Dans la grande salle moderne de l’hôtel Maureuse, rue de la Rochefoucauld, le repas de midi s’achevait.
En silence, les trois convives, repus, égrenaient lentement leurs grappes de raisin.
Fernand Maureuse, le maître de céans, posa tout à coup sa serviette en tampon sur la table. S’adressant à son fils, il dit :
– Ne t’éloigne pas, Daniel. J’ai besoin de parler longuement avec toi, avant d’aller à ma banque.
– Oh ! papa, excusez-moi ! protesta vivement le jeune homme. Vous m’avez laissé, ce matin, la liberté de ma journée !... Si vous m’aviez prévenu que vous désiriez m’entretenir, je me serais mis alors à votre disposition. Maintenant, j’ai pris ou accepté des rendez-vous. Je ne puis rester auprès de vous sans être obligé de décommander une bonne douzaine d’amis !
– Tant pis pour cette bonne douzaine-là, mon cher ! J’ai reçu, au courrier de dix heures, une lettre de ton grand-père qui te concerne. Il me faut en parler longuement avec toi.
Le visage du jeune homme se figea.
Le père de sa mère, le vieux Thomas Rasquin, l’avait toujours beaucoup effrayé. C’était un paysan avare et madré, aussi sec de cœur qu’il l’était d’apparence. Fernand Maureuse le révérait pourtant comme un grand homme :
– Pensez donc, aimait-il à répéter, qu’il a constitué sa fortune, peut-être la plus grosse du département, tout seul et en partant de zéro. Il était, à quinze ans, simple berger... simple berger dans un domaine appartenant aux La Boissière. Et maintenant, Colforval, un grand domaine normand, était à lui... et douze fermes... et des prés... et des bois... à ne pouvoir compter, sans aligner les chiffres, le nombre d’hectares qu’ils représentaient.