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Iryna Dmytrychyn (Traducteur)Agathe Bonin (Traducteur)
EAN : 9782721012036
176 pages
Editions des Femmes (15/06/2023)
3.92/5   6 notes
Résumé :
Traduit de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
Préface inédite de l’autrice pour l’édition française
Édition bilingue

Un des 10 ouvrages nécessaires pour comprendre la guerre en Ukraine. Magazine Forbes
Lauréat du Prix International de Poésie de la Fondation Kovalev de New York.

La poésie ukrainienne : un acte de résistance en temps de guerre.
Ce recueil de 47 poèmes s’intitule Les Abricots du Do... >Voir plus
Que lire après Les Abricots du DonbasVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
L'auteure Luba Yakymtchouk - Любов Якимчук - est née à Pervomaisk, ville minière de la région de Louhansk, dans le Donbas. Poétesse, dramaturge, scénariste, elle a reçu le prix international de poésie slave et a remporté le concours littéraire international « Coronation of the Word ». En 2015, le magazine « New Time » de Kiev, l'a classée parmi les 100 personnes les plus influentes de la culture en Ukraine. Elle a également participé à l'ouvrage collectif Hommage à l'Ukraine (Stock, 2022), qui repose toujours sur le haut de mon éternelle pile à lire.

L'édition est bilingue, il est pourvu d'une préface qui l'est également, rédigée par l'auteure. C'est un recueil né de la guerre, l'illustration de la première couverture le montre assez pudiquement au travers de ce mur criblé de balles devant lequel joue un enfant. Les abricots du Donbas, j'aime beaucoup ce titre très doux et sucré, se réfère à la zone où poussent les abricots en Ukraine, là-bas vers l'est, à la frontière qui la sépare de l'agresseur. L'endroit même où se trouvait la demeure familiale, détruite un an avant la révolution de Maïdan, par les séparatistes russes, en 2014. C'est d'ailleurs dans cette préface qu'elle explique le déracinement brutal de sa famille le 14 février 2015, un choix qui s'est fait dans sa tête avant que la maison ne soit torpillée quelques mois plus tard. C'est l'occasion de voir réapparaître l'ombre du complexe et décrié Edouard Limonov. 

On commence par un premier poème qui porte un titre évocateur, l'une des raisons pour laquelle le président russe convoitait ces territoires ukrainiens, Le visage du charbon. le roman de Benoit Vitkine Donbass donne un bon éclairage sur ce sujet. le poème suivant Les seins du terril enchaîne sur la même thématique, intrinsèquement liée aux figures maternelles et paternelles, la terre ukrainienne est pour Luba Yakymtchouk ce corps meurtri, nourricier, miné de toutes parts. Non loin des mines de charbon, il y a la douceur de cet abricot sucré et juteux, une douceur qui leur appartient aux Ukrainiens. La maternité, la famille, ça veut dire les souvenirs avec la grand-mère. Puis vient explicitement la mention à la guerre, le vocabulaire s'en ressent, il est question de l'ennemi, de se cacher, de décomposition. Apparaissent les uniformes, la matraque, le meurtre, les obus, la mort, pour finir, avec un peu plus d'espoir et de lumière, sur des poèmes sur l'amour, l'amitié. 

Dès le tout premier poème, le visage du charbon, la force expressive des vers de Luba Yakymtchouk m'a frappée, autant par les sujets - ce poème-là est un bel hommage au père et à sa patrie par le biais du charbon, après lequel s'ensuit l'hommage à la mère, toujours à travers la même image, la même métaphore des terrils. Et la mère patrie, le Donbas : on y retrouve un mélange de souvenirs personnels, et de d'observations plus générales. Elle use souvent de figures d'opposition, jouant sur les antithèses, noir du charbon/blanc des visages - orange des abricots et joue sur ces contrastes pour marquer la violence en jeu de la vie de mineur, du travail d'ouvrier des femmes en usine, des jeunes soldats envoyés au casse-pipe. La tendresse et la douceur de ces abricots sont mises en parallèle à l'innocence de ces jeunes adultes, aussi tendre et juteux, broyés par l'étau. Dans certains poèmes, elle n'hésite pas à utiliser, de façon très ludique, l'écriture pour tracer des parallèles entre ses ressentis, la façon dont la guerre sur résonne physiquement et psychiquement en elle, sur ses sens.

