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Critiques de Carlo Levi (59)
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Rome fugitive

Trente textes écrits par Carlo Levi entre 1951 et 1953, publiés pour l'édition originale en italien en 2002, et pour la première fois en français en 2023.



C'est donc une très belle plongée dans la ville éternelle une soixantaine d'années en arrière au coeur de laquelle ces très beaux textes emportent le lecteur, dans des atmosphères bien différentes de celles que l'on peut ressentir en parcourant la ville aujourd'hui, encore que la lumière, les ciels changeants, les pluies quelquefois diluviennes soient toujours présentes dans la cité.



J'ai choisi de lire ces jours-ci ce recueil, qui m'attendait depuis un certain temps, mais l'occasion d'un nouveau séjour à Rome était trop belle pour ne pas l'associer au parcours varié et poétique proposé par Carlo Levi.



Et bien sûr, ce fut un ravissement, aussi bien dans la ville vide des petits matins dominicaux des années 60, qu'au fil des saisons, chacune conférant à la ville une lumière différente, ou encore avec les oiseaux, les arbres, les fêtes, la lune, tout ce qui participe de la féerie romaine. Celle-ci me saisit à chaque passage sur les pavés des forums, dans l'obscurité des églises où une pièce va permettre d'illuminer deux minutes un Caravage, dans tous les lieux d'une cité qu'il faut prendre le temps de sentir et d'aimer.



Carlo Levi évoque aussi le peuple de Rome, riches et pauvres, petits délinquants, filles dévoilant leurs charmes, toujours davantage à mesure de l'avancée vers l'été et ses chaleurs. Il conte de multiples anecdotes dans lesquelles interfèrent la comète, les jouets japonais, la marche, l'élégie de la mi-août, tous les attraits de cette ville qui s'enfuit sous nos pas, laissant toujours le souvenir impérissable de toutes les sensations qu'elle offre.



Prendre le temps de lire quelques-unes de ces pages dans le parc de la villa Borghese ou même dans la foule de la Piazza Navona permet de savourer encore davantage le bonheur d'être simplement là, dans Rome.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Je n'aurais sans doute jamais lu : le Christ s'est arrêté à Eboli si je n'avais vu, l'année dernière, l'émission d'Arte sur Matera - ville du Basilicate en Italie - capitale européenne de la culture en 2019. J'avais été fascinée par cette cité aux ruelles tortueuses, accrochée au flanc d'une blanche montagne calcaire. Un paysage d'une beauté sauvage mais aussi d'une parfaite désolation ! Je m'étais jurée de lire le roman de Carlo Levi, assigné à résidence de 10935 à 1936, car antifasciste, dans un village voisin Aliano, devenu dans le roman Gagliano. C'est chose faite et je ne le regrette vraiment pas...

Tout comme l'auteur, je me suis sentie immédiatement sous l'emprise de "cette terre sans consolation ni douceur où vit le paysan dans la misère et l'éloignement, sa vie immobile sur un sol aride face à la mort". Carlo Levi s'est attaché à ces hommes et ces femmes avec une empathie et une humanité qui, pour moi, sont contagieuses. Et son regard de peintre fait surgir, au fil des pages, tout une galerie de portraits de personnages tous plus attachants les uns que les autres. Qu'il s'agisse de Giulia, sa servante, des enfants du village et même de Barone, son chien, tous prennent vie, sous nos yeux, avec une acuité et une présence étonnantes.

Tout aussi attachante est sa verve satirique lorsqu'il évoque les "seigneurs du village", une classe déchue, qui fait peser sur le monde des "cafoni", les paysans, un pouvoir féodal sans faille. Ce monde paysan qui occupe une place essentielle dans le roman, se lève tous les jours à 4 heures du matin pour rejoindre ses champs au bord de l'Agri, une rivière insalubre qui explique la malaria dont est victime cette population rurale déshéritée et résignée à son sort. La seule consolation à laquelle ces paysans puissent se raccrocher : les mythes et légendes qui alimentent bien sûr leurs terreurs mais les orientent aussi vers une sorte de panthéisme primitif où tout est divin. Monde étonnant aussi que celui des "cafoni" où les femmes exercent un matriarcat de fait tout en devant se plier à des règles sociales très strictes, notamment sur le plan des relations hommes/femmes. Caarlo Levi a donc su, dans son roman, faire oeuvre d'historien, d'anthropologue et de portraitiste avec une verve qui ne se dément jamais tout au long du récit.

