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24 pages
Atlantic Monthly Press (01/12/1976)
5/5   1 notes
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Etoiles Notabénistes : ******

Smokers
Traduction : François Happe
Extrait de : "Dans le Jardin des Martyrs Nord-Américains"

ISBN : 9782351785430


Tobias Wolff est un auteur à découvrir. Certes, quelques unes des nouvelles contenues dans ce recueil, comme "Chasseurs Dans La Neige" par exemple, demandent une relecture car l'on ne voit pas immédiatement à quoi veut en arriver l'écrivain. D'autres, par contre, comme "Les Gens d'A-Côté", "Face-à-Face" ou encore "Fumeurs", éblouissent d'emblée par leur clarté. Mais attention : "clarté" ne signifie pas forcément "absence de complexité", bien au contraire.

Dans "Fumeurs", le narrateur semble se confondre avec l'auteur lui-même, au temps de ses années d'étudiant. Il vient de l'Oregon et, dans le train qui le mène vers sa première année à la prestigieuse Université de Choate, il fait la connaissance d'un futur condisciple, issu comme lui d'un milieu relativement simple mais qui, pour sa part, n'en fait pas tout un complexe : Eugène.

Eugène est rondouillard, porte un chapeau ridicule (une sorte de chapeau tyrolien), est encombré de bagages qui le bloquent à toutes les portes de compartiment, dit franchement tout ce qu'il pense, et appartient, en fait, à ce genre de personnes dont le bon sens populaire affirmait jadis qu'"elles étaient franches comme l'or et bonnes comme le bon pain". le lecteur se dit, bien sûr, que, de ses disgrâces (physique banal mais légèrement envahissant, voix tonitruante, blagues idiotes et aisance financière riquiqui), Eugène, ne pouvant les faire disparaître, s'est constitué un bouclier. A porter à son actif : son talent incontestable pour la natation. Dans le contexte des lycées et des facultés américains, qui privilégie les bons sportifs, c'est un avantage de taille. En plus, Eugène est loin d'être sot et apprend facilement. Intelligent, il est pourtant de nature simple et va directement au but. C'est le genre à larguer un pavé en pleine mare sans même s'en apercevoir. Dès le début, on ne saurait le taxer d'arrivisme.

Parce que l'Université de Choate, c'est, pour nombre d'étudiants boursiers ou peu aisés, l'occasion de se faire des relations parmi leurs condisciples fortunés. Tel est, en tout cas, le rêve caressé en secret par le narrateur. On ne sera donc pas étonné de le voir hésiter à partager la chambre d'Eugène, lequel le lui propose pratiquement à la descente du train. En jeune homme avisé, il se réfugie derrière des excuses habiles. Mais, de toutes façons, la répartition des étudiants par chambre s'est faite depuis longtemps. Et notre narrateur se retrouve en compagnie d'un étudiant chilien "complètement fou" mais surtout très provocateur, dont le premier geste a été d'accrocher au mur, de son côté de la chambre, un poster d'Hitler.

Bien qu'ayant vite compris qu'il y a, dans le personnage, plus de provocation gratuite que de conviction idéologique, le narrateur-auteur n'est guère satisfait de cette présence tout compte fait plus tapageuse et bien plus compromettante que celle d'Eugène. Fort heureusement, après les vacances de Noël, Jaime s'en va et le jeune arriviste possède désormais sa chambre pour lui tout seul.

Dès la rentrée, Eugène, de son côté, était devenu le co-locataire de Talbot Nevin, fils nonchalant (et, on le devine, subtilement arrogant) d'un homme extrêmement fortuné. En d'autres termes, le type-même du compagnon de chambre dont rêvait le narrateur dans le train. Au début, le jeune homme - après tout, pourquoi ne pas l'appeler Tobias ? - avait parié que Nevin se lasserait vite d'Eugène. Mais, à son grand étonnement et non sans une colère et une frustration qu'il ne peut laisser paraître, il constate que les deux jeunes gens s'entendent bien, et même si bien que, pour la Noël, Eugène s'est vu invité chez les Nevin.