Puis la guerre, l'obscurité, le temps qui se brouille. L'ennemi n'est jamais appelé, de près ou de loin, par son nom, maintenant par là une distance avec lui. Il prend le nom, incompréhensible, et la forme indistincte, de Miam - phonétiquement niam en ukrainien -, une entité qui revient dans différents poèmes. Un intrus, Une entité dérangeante et qui met mal à l'aise. Puis vient la violence, Décomposition, la guerre en face, les balles et les morts dans Signature : le ton va crescendo, si les images se font de plus en plus crues et violentes, le poème Comment j'ai tué ne laisse plus planer de doute. Décomposition / Obus : on est en plein dedans, mettre des mots sur l'angoisse au bruit des bombes qui explosent, la retranscription de son souffle haletant, description des membres amputés des villes et des corps. Les poèmes dénoncent ces morts injustifiées, l'absurdité des discours. Chacun des poèmes s'attarde sur l'une des horreurs, les viols, les disparitions. Une vie ou rien d'autre n'existe, où la prière est l'une des dernières voix d'espérance dans la noirceur du monde ambiant : la poésie, c'est l'occasion de ne pas s'embarrasser de mots excessifs et dénués de sens, d'allers droit au but, d'approcher au mieux ce monde ou l'essentiel n'a plus le luxe de s'embarrasser de fioritures.  Au milieu de tout ça, il y a la souffrance physique et mentale, le mélange des deux, l'absence, destruction, abîme, de soi, de ses proches, de quiconque, mettre en scène les morts et disparus en faisant parler la ligne dédiée aux personnes disparues : ces poèmes, terres d'expression et expérimentation pour mettre, et puis transmettre, des images sur l'indicible. Ces moments où le simple battement de cils, terriblement anodin et inexistant pour la majorité, se transforme en séisme dévastateur pour celle qui le subit. 

La dernière partie du recueil embraye sur un aspect davantage linguistique, l'amour et la littérature et la langue, toujours la guerre au second plan, dans le triple rôle qu'elle joue en tant que dramaturge et scénariste. Elle sort de ses frontières ukrainiennes, s'étend sur les pays voisins, Biélorussie, Pologne, jusqu'à ses inspirations françaises, pour dépasser peut-être de s'enfermer dans une seule vision et version brute des événements de son pays, elle s'affranchit des limites sans jamais manquer de respect à celles et ceux tombés, les absents, les manquants, les partis, les Ukrainiennes et Ukrainiens qui ont été rayés de la carte. Cette ultime partie embraye sur un aspect davantage linguistique, l'amour et la littérature et la langue, toujours la guerre au second plan, dans le triple rôle qu'elle joue en tant que dramaturge et scénariste. Elle dépasse ses frontières ukrainiennes, s'étend sur les pays voisins, Biélorussie, Pologne, jusqu'à ses inspirations françaises, pour dépasser peut-être de s'enfermer dans une seule vision et version brute des événements de son pays, elle s'affranchit des limites sans jamais manquer de respect à celles et ceux tombés, les absents, les manquants, les éxilés. 

L'écriture de ces poèmes s'étend jusqu'à 2020, on devine que la principale inspiration, c'est cette dernière dizaine d'années, dix ans qui ont été tant pour Luba Yakymtchouk - elle a perdu le domicile familial en 2014 à Pervomaisk - que pour l'Ukraine, où l'instabilité a atteint son paroxysme avec guerres et révolutions qui n'en finissent plus. Je suppose qu'un recueil ultérieur avec sa poésie sur l'invasion russe et la guerre qui en a découlé est peut-être en train de voir le jour dans sa langue natale. Sur la base de ce recueil, le poète Lyuba Yakymchuk et le contrebassiste improvisateur Mark Tokar ont créé un projet musical et poétique du même nom et enregistré un album accessible au public.

Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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Des abricots, du charbon et des poèmes