C'est aussi à son talent de pamphlétaire que je rends hommage, lorsqu'il critique avec une ironie tour à tour enjouée et féroce, ce monde quasi féodal, au sein duquel il a vécu une année. Non moins interpellante est l'analyse politique qu'il fait du rapport que ces paysans du Sud de l'Italie entretiennent avec l'Etat et qu'il évoque en ces termes : "Leur aversion pour l'Etat, étranger et ennemi s'accompagne [...] de ce que, pour eux, devrait être l'Etat : une volonté commune qui se fait loi". Comment ne pas voir les résonances très contemporaines de ce genre de citation...

Pour Carlo Levi, cette expérience de vie dans ce village perdu du Basilicate fut une révélation qui lui a permis de vivre une sorte d'ascèse intérieure. Mais c'est avec une belle lucidité qu'il évoque aussi le poids de la solitude et la coupure douloureuse avec toute une partie de lui-même. Son départ de Gagliano fut donc empreint d'une nostalgie un peu ambivalente...

Je terminerai cette chronique avec cette belle évocation qui vous donnera peut-être envie de lire ce roman comme cela a été le cas pour moi : "Mais sur cette terre sombre, sans péché, et sans rédemption, où le mal n'est pas un fait moral, mais une douleur terrestre, qui existe toujours dans les choses mêmes, le Christ n'est jamais descendu. le Christ s'est arrêté à Eboli".
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

En reclassant ma bibliothèque, avec mon nouvel emménagement, je retrouve ce texte autobiographique qui avait été , il y a très longtemps, une grande émotion. De très nombreuses notes sur les usages, les traditions... dans cette région reculée, dans une période historique, âpre



Jeune médecin turinois, membre du mouvement Justice et Liberté, Carlo Levi est exilé, relégué par les autorités fascistes dans une région reculée, la Basilicate, appelée alors Lucanie. Nous sommes dans les années 1930. Là-bas, la malaria décime la population qui vit déjà dans une misère noire. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit. Il peint avec son pinceau et sa plume le portrait d'une région abandonnée à son triste sort et relate le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup un témoignage doublement bouleversant entre l'œil du médecin et celui de l'écrivain...
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Ce livre aurait pu figurer dans la collection Terre Humaine tellement ce récit est avant tout un témoignage ethnographique et en même temps un récit autobiographique.

En 1935, pour ses activités au sein du mouvement Justice & Liberté, Carlo Levi, bourgeois turinois, médecin et peintre se voit « confiné » dans un village de Lucanie (aujourd’hui Basilicate) par les autorités fascistes au pouvoir.

Ce bouquin raconte les deux années qu’il passa là-bas.

Très loin des « aventures » de Don Camillo, l’auteur nous montre l’incurable misère des paysans de ce Mezzogiorno oublié de Rome.

Il décrit les saisons (supportable qu’une dizaine de jours au printemps), les coutumes (sorcellerie notamment) et la Culture (les hommes s’exilant pour gagner leur vie ...), les légendes (dragons, etc.) et l’anticléricalisme des habitants de cette région aride et sujette aux épidémies de malaria.

Il dépeint le mépris réciproque des paysans et des « seigneurs » (petits potentats, fonctionnaires, religieux ...), à peine moins pauvres que les premiers. La résignation des uns, l’impunité des autres. L’auteur se fera néanmoins quelques amis dans les deux camps, l’hospitalité étant la règle de tous temps.

De l’antifascisme de l’auteur il n’est que très peu question ; cette région est indigente et déshéritée depuis des siècles.

L’écriture est claire. Les portraits de tous les personnages sont précis, vivants ; on sent l’artiste-peintre derrière l’écrivain. Les paysages sont décrits de façon expressive, ils sont solaires et minéraux. Le ton est fataliste, il n’y a rien à attendre de cette terre, de cette époque non plus.

Un beau témoignage, d’une période pour l’heure révolue, car aujourd’hui le tourisme « nettoie » la pauvreté ... et c’est tant mieux. Allez, salut.

