée apparaît devant lui. La première habitation de Rembrandt est donc située comme au delà de la vie. Plus tard quand il aura élu domicile dans les villes, sa préoccupation constante sera de se recréer quelque séjour idéal, qui lui rappelle celui de son enfance. Il n’y parviendra jamais. Il l’essayera toujours.
Après les premières leçons reçues chez Swanenburgh, il partit pour Amsterdam. Il entra en 1623 comme élève chez Lastman. Ce maître, comme la plupart de ses contemporains hollandais, inclinait vers l’art italien. Il travaillait en contrariant sa nature. Septentrional, il s’était épris d’un goût et d’un style étrangers et son œuvre hybride se diminuait au fur et à mesure qu’à ses yeux elle se rapprochait d’une décevante grandeur.
Pourtant il ne fut pas sans exercer sur Rembrandt une certaine influence. Peut-être la disposition asymétrique de ses sujets et l’accoutrement bizarre et exotique
Rembrandt aurait pu naître n'importe où. A n'importe quel moment, son art aurait été pareil. Peut-être eût-il omis de peindre une Ronde de nuit, Peut-être, en son oeuvre, eût-on rencontré moins de bourgmestres et de syndics. Mais le fond n'eût point changé. Il se serait peint lui-même, avec un égoïsme admiratif et puéril, il aurait multiplié les traits des siens, enfin il eût recueilli partout, à travers le monde pathétique des légendes et des textes sacrés, les larmes et les beautés de la douleur.
Ceux qui, ces derniers temps, ont jugé Rembrandt l'ont mesuré à l'aune de leur critique exacte, intelligente et renseignée. Ils se sont appliques à détailler sa vie année par année, joie par joie, deuil par deuil, malheur par malheur. Il en est résulté que nous le connaissons par le menu, que nous nous intéressons à sa manie de collectionneur, que nous savons ses vertus domestiques, ses ferveurs paternelles, ses amours ancillaires, sa prospérité, sa ruine et sa mort.
Poésie - Le péché - Emile VERHAEREN