Le pouvoir a compris que la vérité sur les camps et sur le passé, si on continuait à la dire, risquait d’emporter tout : pas seulement Staline mais Lénine avec lui, et le système lui-même, et les mensonges sur quoi il repose. C’est pourquoi Ivan Denissovitch a marqué à la fois l’apogée et la fin de la déstalinisation. Khrouchtchev déchu de ses fonctions, la génération d’apparatchiks issue des purges a mis en place, sous l’égide du gracieux Leonid Brejnev, une sorte de stalinisme mou, fait d’hypertrophie du Parti, de stabilité des cadres, de pistons, de cooptations, de petites et grosses prébendes, de répression modérée : ce qu’on a appelé le communisme de « nomentaklura », du nom de l’élite qui en bénéficiait, mais cette élite, au fond, était relativement nombreuse et, pour peu qu’on joue le jeu, pas si difficile à intégrer. Cette stabilité-là, plombée, à-quoi-boniste et d’une certaine façon confortable, pratiquement tous les russes en âge de l’avoir connue y pensent avec nostalgie aujourd’hui qu’ils se retrouvent condamnés à nager souvent à se noyer dans les eaux glacées du calcul égoïste.
On fait semblant de travailler ils font semblant de nous payer