P.S. : J’ai acheté ce livre (2€ à la Bouquinerie du Sart, Villeneuve-d’Ascq) pour lire « local » lors de vacances dans les Pouilles et la Basilicate.

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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Carlo Levi : l'homme de convictions.

Pour son implication dans l'opposition antifasciste, il est condamné en 1935 au régime de « confino », contraint à résidence dans un village perdu de Lucanie.



Carlo Levi : l'homme de lettres.

Cette résidence surveillée lui permet de brosser un tableau réaliste d'une population rurale, aigrie entre frustration et pauvreté, un monde fermé aux rapports humains pourris par des haines réciproques, où la petite bourgeoise se livre une lutte interne de pouvoir sans répit, indifférente au quotidien sordide des paysans.



Misère, maladies, (Carlo Levi a une formation de médecin), ignorance et superstitions n'empêchent pas la tradition d'accueil des campagnards du Mezzogiorno, induisant chez le visiteur « obligé » un regard littéraire pétri de compassion et d'humanité.



Cette cohabitation inspirera profondément le peintre écrivain. Il produira de nombreux tableaux de genre « rural » et après sa libération, ce récit détaillé de ces mois de relégation.



J'ai pris beaucoup d'intérêt à ce très ancien conseil amical de lecture.

Une plongée italienne sociale et historique qui restera en mémoire durablement.

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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Assigné à résidence pour trois ans par le régime fasciste dans un village désolé du sud de l'Italie, Carlo Levi témoigne de cette expérience d'incarcération hors des murs, de sa difficile adaptation à cet univers rural âpre et immobile, tout en décrivant et analysant avec l'oeil d'un ethnologue et le coeur d'un citoyen le microcosme perdu et miséreux que formait la communauté de Gagliano dans les années trente.

On se coule comme dans des eaux lourdes avec intérêt et fascination dans ce récit statique où la nature est avare, presque hostile, le temps hors du temps et les hommes immuablement inscrits dans un déterminisme résigné.

A Gagliano l'Etat est loin, les paysans ne l'acceptent pas mais n'ont d'autres choix que de se soumettre à l'autorité des médiocres petits bourgeois qui le représentent pour leur propre profit.

Le travail est dur, le pain est rare, l'église vide, l'espoir absent notamment pour les "Américains" rentrés au village après la grande dépression, leurs rêves de richesse envolés.

Les hommes sont mutiques et les femmes fortes comme des arbres. Au milieu d'eux, Levi compose comme il peut entre paysans qui l'adulent pour ses qualités de médecin, représentants de l'autorité qui le surveillent sans relâche et avec défiance, et femmes qui cachent de vives ardeurs sous le poids des traditions. Pour s'échapper et s'occuper, il peint : le village, la nature, mais pas les hommes que leurs croyances ancestrales poussent à craindre de se faire voler leur image.

J'ai beaucoup aimé ce récit hors du temps, qui par certains accents m'a rappelé la saga rurale Les paysans de Ladislas Reymont.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Italie, annés 30. Le fascisme de Mussolini règne sur la péninsule. Carlo Levi, peintre et intellectuel turinois (1902-1975), amis de nombreux artistes comme Pavese ou Modigliani se tourne très naturellement vers un engagement politique anti-fasciste. Cela lui vaut d'être d'abord emprisonné, puis relégué en 1935 dans un village perdu de Lucanie, région déshéritée du Mezzogiorno. La vie au sein cette petite agglomération, nommée Gagliano dans le roman, est pour le citadin et artiste venu du Nord l'occasion d'un choc culturel frontal. Plus que la misère, la désolation et la malaria qui sévissent dans ce petit pays, perdu au milieu de nulle part, habité de quelques notables et d'une majorité de paysans, c'est la différence des mentalités - résignation ancestrale entrecoupée de bouffées de révolte - et de la civilisation, ici pré-chrétienne (ce qui explique le titre), croyant aux esprits, aux bêtes et à la magie, qui frappent son regard attentif et sa sensibilité.

