La sénilité de Vladimir Poutine, c'est la chute d'un homme qui accorde une valeur aveugle à la vertu dans un pays où seule les valeurs financières font office de vertus.
Ce roman court, cynique, absurde et parfois drôle, projette le lecteur dans un futur proche où la Russie est telle qu'on l'imagine, en pire. Soumise à toutes les déprédations, elle est dévorée par la cupidité des uns, écrasant la débrouillardise malhonnête des autres. de gens honnêtes, il n'y a plus…à part Nikolai Ilitch. Infirmier personnel du vieux tyran sénile qui a raffiné la corruption généralisée pour l'ériger en système économique, Nikolai est bien le seul à ne pas prendre sa part.
Car si toute la Russie est gangrenée par ce mode de redistribution violent – aberration du contrat social qui revient à un restauration de la loi du plus fort, parfois au sens premier – la situation est topique au plus près du vieux Vladimir. Tout le monde se sert sur la bête mourante : on gonfle les commandes de victuailles et on revend l'excédent, on exploite le domaine de la datcha et on commercialise les produits, on utilise les voitures blindées du vieux président pour des services de transports privés. Seule la sécurité physique de Vladimir Vladimirovitch semble assurée…mais l'est-elle vraiment ? Les luttes ancillaires pour le partage du butin expédieront tel nourrir les vers de terre, tel autre dans un fauteuil roulant, un troisième dépossédé des profits amassés au cours de nombreuses années de détournements presque bénins au regard du reste. Parce qu'à la fin, dans un système où tout bien a pour vocation d'être volé, toute personne d'être corrompue, tout argent d'être détourné, qui protège le fort contre le plus fort ?
Alors que tout le personnel de la datcha rend le plus grand des honneurs à l'ancien président qu'il sert en pratiquant si bien ce que celui-ci a fait toute sa vie, c'est à dire en se servant d'abord, Nikolai reste le seul serviteur honnête, celui dont on moque la naïveté. Aux yeux de son propre fils, il est même coupable d'être si innocent, car cette honnêteté stupide a conduit son épouse, jeune mère de famille, dans la tombe.
On aurait pu comprendre que ce soit son engagement contre un système corrompu qui guide sa droiture, mais c'est une honnêteté béate qui l'habite. Même le jardinier de la datcha, engagé et convaincu, a renoncé : il faut prendre sa part ! Ironie ultime, le neveu de Nikolai, emprisonné pour avoir écrit un pamphlet contre la corruption généralisée de l'actuel et l'ancien président, sera celui qui poussera Nikolai à rompre avec la vertu en s'emparant de quelques unes des montres de valeur de Vladimir.
Nikolai y perdra tout : sa vertu – même si elle ne vaut rien dans cette Russie, sa situation – même si elle n'était pas brillante au moins était-elle gage de sécurité, ses dernières illusions – absolument tout est pourri en ce royaume des tsars qui ne dit plus son nom, son fils enfin, qui jeté à corps perdu dans la corruption à laquelle il reproche à son père de ne pas avoir cédé pour sauver son épouse, refuse de renoncer à cette même corruption pour sauver son père.
Ainsi, le père par attachement aveugle à la vertu s'est interdit de sauver la mère ; le fils par le même attachement aveugle mais à la corruption s'est interdit de sauver le père.
Vertueux sans conviction, Nikolai est un piètre criminel. Il est à son tour volé par plus malhonnête que lui, demeurant incapable d'aider son neveu emprisonné pour son combat. Dans une manière d'acte manqué, il tue son patient, grand inspirateur de ce système qui vient d'achever de ruiner sa vie déjà peu brillante. Ultime avatar du destin, le médecin qui constate le décès emporte les dernières montres du président défunt pour prix de son silence : ainsi donc, la corruption n'est pas morte avec son plus grand promoteur.
Comment ne pas voir dans la dérive de Nikolai Ilitch un autre Raskolnikov ? La montre héritée du père que ce dernier laisse à la vieille usurière qu'il finira par assassiner, Nikolai la vole à Vladimir, quasi figure paternelle, qu'il contribue à envoyer ad patres après s'être tourné vers une jeune usurière. Mais si Raskolnikov cherche dans le châtiment à obtenir la rédemption pour son crime, Nikolai Ilitch a déjà reçu son châtiment avant même de commettre le crime. Quelle rédemption possible, alors ?