Sexe latent.
Zweig écrivait aussi bien qu'il portait la cravate. Toujours tiré à quatre épingles, pas de mèche folle, ce n'était pas le genre à offrir le sourire du plombier quand il se penchait pour ramasser un feuillet égaré. Avec lui, il n'y avait pas une virgule qui dépassait et il avait la ponctuation d'un homme qui rechignait à l'apostrophe.
Dans la famille des personnages suicidés, issue tellement récurrente qu'elle lui inspira sa propre fin, Amok est un récit digne d'une séance freudienne. Un voyageur rencontre sur un bateau qui rejoint l'Europe depuis Calcutta, un docteur taciturne. A défaut d'un psy à bord ou d'un curé de voyage pour se faire faire tout pardonner, l'homme va lui raconter une passion qui a dévoré son âme et sa raison.
Le docteur s'était retrouvé en Asie, non en raison d'une passion pour les colonies ou le soleil mais à cause d'une incartade amoureuse peu glorieuse en Allemagne. Affecté dans un bled isolé, la solitude tropicale le faisait dépérir jusqu'au jour où une belle anglaise un brin arrogante, bourgeoise dominatrice,
Jane Austen à fouet, vient le voir de façon clandestine pour qu'il lui retire un passager clandestin. le mari, parti pour affaires quelques mois plutôt, devait rentrer au bercail et même avec un niveau CE1 en calcul, il aurait douté d'une immaculée conception. Pas charpentier, le bonhomme.
La rencontre se passe mal et la jeune femme, ne voulant rogner sur sa dignité, s'en va, toujours enceinte. Epris d'un amour obsessionnel, le docteur va la poursuivre dans la bonne société pour la convaincre de le laisser l'aider.
Et l'Amok dans tout cela ? Et bien, ce n'est ni une pâtisserie locale, ni une MST honteuse, mais une forme de folie homicide observée en Malaisie, fruit pathologique de frustrations et d'humiliations. En Inde, le terme était utilisé par les anglais pour décrire les éléphants incontrôlables qui s'essuyaient les pattes sur le quidam.
Je lis Zweig comme je rends visite à une vieille tante, quand j'ai besoin d'un peu de nostalgie et de vieux gâteaux secs. C'est fin, élégant, très sage et tellement bien construit. Chez lui, même les névroses sont bien peignées. Il voile les vices derrière l'inconscient, souffle la bougie avant de décrire les pulsions animales.
Amok me semble être une bonne porte d'entrée à l'oeuvre de Zweig. Par ici, la sortie.