Livre d'un peintre (son activité principale malgré ses études de médecine), Le Christ s'est arrêté à Eboli présente d'une série de tableaux très suggestifs et forts qui traduisent son questionnement devant un mode de vie, fruste et archaïque, qu'il n'aurait même jamais imaginé auparavant.

C'est aussi le récit d'un apprivoisement : devant tant de souffrances muettes et de maladies endémiques, l'ancien étudiant en médecine reprend du service pour venir en aide aux familles de paysans. Courtisé par les notables en tant qu'homme cultivé venu de Turin, aimé par les gens simples qu'il soigne et apprend à connaître de mieux en mieux, il n'en vit pas moins dans un tel éloignement de tout ce qui faisait sa vie d'artiste citadin, que la désolation de ces collines arides se communique à lui, et que, malgré ses activités de peintre et de médecin, il finit par souffrir de cette solitude à laquelle rien ne l'avait préparé.



Le roman, dépourvu de trame mais conçu comme une succession de considérations et de descriptions puissantes, comporte une première phase portant sur la découverte de ce monde inconnu et de ses coutumes, puis devient davantage une chronique des événements qui marqueront son auteur pour le reste de sa vie.

La force et la beauté des évocations de ce livre, leur justesse, en font un chef-d'oeuvre devenu un classique, adapté au cinéma par Francesco Rosi.

Lu en V.O.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Un de mes premiers contacts avec la littérature italienne, il y a fort longtemps. Je dois à ce livre mon amour pour l'Italie, son peuple, sa langue, son histoire.



Un choc, donc, et une émotion profonde que j'ai retrouvée en lisant Lessico famigliare de Natalia Ginzburg, dont le mari, Leone Ginzburg, était un des fondateurs du mouvement Justizia et Libertà auquel appartenait aussi Carlo Levi.



Relégué pour anti-fascisme en Basilicate , à Aliano -ou Gagliano, en dialecte- médecin et peintre, Carlo Levi a croqué de tous les moyens qu'il avait à sa disposition ce petit village oublié des dieux- comme l'évoque le titre du récit.



Plein d'empathie, de tendresse parfois amusée mais toujours respectueuse, Carlo Levi a donné la parole à ces oubliés, à ces humbles qui, à leur tour, ont ouvert leurs bras et leur porte à cet intellectuel menacé, que les autorités fascistes avaient assigné à résidence sur leurs terres arides. C'est là que Carlo Levi demandera à être enterré, bien plus tard, en 1975.



Une belle rencontre, un beau livre et de belles toiles.



Une belle adaptation cinématographique aussi, due à Francesco Rosi, avec le regretté Gian Maria Volonte, tout plein d'une sombre flamme...
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Peur de la liberté

Partant d’une opposition entre le sacré et le religieux, Carlo Levi propose dans ce « poème philosophique », « une description générale de la crise contemporaine dans son ensemble », une théorie de l’État, idole sociale de laquelle l’esclavage est consubstantiel, de la liberté, de la guerre et implicitement du nazisme, « alors que les divisions blindées des Allemands parcouraient les plaines de la Pologne », comme il le rappelle dans sa préface.

(...)

Avec ce superbe et profond ouvrage, rédigé de septembre à décembre 1939, Carlo Levi élabore une théorie de l'État ancrée dans le religieux ou plus exactement dans le sacré, basée sur le sacrifice. La montée du nazisme et son expansion tragique transparaissent bien sûr en filigrane, mais c’est bien toute l’histoire de l’humanité qu’il convoque et examine. On pense beaucoup à Bakounine, par la puissance définitive et destructrice de ses analyses des fondements de l’État.



