Ils me disent que tu me trompes.
D’abord, qu’est-ce que ça leur fait ?
Chère frivole, que tu rompes
Un serment que tu n’as pas fait ?
Ils me disent que t’es méchante
Envers moi, — moi, qui suis si bon !
Toi méchante ! Qu’un autre chante
Ce refrain très loin d’être bon
Méchante, toi qui toujours m’offres
Un sourire amusant toujours,
Toi, ma reine, qui de tes coffres
Me puise des trésors toujours.
Ils me disent et croient bien dire,
O toi que tu ne m’aimes pas ?
Que m’importe, j’ai ton sourire,
Et puis tu ne m’aimerais pas ?
Tu ne m'aimes ? Et la grâce
Et la force de ta beauté.
Tu me les donnes, grande et grasse
Et voluptueuse beauté.
Tu ne m’aimes pas? Et quand même
Ce serait vrai, qu’est-ce que fait ?
« Si tu ne m’aimes pas, je t’aime. »
— Mais tu m’aimes, dis, par le fait.
« Quand je cause avec toi paisiblement,
Ce m’est vraiment charmant, tu causes si paisiblement !
Quand je dispute et te fais des reproches,
Tu disputes, c’est drôle, et me fais aussi des reproches.
S’il m’arrive, hélas ! d’un peu te tromper,
misère ! tu cours la ville afin de me tromper.
Et si je suis depuis des temps fidèle,
Tu me restes, durant juste tous ces temps-là, fidèle.
Suis-je heureux, tu te montres plus heureuse
Encore, et je suis plus heureux, d’enfin ! te voir heureuse.
Pleuré-je, tu pleures à mon côté.
Suis-je pressant, tu viens bien gentiment de mon côté.
Quand je me pâme, lors tu te pâmes.
Et je me pâme plus de sentir qu’aussi tu te pâmes.
Ah ! dis quand je mourrai, mourras-tu, toi ? »
Elle : « Comme je t’aimais mieux, je mourrai plus que toi. »
... Et je me réveillai de ce colloque
Hélas ! C’était un rêve (un rêve ou bien quoi ?) ce colloque.
Tu fus une grande amoureuse
A ta façon, la seule bonne
Puisqu'elle est tienne et que personne
Plus que toi ne fut malheureuse
Après la crise de bonheur
Que tu portas avec honneur,
Oui, tu fus comme une héroïne,
Et maintenant tu vis, statue
Toujours belle sur la ruine
D'un espoir qui se perpétue
En dépit du Sort évident,
Mais tu persistes cependant.
Pour cela, je t'aime et t'admire
Encore mieux que je ne t'aime
Peut-être, et ce m'est un suprême
Orgueil d'être meilleur ou pire
Que celui qui fit tout le mal,
D'être à tes pieds tremblant, féal.
Use de moi, je suis ta chose ;
Mon amour va, ton humble esclave,
Prêt à tout ce que lui propose
Ta volonté, dure ou suave,
Prompt à jouir, prompt à souffrir,
Prompt vers tout hormis pour mourir !
Tu fus souvent cruelle,
Même injuste parfois,
Mais que fait, ô ma belle,
Puisqu’en toi seule crois
Et puisque suis ta chose.
Que tu me trompes avec Pierre,
Louis, et cœtera punctum,
Je sais, mais, là ! n’en ai que faire :
Ne suis que l’humble factotum
De ton humeur gaie ou morose.
S’il arrive que tu me battes,
Soufflettes, égratignes, tu
Es le maître dans nos pénates,
Et moi le cocu, le battu,
Suis content et vois tout en rose.
Et puis dame j’opine
Qu’à me voir ainsi si
Tien, finiras, divine
Par m’aimoter ainsi
Qu’on s’attache à sa chose.
Il est un arbre au cimetière
Poussant en pleine liberté,
Non planté par un deuil dicté, -
Qui flotte au long d'une humble pierre.
Sur cet arbre, été comme hiver,
Un oiseau vient qui chante clair
Sa chanson tristement fidèle.
Cet arbre et cet oiseau c'est nous :
Toi le souvenir, moi l'absence
Que le temps - qui passe - recense...
Ah, vivre encore à tes genoux !
Ah, vivre encor ! Mais quoi, ma belle,
Le néant est mon froid vainqueur...
Du moins, dis, je vis dans ton coeur ?
Poésie - La lune blanche ... - Paul VERLAINE