En refermant ce gros volume, on est d'abord saisi d'admiration devant la somme de travail qu'il représente et le talent narratif de l'auteur. La masse de documents cités, la diversité des sources (courriers diplomatiques, courriers, rapports de police, notes des préfets, notes préparatoires au procès, etc) donne un idée du travail colossal qu'a dû réaliser
Renaud Meltz pour préparer ce livre.
Pour autant, cette histoire se lit facilement, multipliant les points de vue, faisant apparaître une galerie de personnages qui couvre la fin de la IIIème République et la France de Vichy.
On reste perplexe quant au personnage de Laval. Comment a-t-il pu arriver à occuper pendant si longtemps les plus hautes fonctions de l'Etat français tout en étant totalement dépourvu du moindre projet politique, en n'appartenant jamais à aucun parti ? Il passe sa vie à se tromper, à faire de mauvaises appréciations des situations géopolitiques dans lesquelles il se trouve engagé. Son manque de culture et son inappétence pour le travail de fond sur les dossiers (lire les passages où, ministre des affaires étrangères, il se met en colère dès qu'il est confronté à une carte géographique) auxquels il préfère les discussions en tête à tête avec les multiples interlocuteurs qui viennent lui rendre visite (sa salle d'attente est toujours ouverte) ne lui permettent pas de prendre le recul nécessaire. Il tente toujours de charmer - et y parvient semble-t-il assez souvent ; entretient des réseaux et des obligés par les services qu'il rend dans une grande diversité de milieux, notamment politiques de tous bords et économiques.
Persuadé de sa supériorité, de ses talents de négociateurs, de la force de son "bon sens" paysan, il est toujours amené à faire des concessions sans jamais rien recevoir en retour. Il se fait notamment manipulé par
Otto Abetz l'ambassadeur allemand auprès de la France pendant l'occupation, qu'il s'agisse de faire rentrer en France des prisonniers de guerre détenus en Allemagne, des frais d'occupation payés par la France ou des travailleurs à fournir pour supporter l'effort de guerre allemand.
Souvent indécis, louvoyant, retardant le moment de décider, celui qui dans un discours célèbre "souhaite la victoire de l'Allemagne" joue un rôle de premier plan dans le vote des pleins pouvoirs à Pétain et l'envoi de juifs vers les camps ne recule pas devant le mensonge quand il prétend ne pas connaitre le sort de ceux qu'il envoie en Pologne.
En le rendant à sa complexité, en le resituant dans son époque, en retraçant le contexte dans lequel s'est inscrite son action,
Renaud Meltz est bien loin de nous rendre Laval sympathique. Sa biographie n'est en aucune façon une réhabilitation.