Article complet sur le blog :
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Carlo Levi, intellectuel engagé et artiste peintre, est arrêté en 1935 pour son activité antifasciste. Il est assigné à résidence dans un village isolé de Lucanie au sud de l’Italie. Il rend compte de son expérience dans ce récit publié en 1945. Sa formation de médecin lui permet de venir en aide à une population paysanne d’une grande pauvreté, survivant dans un environnement hostile au climat froid en hiver et sec en été et où la malaria fait des ravages. Il est rapidement accepté par ces hommes et ces femmes naturellement méfiants à l’égard de toute personne venant du nord de l’Italie. Sa bonté naturelle et son absence de jugement lui ouvrent le cœur de ces paysans aux mœurs rudes, superstitieux dans leur rapport à la nature et pour la plupart illettrés. Carlo Levi décrit avec force détails leur quotidien fait de labeurs incessants et rend justice à leur endurance et leur courage, teinté de résignation, avec parfois des éruptions de violence quand l’injustice devient insupportable. Quelques fêtes viennent rompre le défilé monotone des jours et l’isolement de l’auteur. De cette expérience qui l’a profondément marqué, Carlo Levi en tirera la conclusion que la source des problèmes du Sud est l’Etat, plus enclin à taxer les paysans et leur imposer des solutions ineptes, comme la culture du blé sur des terres impropres, que de se pencher sur le sort de ces hommes et de ces femmes ployant sous le joug des podestats locaux qui les saignent à blanc. Le départ de l’auteur, libéré au bout d’une année, est un crève-cœur pour les paysans de Gagliano, situé au dernier cercle de l’Enfer. Pour nous aussi, ce départ est un arrachement. Nous quittons comme à regret ces personnes singulières que le récit nous a rendu si proches et que nous avons le sentiment d’abandonner à leur sort.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

La Basilicate est une région italienne qui avait pour nom la Lucanie, notamment dans les années 30. C'est cette région oubliée de l'Italie fasciste qu'a découvert Carlo Levi, alors membre du mouvement Justice et Liberté, pendant son exil. Ce livre retrace tout ce qu'il a observé et ressenti de cette région pauvre ravagée par la malaria et la misère humaine, où les habitants tentent de garder un semblant de vie et de traditions. Il s'agit d'un roman autobiographique où la réalité prend à la gorge!
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Carlo Levi fut mis en résidence surveillée entre 1935 et 1936, pour activité antifasciste, dans un village perdu de Lucanie, terre déshéritée de l’Italie du sud, tellement oubliée et arriérée économiquement, que les paysans pauvres de cette aride terre brûlée par le soleil, ont habitude de dire avec cet air de fatalisme et d’humour triste propre à ses régions, que Christ s’est arrêté à Eboli, en d’autres termes, que sont influence cesse à 150 km de là, au nord-ouest, et que sa bénédiction ne saurait s’étendre à des hommes qu’ont considère comme des pouilleux, à peine plus que des animaux.



Récit autobiographique, au contenu sociologique et ethnologique, agrémenté d'anecdotes suggestives, ce témoignage oscille entre ironie féroce envers le ridicule des prétentions des “autorités” locales fascistes et tendre simplicité avec lesquelles les êtres et les choses sont décrits. On y décèle le regard du médecin de formation qu’il fut, statut qui lui vaudra l’affection auprès de ces humbles paysans dénués de tout. Car il s’agissait alors de vivre dans des conditions effroyables : la malaria sévissait régulièrement, comme d’autres infections tel que le trachome. Malnutrition, rachitisme, sont les lots de quiconque vit sur ces terres argileuses, stériles et enclines aux éboulement périodiques. Les calamités sont aggravés par le fatalisme de l’âme méridionale, bercée de mysticisme et de superstition, où le christianisme est pénétré d’un paganisme chtonien immémorial : les légendes de sorcières, de gnomes, de filtres bienfaisants et néfastes sont le fond des croyances populaires. Le fascisme n’y était implanté que dans la petite et moyenne bourgeoisie, alors que pour les paysans, c’était un mal inévitable, venu de ces messieurs de Rome, une autre des calamités qui frappaient leur vie depuis des générations et qu’il fallait bien patiemment supporter. Dans cette atmosphère désespérante d’ennui, de fatalisme et d’incurie, de haines et de rancœurs sourdes entre les “galantuomini”, propriétaires terriens et bourgeois, et les “cafoni”, paysans pouilleux, les villages se vident de leurs hommes, qui partent, qui vers le nord, qui vers l’eldorado de l’Amérique, et les robustes femmes, en une société matriarcale, assument les tâches dévolues traditionnellement aux hommes.



