Colson Whitehead ne tarde pas à entrer dans le vif du sujet. Dès les premières pages c'est toute l'horreur qu'abritent les plantations de coton des États du sud qui défile ligne après ligne, toute l'abjection de la servitude , l'abomination des crimes et atrocités répétées par la monstruosité de l'homme, la cruauté de la ségrégation. Bien sûr on y apprend rien, qui ne connaît pas ces circonstances indignes , et pourtant, c'est le dégoût qui déjà prédomine ma lecture, l'incompréhension qu'une telle ignominie puisse s'être passée durant tant de temps pour finalement, comble du désarroi, n'en avoir rien appris puisque aujourd'hui encore les discriminations perdurent.
L'auteur nous martèle de mots coups de poing tel un boxer sur un ring, déterminé à nous mettre KO via une trame d'une violence inouie. Et il a raison, c'est un combat qu'il doit gagner et nous mettre au tapis est primordial.
Primordial comme peut être cette question que tous les esclaves ont du se poser :
Rester livrés et suppliciés à la solde des blancs jusqu'à l'inéluctable agonie au fil des années ou tenter l'évasion pour une délivrance au risque d'un châtiment barbare?
Combien sont ils à avoir voulu gagner ce droit fondamental, ce mot aux contours presque insaisissables, ce fantasme qu'ils ne savaient ni lire ni même entrevoir : Liberté.
Cavaler. S'orienter vers un hypothétique avenir. Trouver l'
Underground Railroad, ce réseau clandestin d'aide aux esclaves.
Un rêve.
Un choix.
Ultime solution pour une irrévocable audace.
Combien sont ils à avoir réussi ?
Combien ont été rattrapés par ces milices au compte des "propriétaires " ou de l'état qui les traquaient en traversant le sud afin de leur faire subir l'impensable ?
Un livre sur l'esclavage ? Évidemment mais pas que. C'est aussi l'histoire des hommes blancs qui ont construit un état par les massacres, une terre construite par des corps volés sur une terre volée.
C'est aussi celle des hommes ayant gagné leur liberté précaire qui livraient leurs frères aux bourreaux pour sauver leur vie ou obtenir un pourboire . Des abolitionnistes harcelés et tourmentés.
C'est aussi et surtout l'histoire de l' Amérique, pas la révolue non, mais celle qui continue de s'inscrire. Est ce que ça nous aide à mieux la comprendre ? Pas vraiment, en revanche ça on dit long sur la lutte qu'il reste encore à faire. Il est clair que rien ne pourra jamais effacer la part sombre des États-Unis mais si ce livre est bien essentiel pour quelque chose, c'est bien de ne pas permettre l'oubli et de garder l'espoir d'une prise de conscience collective afin que l' Amérique écrive un jour un nouveau pan de son histoire respectant les droits universels et en enterrant son obscurantisme.
Un livre vertigineux.
" Si les nègres étaient censés jouir de leur liberté, ils ne seraient pas enchaînés.
Si le peau rouge était censé conserver sa terre, elle serait encore à lui.
Et si le blanc n'était pas destiné à s'emparer de ce nouveau monde, il ne le posséderait pas.
Tel était l'authentique Grand Esprit, le fil divin qui reliait toute entreprise humaine : si vous arrivez à garder quelque chose, c'est que cette chose vous appartient. C'est votre bien : votre esclave, votre continent. L'impératif américain. "