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Citations de Andreï Makine (1441)


Le vent chassait les vapeurs d’alcool, nous faisant frôler cette lucidité extrême qu’on atteint rarement sans avoir bu.
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Deux ou trois éditeurs ont refusé le projet, tout en reconnaissant sa force. L'un d'eux m'a paru sincèrement gêné, comme si, devant l'étranger que j'étais, il se sentait responsable de la réputation littéraire de son pays et de son héritage intellectuel :

« Que voulez-vous ? Vous voyez bien qui sont nos nouveaux maîtres à penser - les footballeurs ! On les entend sur toutes les ondes avec leur vocabulaire de trente mots, employés à contresens. Eux et leurs entraîneurs. Il suffit de comparer le temps médiatique consacré au sport avec les bribes qui restent pour les livres. D’ailleurs, c'est parmi les sportifs, souvent installés en Suisse, que les Français choisissent leur "personnalité préférée"... »
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Deux familles, assez semblables, vu la tranquillité et l’aisance de leur quotidien, leur loyauté sans reproche à l’égard de cet Empire ottoman dont elles se considéraient comme sujets fidèles et respectueux. Au fond, cette question ne se posait même pas : la terre où vivaient ces familles arméniennes appartenait à leurs ancêtres depuis des temps immémoriaux et c’était plutôt la présence des Ottomans qui aurait pu être jugée bien plus récente et clairement accaparatrice. »
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...Pierre III n'était pas du tout l'idiot dont parle les historiens. Plutôt un inadapté, un faible, un songe-creux. Et le monde punit toujours la faiblesse des rêveurs.
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Des articles qui parlaient d’un enseignant capable de faire revivre, grâce au théâtre, les enfants handicapés et les jeunes à la dérive. Pour les journalistes, au temps de la censure, ce genre de sujets était l’unique terrain de liberté : un original qui refuse les honneurs et une belle carrière, c’est déjà une discrète révolte contre le béton massif du régime…
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A la chute du jour, en dévorant la chair grillée sur les braises, je pris conscience de n'avoir jamais pensé avec un tel chagrin et une telle reconnaissance, à une parcelle de vivant qui m'épargnait la mort. En vérité, jamais je ne m'étais senti aussi uni à cette vie dite sauvage et à laquelle à présent j'appartenais...
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" Cela paraît un peu saugrenu, ces particules accolées aux noms russes. Mais... Il s'agissait des exilés qui ne possédaient plus rien et ceux qui avaient un titre de noblesse s'y accrochaient tels des mendiants à leur sébile. D'où ces ajouts
__ simple rappel de leur vie d'avant la révolution.
Un réflexe d'apatrides... "
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C'était un art commun aux peuples familiers des bannissements et des exodes, forcés de recréer, indéfiniment, leur espace vital - leur patrie transportée dans leurs maigres bagages. Oui, de gravir les tréteaux d'une existence vacillante, d'installer un décor où se joue le drame de leurs exils.
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J’hésitai un moment, puis avouai : « Il n’y avait pas de cave pleine de vins dans cette ville balte dont j’ai parlé. Juste une caisse de bouteilles. J’ai bu avec les bidasses pour oublier que nous avions piétiné les visages des cadavres. Depuis, je n’ai pas trouvé d’autre moyen d’oublier…
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Je pensai aux philosophes que j'avais étudié. Les grecs, les Romains, les mystiques du Moyen Âge, Kant, Hegel, les inévitables Marx et Lénine ... Tous apparemment avaient ignoré l'essentiel : ce noyau de l'homme, cet alliage bestial et tribal qu'aucune Idée absolue ne pouvait transcender, aucune Révolution ne parvenait à mater.
Tout autour, dans les camps que cachait la taïga, des milliers d'ombres meurtries peuplaient les baraquements à peine plus confortables que mon abri. Que pouvait proposer un philosophe à ces prisonniers ? La résignation ? La révolte ? Le suicide ? Ou encore le retour vers une vie ... libre ? Mais quelle était cette "liberté "? Travailler, se nourrir, se divertir, ,se marier, se reproduire ? Et aussi , de temps en temps, faire la guerre, jeter des bombes, haïr, tuer, mourir ... Nulle sagesse ne donnait une réponse à cette question si simple : comment aller au-delà de notre corps fait pour désirer et de notre cerveau conçu pour vaincre dans les jeux de rivalités ? Que faire de cet animal humain rusé, unique, toujours insatisfait et dont l'existence n'était pas si différente du grouillement combatif des insectes qui s'entre-dévoraient dans les fentes de mon abri ? La "légitimité de la violence ", comme je l'écrivais dans ma thèse ...
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C'était un pays (la France) livresque par essence, un pays composé de mots, dont les fleuves ruisselaient comme des strophes, dont les femmes pleuraient en alexandrins et les hommes s'affrontaient en sirvantès [...] La France se confondait pour nous avec sa littérature. Et la vraie littérature était cette magie dont un mot, une strophe, un verset nous transportaient dans un éternel instant de beauté.
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Dès sa naissance, le village n'était pas conçu pour abriter l'amour. Les cosaques du tsar qui l'ont fondé, il y a trois siècles de cela, n'y pensaient même pas. Ils étaient une poignée d'hommes écrasés par la fatigue de leur folle équipée au fond de la taïga infinie. Les regards hautains des loups les poursuivaient même dans leurs songes tumultueux. Le froid était tout autre qu'en Russie. Il semblait ne pas connaître de limites. Les barbes, recouvertes de givre épais, se dressaient comme des lames de hache. Dès qu'on fermait les yeux un instant, les cils ne se décollaient plus. Les cosaques juraient de dépit et de désespoir. Et leurs crachats tintaient en retombant en petits glaçons sur la surface noire d'une rivière immobile.
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"Vous, les Français, vous vous battez pour l'argent. Et nous, les sujets de la reine, nous nous battons pour l'honneur !" Alors, du navire français, on entend parvenir avec une bouffée de vent salé cette exclamation joyeuse du capitaine : "Chacun se bat pour ce qu'il n'a pas, sir ! "
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Des fous, oui, se disait Volski. Puis, il se souvenait de ce qu’il avait vécu pendant le blocus, à la guerre, au camp. Et la folie des patients lui paraissait bien plus raisonnable que la société qui les avait internés.
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Alexeï sur le front

