C'est tout un monde, le monde, que l'on pénètre avec
Peter Weiss. Inutile de préciser que quelques jours ne suffisent pas et qu'il faudra y revenir, pénétrer plus avant, tourner des pages encore après avoir pris le temps de la « digestion » (nous n'avons lu que le premier volet de la trilogie contenue dans cet énorme volume). Vous êtes prévenus, ce n'est pas un ouvrage que l'on tient à bout de bras enfoui sous la couette (le poids du papier et la densité du texte ne le permettent pas), il lui faut la table et le crayon. Il généralise et très peu particularise. Pas de personnalité à laquelle vraiment s'accrocher mais de la solide théorie littéraire et artistique, de l'inconnue histoire du mouvement ouvrier germanique depuis la République de Weimar jusqu'à la chute du IIIe Reich. C'est une épopée de la gauche révolutionnaire sous le nazisme, le stalinisme et le franquisme ; une réflexion sur la place qu'occupe l'art comme expression de la souffrance et de la révolte. le théorique dans ces pages se mêle sans cesse au vécu, l'analyse au récit.
Le narrateur du roman est un jeune militant autodidacte confronté à l'effondrement de la démocratie en Allemagne, la montée du national-socialisme, la souffrance de l'exil et la guerre d'Espagne. Les événements, les combats, les espoirs comme les échecs continument défilent.
Brecht, Münzenberg comme Grosz y jouent un rôle. La guerre d'Espagne est aussi présente que le quartier prolétarien berlinois de Wedding, ainsi à chaque instant l'expérience des personnages peut s'identifier à l'histoire en train de se faire. Dans « L'
esthétique de la résistance », les oeuvres d'art sont vivantes comme les hommes eux-mêmes. Dans les toutes premières pages, happés par l'histoire et la violence immortalisées par la pierre, des ouvriers contemplent la frise de l'autel de Pergame et échangent interminablement. de même, il est fantastiquement question dans l'ouvrage d'«Un enterrement à Omans », de « La divine comédie », du « Château », du « Radeau de la Méduse », de « Guernica »… Tous ces chefs d'oeuvres sont ici témoins de souffrance, de culture et comme l'affirmait
Walter Benjamin ils sont « document[s] de barbarie ». Ils se mêlent inextricablement aux terribles événements. La grande tâche des personnages du roman, c'est de résister et de s'approprier inlassablement la culture des experts dans la perspective du monde vécu par les exclus de la terre. Dans « L'
esthétique de la résistance », « l'histoire [s'écrit] du point de vue des vaincus ».