Dans
le monde d'hier, Zweig évoque ses souvenirs, de façon d'autant plus poignante qu'il les rédige, après le suicide de son ami
Freud à Londres, avant que la situation politique concernant les juifs ne dégénère. Sa femme Lotte Altmann a tapé à la machine le texte certainement remanié, et envoyé le manuscrit à New York, par courrier.
Un jour avant qu'ils ne se suicident, ensemble.
Ces souvenirs d'un des très grands écrivains du XX siècle, pourrait être perçu comme la nostalgie d'un monde révolu : la sérénité, la liberté d'esprit et le bonheur de grandir dans cette Vienne où les gens dansent, où la sécurité règne.
Pourtant, Zweig est trop intelligent pour dresser un monde où tout était parfait.
Il présente le tableau de cette bonne bourgeoisie juive à laquelle il appartient. Disant cela, il écarte définitivement les futurs (même s'il est mort) critiques lui opposant que le peuple viennois de la fin du XIX siècle ne partageait pas ce sentiment de sécurité.
Voici donc son testament, témoin de son évolution intellectuelle, de sa pensée, concernant la liberté, la naïveté de croire en un monde toujours pareil, et nous nous devons de le lire comme tel, avec sa prise de conscience que les changements ont au départ été bénéfiques : l'école reproduisait un ensemble de valeurs rétrogrades, rigoristes, le mépris de la jeunesse et de la liberté d'esprit.
En réaction, les jeunes se tournent vers la
poésie, dont
Rilke, alors que le mouvement national socialiste perpétue, ou renouvelle, la brutalité et l'intolérance. Intolérance par rapport à la sexualité, où l'hypocrisie règne : il y a des bordels, à la seule condition de ne pas en parler. Les femmes « normales », elles, n'ont pas de sexualité, ne doivent pas en avoir.
Puis, après l'Université, Zweig voyage, avec les moyens octroyés par son milieu : Paris, Bruxelles, Londres, New York sont les endroits de sa rencontre avec les autres écrivains, Verhaeren,
Romain Rolland et artistes : Rodin.
Goethe, restant son modèle.
En Inde, il rencontre un monde pétri d'inégalités, s'appuyant sur la race. Des jeunes filles élevées à Lausanne et Londres, mais filles métisses d'une Française avec un commençant indien, ne sont pas admises dans les bals organisés dans le bateau. Prolégomènes du nazisme, pense Zweig.
Qui continue de voyager, tout en méditant sur son statut d'apatride, puisqu'il a voyagé au départ comme fils de famille intellectuel, puis il se trouve sans patrie, la montée du nazisme, qui se termine dans son dernier chapitre par « incipit Hitler » l'empêche de rentrer à Vienne et le force à s'exiler au Brésil. « L'apatride se trouve en un nouveau sens libéré, et seul celui qui n'a plus d'attache à rien n'a plus rien à ménager. »
Zweig relève aussi le paradoxe de la judéité dont on subodore que la richesse constitue le plus fervent désir et capacité.
« Rien n'est plus faux. La richesse n'est pour lui (le juif) qu'un degré intermédiaire, un moyen d'atteindre son but véritable, et nullement une fin en soi. La volonté réelle du Juif, son idéal immanent, est de s'élever spirituellement, d'atteindre à un niveau culturel spirituel supérieur ». Paradoxes de la pensée, écrits avec une élégance particulière, brillant testament sur ce monde qui n'existe plus.