Verlaine, 22 ans, bombe le front immense d'orgueil et de folie pour de se hausser à la hauteur de
Baudelaire. Il sera poète, et il sait déjà toutes les beautés à venir de sa poésie : les mètres courts, la musique, le génie de l'image. Mais plus encore,
Verlaine montre ici un talent qui m'est cher : il sait éconduire sa Muse.
Rimbaud dira plus effrontément « J'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée ». Quel frimeur.
Ici
Verlaine se proclame parnassien, parnasso-baudelairien devrait-il avouer (du type « je hais le mouvement qui déplace les lignes ») mais touche à tout autre chose que des réminiscences antiques, que des émaux et camées ou des vases (« nous qui ciselons les mots comme des coupes / Et qui faisons des vers très froidement » écrit-il). Tout cela – comme le titre – est surcomposé.
Verlaine déplace en vérité les lignes, ondule, s'évapore, il anime les choses, quoi qu'il professe. Ici ses tableaux, ses regrets, ses poèmes ruinent ce Parnasse imaginaire.
Verlaine consomme en creux l'idéal qu'il sculpte, et cette subtilité est à mettre en contraste avec la position brutale de
Rimbaud évoquée plus haut.
Par ailleurs cela s'explique tout simplement par le fait que les poèmes ont été cousus ensembles sous forme de recueil et encadrés de deux pièces d'art poétique. Je ne vois pas en effet comment on peut se placer sous la lumière nocturne et mélancolique de Saturne et ensuite (dans l'épilogue) sous le jour éclatant du Parnasse le plus apollinien. Et ce qui est beau, les amis, c'est qu'il sait cette contradiction. Il sait aussi « L'Imagination, inquiète et débile », le romantisme mièvre et épuisé, mais livre en même temps les pièces lyriques du « rêve familier » ou de « chanson d'automne » que chacun connaît. J'avoue adorer cette lutte intérieure, ce fécond travail du paradoxe intérieur, dont témoigne ce recueil.
Mais cela va plus loin à mes yeux, par le fait de cette invocation à Saturne. Car malgré tout on la lit, on la sent. Grande figure goyesque, présente dans la section « Caprices » du recueil et quelques autres visions, par cette évocation de Saturne c'est tout un intertexte rêvé qui se déroule dans notre esprit. Pour moi cela reste la figure nocturne détournée du monde qui se donne au début du poème inachevé « Hypérion » de Keats : majesté vide, dieu endormi, régnant sur un Temps mort.
Verlaine touche ici à une réinvention, loin de Keats ou de la mort des dieux hölderlinienne : la nostalgie est consumée, les dieux sont morts et n'ont plus de corps, nous y voilà, les rêves ne sont que des fumées dont on se régale. C'est une vision nouvelle pour la fin de siècle qui s'annonce, univers de visions tremblées et de sensations nuageuses.
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