L'anatomie de l’œil
L’œil est dans un château que ceignent les frontières
De ce petit vallon clos de deux boulevards,
Il a pour pont-levis les mouvantes paupières,
Le cil pour garde-corps, les sourcils pour remparts.
Il comprend trois humeurs, l'aqueuse, la vitrée,
Et celle de cristal qui nage entre les deux,
Mais ce corps délicat ne peut souffrir l'entrée
A cela que nature a fait de nébuleux.
Six tuniques tenant notre œil en consistance
L'empêchent de glisser parmi ses mouvements,
Et les tendons poreux apportent la substance
Qui le garde, et nourrit tous ses compartiments.
Quatre muscles sont droits, et deux autres obliques,
Communicant à l’œil sa prompte agilité,
Mais par la liaison qui joint les nerfs optiques,
Il est ferme toujours dans sa mobilité.
Bref l’œil mesurant tout d'une même mesure,
A soi-même inconnu, connaît tout l'univers,
Et conçoit dans l'enclos de sa ronde figure
Le rond et le carré, le droit et le travers.
Toutefois ce flambeau qui conduit notre vie
De l'obscur de ce corps emprunte sa clarté.
Nous serons donc ce corps, vous serez l'oeil, Marie,
Qui prenez de l'impur votre pure beauté.
Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Le miracle d'amour
Babylone a vanté ses murailles de brique,
Rhode a fait renommer son colosse orgueilleux,
Et l'Égypte a fait cas des sommets sourcilleux
D'une masse de pierre admirable en fabrique.
Éphèse aimait son temple ainsi qu'une relique,
Semiramis avait des jardins merveilleux,
Le tombeau de Mausole était miraculeux,
Et ne lui cédait pas le Jupiter olympique.
Les anciens ont dit merveilles en leurs vers
Des miracles premiers qu'on vit en l'univers,
Mais moi j'ai pour sujet la merveille seconde.
Ô ma Philis, alors que je décris vos yeux,
Célèbre qui voudra sept miracles du monde,
Je réserve à ma plume un miracle des cieux.
Pierre de MARBEUF – Redévouverte (France Culture, 1984)
Une compilation des émissions « Albatros », par Jean-Pierre Milovanoff, diffusée les 20 et 27 mai 1984 sur France Culture. Invités : Jean Tortel et Maurice Lever.