Dans l'oeil de l'archange

Poursuite de mes lectures autour de Gerda Taro, découverte grâce au roman graphique "Magnum Générations". Dans ce roman, Olivier Weber, se concentre sur l'engagement de la reporter de guerre en Espagne, qui lui a coûté la vie sur le front de Brunete en 1937. Accompagnée du personnage fictif, le journaliste canadien et volontaire des Brigades internationales, Jonathan Werner, qui est aussi son amant, tous deux prennent conscience des coups portés par les stalinistes (Michael Koltsov, André Marty, Alexander Orlov, Joris Ivens, ...) par idéologie ou intérêt personnel dans le dos des socialistes, anarchistes et trotskistes (Gaston Delasalle, Oliver Law, José Robles, Willy Brandt, George Orwell, André Gide, John Dos Passos, ...) qui osent questionner le rôle joué par Staline. Extrêmement documenté, on croise aussi au fil des pages Aragon, Arthur Koestler, Malraux, Hemingway, et chacune des évocations vaudrait probablement des lectures complémentaires pour creuser leur engagement ambivalent. Comme d'ailleurs aussi les motifs de non intervention de la France et de la Grande-Bretagne, dans une guerre à leur porte qui préfigurait l'expansion totalitaire à venir.

J'ai eu un peu de mal, notamment dans la première moitié du livre, avec les pensées prêtées à Gerda, comme une impression de décalage, alors que certes Olivier Weber a comme elle l'expérience des terrains de guerre civile aux enjeux de pouvoir souvent innommables qui se jouent dans l'ombre au détriment des populations, et on peut imaginer l'expérience partagée des doutes, des questionnements, des peurs, de l'espoir. Toutefois, lorsque ces pensées sont transposées au cours de la 2ème partie, aux réflexions de Jonathan Werner, cela m'a semblé plus judicieux.

50 pages dans le livre et j'imaginais déjà avoir commencé un coup de coeur. J'étais séduite : une plume remarquable, une approche passionnante de la guerre d'Espagne, un premier chapitre qui ne pouvait donner qu'envie de découvrir la suite, et par-dessus tout, une figure historique, Gerda Taro. Une femme dont je ne savais rien et qui me semble, même après avoir fini ma lecture, encore bien mystérieuse.

Les 150 premières pages ont été pour moi un vrai délice. Puis de façon decrescendo, le récit m'a semblé perdre peu à peu de son intérêt. de nombreux passages répétitifs, des arrêts incessants sur la vie amoureuse et sexuelle de Gerda, qui cachent certes un message, mais tout de même.

Alors finalement, cette figure de Gerda que j'étais venue découvrir n'a pas tellement su me toucher. Si j'ai réussi à apprécier ma lecture, c'est pour les différents regards portés sur la guerre d'Espagne : le rôle de Staline dans le conflit, l'Europe totalitaire qui s'annonce, les très nombreux auteurs et artistes qui croisent le chemin des protagonistes (Orwell, Aragon, Hemingway, Picasso, etc) ainsi que le travail de reporter de guerre. Car de fait sur ce dernier point, l'auteur est lui même reporter de guerre ce qui permet d'appréhender différemment la lecture.

Mon rapport à ce roman est alors très ambivalent : l'aspect historique (l'auteur a réalisé un énorme travail de recherche en amont avec près de 70 ouvrages lus) m'a tenue en haleine mais les personnages n'ont pas su me toucher. Seuls certains de leurs traits de caractères étaient exploités, une certaine forme d'authenticité m'a alors manquée.

Après une rencontre avec l'auteur, je serai heureuse de suivre son travail et ses anciens ainsi que prochains écrits. Car sa plume est remarquable et son point de vue de reporter de guerre m'intéresse particulièrement. Je garderai un bon souvenir de ce roman même si je n'en relirai probablement que des extraits, et certainement pas ceux de Gerda...