Dans sa préface, La langue de la guerre, Luba Yakymtchouk parle des mots, « des gros mots comme unique moyen d'exprimer leur expérience traumatique », de la guerre et de la langue, « Je perdais le contrôle de l'écriture, car les mots changent de sens, parfois plusieurs fois par mois et si tu écris quelque chose le premier mois des combats, cela peut perdre son sens en quelques autres mois » de la guerre et des prisonniers, des caves et des tortures, d'humiliation, « La mort s'approche trop près de ma famille, avec les combattants russes et leurs armes », de se cacher et de « lieu sûr », de semblant et de contrôle de sa vie, d'histoires et de poésie, « Les histoires et la littérature sont en ce sens notre maison », d'un projet « Métro à Kybyntsi », de lectures poétiques, des cocktails Kyiv, « La guerre est une perte totale de contrôle, la perte des lieux familiers, avec leurs hommes et leurs choses. Les cocktails s'appellent Kyiv, depuis qu'ils ont visé les chars russes qui sont entrés dans mon quartier », du mot « électricité », des attaques de missiles et de drones contre « les infrastructures civiles et critiques », des mots pour désigner les missiles russes, du temps de la guerre, « Nous nous efforçons de garder le contrôle de nos vies par le biais de gestes quotidiens, d'actions de bénévolat, ainsi que qu'à travers la langue et l'écriture », du pire – c'est-à-dire de l'occupation…

« Mon livre porte donc sur le monde dans lequel est possible un métro reliant Paris au village ukrainien de Kybyntsi, Kyiv à Namur près de Bruxelles, où est né Henri Michaux, un des figurants de ce livre. Je le dédie à la véritable maison de chacun d'entre nous, que personne, sous aucun prétexte, n'a le droit de prendre. Il témoigne aussi du fait qu'en temps de guerre on peut non seulement être triste et en colère, mais aussi aimer et rire, autrement dit : rester véritablement vivant ».

Les abricotiers, le charbon, les usines du Donbas, le brouillard coloré, des femmes et le charbon, les larmes pierres de sel, la télé regardée « à la place des rêves », la guerre et l'adversaire, l'asphalte de la ville, les chroniques des poètes, la pluie, « Cette ville est rayée de pluie / Comme l'uniforme des détenus », les liens téléphoniques et ceux du sang, les tombes creusées entre soi et les autres, les obus, « Inspiration-explosion / Inspiration-explosion », les dents cassées des fenêtres, les viols, l'école vide « trouée ou il ne reste plus rien », le service des personnes disparues, une petite annonce et un chien nommé Pingouin, l'abricotier droit au pied du terril, la féministe, la traduction et les faux amis, les doigts entortillés, « Et tes lèvres continuent à créer ce monde »…

« Si nous ne retrouvons pas notre maison
Nous en construirons une autre au-dessus des abricots
Du ciel bleu, des nuages généreux »
Lien : https://entreleslignesentrel..
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Je ne lis pas habituellement de poésie, mais j'ai entendu une interview de cette poétesse ukrainienne sur RFI il y a quelques semaines, et j'ai été touchée par le poème lu à cette occasion. Alors quand je l'ai vu proposé lors de la dernière édition Masse Critique de Babelio, j'ai su que ce serait mon choix du mois. Quelques semaines plus tard, je reviens donc avec ma note de lecture…
Les abricots commencent à pousser là où l'Ukraine commence (et là où la Russie finit)… Ce recueil de poèmes, dont certains sont écrits depuis l'intensification de la guerre entre l'Ukraine et la Russie en 2022 et d'autres sont bien antérieurs, ce sont plutôt des petites vignettes de vie, parfois un peu énigmatiques (quelques notes pour le contexte auraient été utiles de la part des traductrices ou de l'éditrice), parfois tendres, souvent nostalgiques… C'est un peu dire la guerre et ses exactions sans le dire, dire son amour pour sa terre sans dire je t'aime, c'est aussi dire la vie qui continue, le couple et la famille. C'est un mélange éclectique d'intime et de politique, un recueil plein de douceur malgré les thèmes et la période qu'il couvre.
Je ne suis pas sûre d'avoir complètement accroché, en partie parce qu'un certain nombre de poèmes sont assez difficiles à décrypter, en partie parce que je n'ai pas l'habitude de lire de la poésie contemporaine, mais certains poèmes m'ont touchée, et cela a été une expérience de lecture que j'ai appréciée.

Merci aux éditions des femmes – Antoinette Fouque de m'avoir permis de découvrir ce livre dans le cadre de la Masse Critique de Babelio.
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Le recueil de poème s'ouvre d'abord sur un témoignage beau et objectif à la fois. La poétesse, en quelques paragraphes titrés revient sur l'histoire de sa famille. Une famille ukrainienne qui, finalement n'aura connu que la guerre si on ne compte pas les rares années de répit au moment où l'autrice aura réussi à faire déménager ses parents près de Kyïv où elle s'était installée.