Ce récit poignant, édité une décennie après les événements relatés, est passionnant à bien des égards, notamment lorsque son auteur traite des données historiques du brigandage, issu de la civilisation paysage, sans état et sans armée, ainsi que des problèmes quasiment insolubles qui font obstacles au développement économique, social et culturel de l’Italie méridionale.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Le Christ s'est arrêté à Eboli est le récit autobiographique de l'exil dans une région isolée du Sud de l'Italie, du Turinois Carlo Levi, médecin, peintre, écrivain et opposant au fascisme (sans lien de parenté avec Primo Levi). Banni à Aliano, une petite ville de Lucanie (région connue aujourd'hui sous le nom de Basilicate) en raison de son activité antifasciste, Levi va y vivre un an en résidence surveillée.

Il est très difficile de dire à quel genre précisément appartient cette oeuvre exceptionnelle, magnifiquement écrite. C'est à la fois le journal de son exil politique, un pamphlet contre le fascisme, une chronique de son activité de médecin auprès des déshérités et une étude sociologique. Carlo Levi nous offre une description détaillée de cette Italie abandonnée en nous racontant la vie quotidienne de ses habitants, des paysans pauvres et résignés. Sans préjugés ni a priori, mais avec beaucoup d'humanité et une profonde empathie, Levi nous décrit les coutumes de cette région, déconcertantes pour un homme cultivé. Il nous fait découvrir un monde archaïque, régi par des lois immémoriales et dominé par de vieilles superstitions.

Ce n'est que plusieurs années après, pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu'il se cachait dans une chambre à Florence parce qu'il était juif, que Levi a consigné son expérience. Ce livre est une condamnation cinglante du gouvernement italien qui a honteusement négligé le Sud de l'Italie après le Risorgimento et l'unification de l'Italie qui a suivi. Le titre laisse entendre que les paysans de Lucanie se sentaient moins qu'humains, parce que le christianisme, qui représentait l'humanité, s'était arrêtée au nord de leur région. Opprimés pendant des siècles, ils se considéreraient comme de simples porte-faix. Levi montre l'opposition irrémédiable entre les paysans et l'État, synonyme d'asservissement.

La description lucide de Levi a permis d'entamer le débat sur le « problème du Sud » après la fin de la guerre. Sa dernière volonté a été d'être inhumé à Aliano auprès de ceux qu'il a contribué à sortir de l'oubli.

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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Récit autobiographique du confinement auquel a été réduit l'auteur, en 1935 et 1936, pour prises de position contraire au régime fasciste. L'auteur en a terminé la rédaction en 1944.



Cela pouvait être pire, me direz-vous, que de se retrouver dans le grand sud chez les Meridionali comme les Italiens du Nord les appellent. C'est une vie ardue et pourtant bonne à vivre que l'auteur nous décrit. Il nous fait véritablement aimer ce Sud qui semble être resté primitif, privé des dieux et du Christ.



Quelle belle langue, qu'il faut goûter avec parcimonie, le temps de se laisser imprégner de la chaleur, de la poussière ou, au contraire, du vent sableux de là-bas où rien n'est vert, où rien ne pousse.



Un grand coup de coeur, assurément.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

En 1935, pour s'être opposé au régime fasciste, le Turinois Carlo Levi a été placé en résidence surveillée dans un petit village de Basilicate (l'ancienne Lucanie) qu'il a baptisé Gagliano. Ainsi, lui le citadin septentrional, s'est-il retrouvé dans le Sud profond, à l'extrémité de la péninsule où il restera jusqu'à l'année suivante, sur cette terre où sévissait une pauvreté endémique sur fond de paludisme (la malaria). Un endroit abandonné à son triste sort, oublié même de Dieu. le titre signale ainsi que le Christ en personne s'est arrêté à Eboli. Jugeant inutile d'aller plus loin. D'ailleurs aux yeux de Rome, symbole d'un État indifférent et lointain, ces lieux reculés ne sont rien de plus qu'un pays de bêtes de somme sans aucun rapport avec une terre chrétienne. Rien de plus naturel également que d'y rencontrer des créatures à l'animalité latente, comme cette femme qui a à la fois une génitrice humaine et une vache pour mère.



Notons qu'à l'époque, les individus exilés à l'intérieur de leur propre pays en des contrées peu amènes étaient appelés « confinati » et que si, dans un passé récent en Italie, on a employé le mot « lockdown » au lieu de « confinamento », ce choix lexical se justifiait, car le mot confinement aurait été bien trop connoté...