Il avait d'ailleurs depuis longtemps appris qu'à la guerre, la vérité et le mensonge, la générosité et la dureté, l'intelligence ou la naïveté n'avaient pas la même clarté que dans la vie d'avant. Souvent lui revenait le souvenir des cadavres sur la berge d'une rivière. Mais l'horreur de ces minutes révélait à présent sa face cachée ; si le jeune Moscovite qu'il avait été alors, n'avait pas séjourné au milieu de ces morts, il aurait sans doute été brisé, dès les premiers combats, par la vue des corps éventrés. La botte qu'il avait arrachée au cadavre lui avait été comme une cruelle mais inévitable vaccination. Parfois, dans un jugement inavoué, il reconnaissait même que, à côté de ce mort déchaussé, toutes les tueries dont il était témoin lui paraissaient moins dures à vivre.

page 72
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« En fait, le livre commence quand tout est fini pour mon héroïne. Il en est ainsi de nos vies, je crois. Quand on n’attend plus rien, la vie s’ouvre à l’essentiel... »
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À cet instant de ma jeunesse, le verbe "vivre" a changé de sens. Il exprimait désormais le destin de ceux qui avaient réussi à atteindre la mer des Chantars. Pour toutes les autres manières d'apparaître ici-bas, "exister" allait me suffire.
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Pfister chuchote comme un secret : « Un conseil de vieux. Ne revenez jamais vers les femmes d'autrefois. Douleur garantie. Vivez dans le présent, il ment mieux car il change tout le temps... Tiens, voilà mon présent qui arrive ! »
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Son retour dans la ruche communautaire l'aide à évaluer la brutalité de la course où s'est lancée la Russie. Avant, l'appartement était habité par des gens certes modestes mais qui avaient tous un travail ou une retraite. Y nichaient aussi des artistes venus conquérir Leningrad, des divorcés espérant trouver mieux rapidement. A présent, s'entassent ici des laissés-pour-compte, les perdants du triage entre les forts et les faibles, seule façon d'exister dans ce nouveau pays. Leur pauvreté se voit au linge qui sèche, aux plats cuisinés sur le fourneau.
L'an cinq depuis la chute du mur de Berlin.

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Le temps que vivait alors la Russie pulsait avec une frénésie pathologique. Les fortunes se créaient en quelques mois, se perdraient en quelques heures. Voir en pleine rue, un homme étendu dans une mare de sang était aussi banal qu'autrefois enjamber un ivrogne endormi sur le trottoir. Un jour, Oleg a filmé une limousine, symbole rutilant d'une carrière. Le lendemain, il n'en restait qu'un tas de ferraille dégageant l'odeur des explosifs. Les policiers ramassaient, dans des sacs en plastique, les restes du propriétaire.

Pages 188/189
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De temps à autre, son métier routinier subissait les effets de l'actualité. Au printemps 32, en détectant son accent russe, un client l'injuria et ne voulut pas prendre place. Les passagers nocturnes, souvent éméchés, avaient habitué Valdas à leurs sautes d'humeur…

Le matin, en terminant son service, il apprit la nouvelle : un certain Pavel Gorgoulov (un émigré qu'il avait croisé, un soir, chez Sophia) venait de tuer le président Paul Doumer. L'assassin, visiblement dérangé, prétendait avoir été guidé par une énigmadque « troïka verte »... Il allait être guillotiné.

Ce qui surtout fit de la peine à Valdas, c'est de savoir que Doumer, un vieil homme respectable, avait perdu quatre de ses cinq fils ! Non, la littérature n'était pas faite pour aborder, sans emphase, un chagrin pareil : un vieillard dont la guerre emportait les enfants l'un après l'autre.
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