La poésie a toujours été quelque chose que j'ai trouvé difficile à commenter. Il y a évidemment une très forte mélancolie dans ces poèmes, une tristesse omniprésente remplie de larmes lourdes comme des obus. C'est une visio micro où la douleur devient verbeuse comme pour adoucir le coeur, d'une situation macro. C'est des mains qui se frôlent au-dessus d'une table en bois, là où le monde tremble et s'effondre tout autour. C'est un tragique et vaste recommencement qui ne semble pas avoir de fin.
Témoignage et état des lieux d'une guerre qui nous est contemporaine et qui traine en longueur depuis bien plus longtemps qu'on se laisse l'entendre dire. Une vérité mondiale qui n'a rien de beau, pas même en vers.
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Un très beau chant de poésie et pourtant si triste... La préface permet de connaître le contexte de la création et la stupéfaction de la guerre qui commence. On y retrouve des allusions à peine voilée à la poésie française : une poésie à la manière du "Dormeur du val" par exemple, de la création un poème "ticket de caisse" et cette guerre qui coupe littéralement les noms de ville...
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Nous marcherons
  
  
  
  
Nous marcherons, même les pieds nus,
si nous ne retrouvons pas notre maison
nous en construirons une autre au-dessus des abricots
du ciel bleu, des nuages généreux.


/Traduction de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
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Avec la famille
  
  
  
  
Avec la famille on partage la table et tombes
Avec l’ennemi ; seulement les tombes
Que vienne à moi un tel prétendant
Partager avec moi une tombe
Me dire :
Je suis plus grand que toi
Je suis plus dur que toi
Je suis plus fort que toi

Couteau après couteau
plante dans le ventre et plus bas
Lame contre lame
Sa pression est plus pressante

Mais
Il est plus petit que nous
Il est plus faible que nous
Car de lame, il n’a qu’une seule
Et nous sur la table, beaucoup


/Traduction de l’ukrainien par Iryna Dmytrychyn et Agathe Bonin
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FAUX AMIS ET AMOURS

Même les faux amis du traducteur
Finissent par devenir des amis :

Tu dis kochana - mon aimée -
Et en moi, d'une explosion émerge la tête d'un champignon
Je te demande si tu n'es pas ivre ?
Si tu sais ce que ce mot signifie en ukrainien ?
Parce qu'il y a ce mot kochanie - aimable
Que tu m'as dit hier
Comme à une petite

Tu me me réponds que je suis aimable
Que je ne suis qu'aimable, et non aimée
En polonais, non en ukrainien
Tu dis que je te suis kochana - soit
Un ami, plus précisément - une amie

Tu sais, te dis-je, en bélarus il y a aussi un problème à dire l'amour
En bélarus, c'est tout autre que nous
LeurЛюбoȳ est calme et savoureuse, comme l'amour de la chère
Comme l'amour d'un pays qui ne connaît pas la guerre
Et comment vivent-ils sans un tel amour comme il en existe chez nous ?

Tu dis :
Tu ne sais pas ce qu'il en sera demain de
L'amour, semblable à une bourrasque
Par exemple, le mot français baiser
N'est déjà plus un baiser, comme nous l'avons appris à l'école
Maintenant ça signifie faire l'amour

Qu'en serait-il si tu ne parlais pas le polonais mais le français
Que tu disais baiser, fautivement enseigné à l'école
Et que j'acceptais
Car comme toi j'aurais fautivement appris à l'école

Qu'en serait-il ?
Car le corps connaît mieux la langue que la pensée
Car le corps ne trahit jamais

Mon aimé !
Ces relations sont si instables
Tout cet amour de langue à langue si impermanent
Aujourd'hui embrasser - demain baiser
Aujourd'hui aimer - demain comme un pays
Aimé, tsilouyou -
J'embrasse
J'embrasse seulement
Tes joues
Faux
Ami
Du traducteur
Soit
D'une mauvaise traductrice
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Si nous ne retrouvons pas notre maison
Nous en construirons une autre au-dessus des abricots
Du ciel bleu, des nuages généreux
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DÉCOMPOSITION 2014

À l'est rien de nouveau
Pour combien encore rien de nouveau
Le métal devant la mort devient brûlant
Alors que de lui les gens deviennent glacés

Ne me parlez pas d'un certain Louhansk

Depuis longtemps n'en reste que hansk
Lou rasé sur l'asphalte rouge
Mes amis maintenus en otage -
Et do netsk a tourné son dos
Je ne peux les libérer du sous-sol, au-dessus du sol du dessous du sol [...]
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