Mais revenons à nos moutons. Notre « confinato », médecin de formation mais qui n'exerce pas l'art médical, est également peintre. Et il va d'ailleurs beaucoup peindre pendant son exil. Puis, quelques années plus tard, celui-ci va rassembler tous les souvenirs engrangés à Gagliano (en réalité Aliano) et dans les environs (Grassano, Matera) pour peindre d'autres tableaux, avec des mots cette fois-ci. Et, à ce moment-là, il était loin de se douter que ce séjour forcé lui aurait inspiré un petit miracle littéraire traduit en 37 langues, à présent considéré comme un classique de la littérature italienne.



Ainsi l'auteur, grâce à un pouvoir d'évocation saisissant, construit son récit par touches successives pour nous transporter dans un autre temps. Bien que relégué dans le trou du cul du monde, il a semble-t-il fait plus d'expériences enrichissantes en seulement quelques mois que le commun des mortels en l'espace d'une vie. À tel point que c'est presqu'à regret qu'il quittera Gagliano en 1936 en promettant aux villageois qu'il reviendra, mais comme on s'en doute ceux-ci ne le croient pas et ne peuvent s'empêcher de se sentir de nouveau laissés pour compte.



Ce n'est qu'en 1943 que Carlo Levi regarde en arrière pour consigner par écrit cette tranche de vie. L'ancien exilé porte un regard rempli d'humanité sur les paysans opprimés de Lucanie, victimes des injustices et des absurdités du système. Pour eux, face à leur immense détresse, le narrateur acceptera notamment – à ses risques et périls – de passer outre l'interdiction qui lui est faite d'exercer la médecine pour leur venir en aide. de plus, il découvre un autre monde où coutumes et superstitions ancestrales sont fortement enracinées.



Cependant, ses conditions d'isolement seront pour le moins adoucies quand on sait qu'il avait à sa disposition une servante ! En la personne de la dévouée Giulia, toute disposée à même lui frotter le dos pendant sa toilette… Voire plus encore. Mais l'auteur préférera succomber à d'autres charmes, car la dame un peu sorcière est en mesure de lever le voile qui recouvre un monde occulte. Ce qui lui permettra d'approfondir ses connaissances sur les croyances locales et facilitera son intégration parmi les humbles.



On doit par ailleurs à Carlo Levi la description de scènes de genre d'anthologie correspondant à différents événements marquants de la vie villageoise comme la venue d'une troupe de théâtre ou le passage du châtreur de truies…



Lu en VO (italien)
Lien : http://scambiculturali.over-..
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Magnifique livre, à classer dans les monuments historiques. A sa parution, il avait bien remué les regards sur l'Italie. Je l'ai lu, il y a très très longtemps. Il remet en cause les stéréotypes, et met en avant les inégalités de développement incroyables dans un pays dit moderne comme devait l'être l'Italie alors.

Il est universel car il est empli d'une grande humanité.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Une année et demie de la vie d'un antifasciste éloigné de Rome dans un village des Pouilles, rongé par la malaria. Ce Confinato raconte ses déboires, entre une population paysanne qui l'accueille comme le sauveur et la petite-bourgeoisie qui le surveille ou l'exclut, tant ils se sentent pareil mais ne peuvent admettre ses activités. Car Levi, médecin, lettré, va soigner les malades. Le miracle est dans les yeux des paysans, ce qui fait référence au titre, que les paysans répètent à l'envi, tant ils se sentent délaissés. Au-delà du récit très humain, des descriptions fines et réfléchies du quotidien,, l'auteur aborde plusieurs thèmes, ceux de la différence, du rapport à l'autre, de la pauvreté, le cycle de la vie... mais aussi la politique, la gestion, la lutte des classes. Cela donne un ensemble très dense, très dur, très engagé. En Italie, il y a à peine 80 ans... mais cela semble tellement loin. Et sans doute encore dans quelques endroits d'Europe. Finalement, très actuel.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

En 1935, Carlo Levi, un intellectuel de Turin, a été appréhendé par les autorités pour activités antifascistes et, comme beaucoup d’autres opposants au régime, il a été envoyé en résidence surveillée dans un petit village isolé et miséreux du Mezzogiorno. L'expression locale « Le Christ s’est arrêté à Éboli » traduit l’abandon de cette région du sud par tous, Dieu y compris. 