Tobias a bien failli en mourir de jalousie. ;o)

Mais il ne renonce pas et tente, par tous les moyens, de se faire un "ami" de "Tal", comme l'appelle, avec sa simplicité habituelle, ce crétin d'Eugène. On notera à ce propos que si on lit comme dans un livre ouvert en la personne d'Eugène et que, par la force des choses, puisqu'il est le narrateur de l'histoire, Tobias ne nous cache rien de ce qu'il éprouve, Talbot Nevin demeurera jusqu'au bout une énigme pour le lecteur. Se rend-il compte de l'arrivisme de Tobias ? S'en amuse-t-il ou en profite-t-il - lorsque, par exemple, lui qui n'est guère bon en dissertation anglaise demande à Tobias de lui donner un coup de main (en d'autres termes, de lui faire ses devoirs) ? Il y a aussi l'incident de la partie de tennis à laquelle il convie Tobias mais où celui-ci l'attendra en vain. Cela signifie-t-il alors que "Tal" méprise Tobias ou envisage d''utiliser sa soif d'arrivisme pour en faire sa marionnette ?

A vous, lecteur, de juger.

A vous aussi de juger la fin de la nouvelle. Une "chute" remarquable de cynisme mais qui sème cependant un doute : Talbot a-t-il agi en pleine conscience pour évincer Eugène ? Si oui, pour quelles raisons - l'hypothèse d'une attirance homosexuelle demeurant, nous a-t-il semblé, à l'ordre du jour ? Sinon ...

Sinon, ma foi, la "chute", qui est aussi celle du pauvre Eugène, à qui vont en définitive toutes les sympathies du lecteur, ne représente qu'une manifestation de plus de l'implacable rouleau compresseur de l'existence. Un espoir cependant : si ni Talbot, ni Tobias n'en sortent grandis, on peut se dire qu'Eugène, lui, retombera sur ses pattes. Eugène est un vrai battant : bien supérieur, en dépit de ses lourdeurs, à ses deux condisciples qu'il a tant admirés ...

Tout ici, comme chez les nouvellistes-nés - et, assurément, Tobias Wolff, qu'il ait réellement été le narrateur de "Smokers" ou pas, est l'un des meilleurs nouvellistes américains - est d'une incroyable finesse. Cela n'a l'air de rien et pourtant, quel art, quelle patience pour tout raconter sans tout écrire et tout en laissant une marge à l'imagination et aux sentiments intimes du lecteur ! Là où le romancier-né ne saurait s'exprimer sans des pages et des pages à la Balzac (enfin, vous voyez ce que je veux dire ;o) ), le nouvelliste, lui, n'a besoin que de ce qui constituerait un chapitre dans un roman, tantôt long, tantôt court, pour faire vivre tout un monde. Il est vrai qu'il demande plus au lecteur, qu'il rend celui-ci partie prenante du jeu, qu'il en fait en somme - et, dans "Smokers", c'est évident - un quatrième partenaire. Alors que le romancier, tout en comptant plus ou moins sur l'imagination de son lecteur, le contrôle mieux en lui servant de guide, et lui impose certainement plus de choses.

N'importe : romancier ou nouvelliste, ne boudons pas notre plaisir.

J'espère en tout cas vous avoir donné envie de découvrir Tobias Wolff. Et je vous rassure : nous reparlerons de lui. Pour les amateurs, il me semble d'ailleurs qu'il a également écrit deux ou trois romans. Bonne lecture ! C'est l'été : profitez-en. Même si Wolff est assez grinçant, il est également aussi revigorant qu'un quartier de citron vert sur votre verre de limonade. ;o)
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
[...] ... Eugene était tombé sur Talbot Nevin comme camarade de chambre. La famille de Talbot avait fait don à l'école de la patinoire de hockey Andrew Nevin, ainsi que de la bibliothèque Andrew Nevin ; elle subventionnait aussi le cycle de conférences Andrew Nevin. Le père de Talbot avait terminé à la deuxième place du Grand Prix de Monaco deux ans auparavant, et les magazines people publiaient souvent une photo de lui en compagnie de personnes comme Jill St John, par exemple, avec, pour légende, la déclaration de l'un des deux : "Il y a une grande amitié entre nous, rien de plus." J'avais envie de faire la connaissance de Talbot Nevin.