 

Pendant un an, le confinato Levi s’est mêlé aux habitants de Gagliano (Aliano). Médecin de formation, il les a soignés et, surtout, il les a observés et écoutés. Dans son récit autobiographique, l’auteur raconte leurs histoires, plus surprenantes les unes que les autres, toujours passionnantes. L’écrivain était également peintre et, comme dans un tableau, chaque court chapitre se focalise sur un personnage ou un thème : trip de pouvoir des petits bourgeois (dignes des personnages de Zola), rites païens et sorcellerie, culte à la Madone de Viggioano (la vierge noire), brigandage, théâtre ambulant, ravages du paludisme, etc. L'ouvrage revêt une dimension anthropologique et politique certaine, mais c’est surtout le regard humaniste de Levi qui ressort. J’ai refermé ce livre extraordinaire, la larme à l’œil.
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Qu'écrire de plus que ce qui n'a déjà été écrit...? Un livre plein d'intériorité, de saveur, d'odeur et de paysage, un petit peuple de villageois à la (sur) vie rude d'un monde disparu.

Je m'arrêterais là, tout a été dit sur la trame de l'histoire. Il me fait penser, par son "atmosphère" à "l'arbre aux sabots", film italien réalisé par Ermanno Olmi sorti en 1978 et qui a obtenu d'ailleurs la palme d'or à Canne à l'unanimité cette même année. Et tout comme lui, moi qui ne lis quasi jamais de roman (Tellement d'ouvrage à lire par ailleurs...) j'ai accroché sur celui-ci et, tout comme le film que j'ai vu au cinéma à 14 ans, cité précédemment, je ne suis pas près de l'oublier ! Ah li'Italie...! Quel que soit l'époque (Mise à part le fascisme sous Benito Mussolini!), le lieu où la saison, ça reste l'Italie !
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Le Christ s'est arrêté à Eboli

Il me semblait que j'avais lu ce livre (il y a des décennies), mais j'avais tout oublié. Il ne s'agit pas d'un roman, ni même d'un récit autobiographique vraiment centré sur l'auteur, et encore moins d'un pamphlet politique. C'est presque un texte relevant de l'ethnographie. Pour l'écrire, C. Levi n'avait pas besoin d'aller en Amazonie ! En fait, le hasard a voulu qu'il soit assigné à résidence par le pouvoir fasciste d'alors dans un village reculé du Mezzogiorno. Et là, pendant une petite année, l'écrivain ne s'est pas morfondu. Au contraire, il a cherché à connaitre toutes les strates de la micro-société de la localité, des « seigneurs » aux paysans. Il a observé les hommes avec une acuité extrême, et aussi avec une certaine bienveillance, sans préjugé et sans naïveté. Il peint le tableau d'une communauté oubliée de Rome, soumise à la « politique du rien » et sans aucun espoir d'une significative amélioration des conditions de vie. Une société d'apparence "primitive", dont la mentalité est presque étrangère au monde moderne. J'ai été fasciné par son mode de vie et ses pratiques atypiques. (C'était en 1935-1936: je suppose que, en un siècle, les choses ont bien changé !)



Sans qu'il cherche à s'en prévaloir, C. Levi a écrit un livre sérieux qui illustre bien son esprit d'ouverture et sa finesse. Avec beaucoup de simplicité, il a su gagner en quelques mois l'estime et l'affection de ces hommes rudes, frustes, misérables et opprimés; auprès d'eux, il a joué notamment le rôle de médecin alors que, en fait, son activité principale était la peinture. Je trouve vraiment que le texte - sobre et précis - est admirablement écrit. le lecteur y trouve de nombreux morceaux de bravoure, très forts, comme par exemple: la messe de Noël, le décès du malade victime d'une péritonite, la stérilisation des truies, etc etc... On y décèle une vraie authenticité, qui n'a rien d'un vulgaire folklore. C'est un beau livre, qui - il faut le noter - demande beaucoup de temps pour bien le lire.

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