Alors un jour j'allai les voir dans leur chambre. Eugene ouvrit la porte et me donna une vigoureuse poignée de main.

- "En voilà une surprise !" dit-il. "Tab, je te présente un copain à moi. Il est de l'Oregon. Y a pas plus au nord dans la cambrousse."

Talbot Nevin était assis sur le bord de son lit, en train d'enfiler des lacets d'un blanc immaculé dans les œillets d'une paire de baskets dégoûtantes. Il fit un signe de tête sans me regarder.

- "Le père de Tab a remporté une grande course l'année dernière," poursuivit Eugene.

Ça m'embêtait qu'il me dise cela. Je ne voulais pas que Talbot sache que j'étais au courant de quoi que ce soit à son sujet. Je voulais entrer en contact avec lui en toute innocence, sans qu'il puisse suspecter que je l'appréciais pour autre chose que lui-même.

- "Il ne l'a pas remportée. Il est arrivé deuxième."

Talbot jeta ses baskets par terre et, pour la première fois, il leva le regard vers moi. Il avait des yeux bleu porcelaine sous des cils et des sourcils si clairs qu'on les voyait à peine. Ses cheveux aussi étaient blond-blanc, raides et ternes sur son front. On aurait dit que son visage avait été moulé, comme celui d'une poupée, délicat et souffreteux.

- "Quel genre de course ?" demandai-je.

- "Un Grand Prix," dit-il en enlevant ses chaussures. ... [...]
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[...] ... Je remarquai Eugene avant de faire véritablement sa connaissance. Il était impossible de ne pas le remarquer. Au moment où notre train quittait New York, Eugene, qui passait d'un autre wagon à celui où j'étais assis, réussit à rester coincé dans la porte, entre ses deux énormes valises. Je l'observai se débattre pour essayer de se libérer, fasciné par le chapeau qu'il avait sur la tête, un chapeau tyrolien vert avec des plumes sur le côté. Je me demandai s'il comptait atténuer le ridicule de sa situation en souriant dans toutes les directions comme il faisait. Quelque chose finit par céder et il se retrouva propulsé dans le couloir. J'espérais qu'il ne viendrait pas s'installer près de moi, mais c'est ce qu'il fit.

Il se mit à parler pratiquement à l'instant où il s'assit et il ne s'arrêta que lorsque nous arrivâmes à Wallingford. Est-ce que j'allais à Choate ? Quelle coïncidence, lui aussi. En première année ? Lui aussi. Je venais d'où ? De l'Oregon ? Sans déconner ? Un coin perdu au fin fond de la cambrousse, hein ? Lui, il venait de l'Indiana - de Gary, dans l'Indiana. Comme dans la chanson, je connaissais la chanson, hein ? Je la connaissais, mais il me la chanta quand même, jusqu'au bout, y compris le dernier couplet, plutôt gênant. Il y avait d'autres gars dans notre wagon et ils n'arrêtaient pas de nous regarder, j'aurais aimé qu'il la ferme.

Est-ce que je faisais de la natation ? Dommage, c'était un sport intéressant, je devrais m'y mettre. L'année précédente, il avait battu un record en nage libre, dans le championnat du Middle West. C'était quoi, ma matière préférée ? Lui, il pensait avoir un petit faible pour les maths, mais il était très bon partout. Il m'offrit une cigarette, que je refusai.

- "Faudrait que j'arrête," dit-il. "Sinon, je vais y laisser ma peau." ... [...]
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Blessures secrètes, un film américain de Michael Caton-Jones avec Robert De Niro, Leonardo DiCaprio, Ellen Barkin. Trailer.
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