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Critiques de Javier Cercas (526)
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L'Imposteur

Me voilà repartie sur ma lancée de la rentrée littéraire avec ce roman très attendu (enfin pour ma part). Cette fois c’est donc vers l’Espagne que se porte mon attention aux côtés de Javier Cercas, auteur très célèbre chez nos voisins et qui bénéficie d’une belle réputation chez nous également. Après son remarqué et polémique roman Les Soldats de Salamine, monsieur Cercas continue de creuser le sombre passé franquiste de l’Espagne tout en abordant par la même occasion la thématique du roman vrai ou de la fiction réelle chère à son cœur. Et là c’est du lourd côté scénario, son livre reprenant un fait divers qui fait froid dans le dos : Enric Marco, figure de l’antifascisme, héros de l’anti franquisme, militant anarcho-syndicaliste, fier parangon de la liberté, déporté dans un camp de concentration nazie est en réalité un….. (roulements de tambours) IMPOSTEUR tout simplement.



Ce scandale, révélé dans les années 2010 par un historien bien décidé à lever le voile sur cette mystification, a choqué l’opinion publique espagnole. Car outre le préjudice moral, se pose le problème du marché lucratif de la mémoire historique (opposé à l’Histoire, plus rationnelle) à une époque où l’Espagne a éprouvé le besoin de créer et glorifier ses nouveaux héros de la liberté et d’exorciser ses démons. Javier Cercas a longtemps hésité avant de consacrer un roman à ce personnage haut en couleur et polémique, vieil homme de 95 ans, cet homme qu’est Enric Marco. Pathétique, roublard, affable, maniant le verbe et la rhétorique comme personne, drôle et attachant, mythomane narcissique pathologique, tout cela à la fois, Enric Marco a fondé sa vie sur un immense mensonge qui prend racine dès ses premiers jours (il va jusqu’à mentir sur sa date de naissance pour lui donner une portée symbolique) et ce jusqu’à ses vieilles années en tant que président de l’Amicale des anciens du camp de Mauthausen, porte-parole des déportés d’Espagne pendant le 2nde guerre mondiale.



L’imposteur est la tentative de Javier Cercas de comprendre ou du moins d’analyser cliniquement les raisons qui ont poussé Enric Marco à mentir, en mettant au jour un à un les mécanismes de cette vaste mystification. Aux mensonges du vieillard, Cercas oppose la vérité, ou comment de militant communiste déporté en Allemagne, Marco s’avère être en réalité un travailleur espagnol volontaire parti dans une usine allemande dans le cadre de l’effort de guerre.



Fruit des rencontres entre l’auteur et son sujet, mais aussi recueil des témoignages de ceux qui l’ont côtoyé et recherches minutieuses dans les archives, ce « roman vrai » décrypte cette supercherie narcissique en prenant le partie de donner la parole à Enric Marco qui malgré le scandale et les preuves accablantes justifiera son imposture : bien qu’il n’ait pas vécu l‘horreur des camps, ce qu’il raconte se base sur une réalité historique indéniable. Il n’a fait que transmettre aux jeunes générations un témoignage que les survivants n’étaient pas en mesure de fournir, endossant ce rôle nécessaire pour éviter l’oubli. Emmuré dans le déni, Enric Marco continue de choquer.



Javier Cercas l’a avoué : tout se liguait contre lui pour l’empêcher d’écrire ce livre. Entre ceux pour qui (reprenant ainsi l’opinion de Primo Levi) expliquer et comprendre c’est commencer à pardonner et justifier (chose impensable,) et ceux qui ont prédit à Javier Cercas un attachement malsain au vieux bonhomme qu’est Enric Marco (perdant alors toute objectivité), toutes ces raisons ont rendu laborieux le travail époustouflant de compréhension et de restitution de la vérité qu’a entamé l’auteur. Et comme à chaque fois, Javier Cercas fait preuve de beaucoup de recul en nous faisant partager ses propres craintes, en tant qu’écrivain.



Et mon bilan dans tout ça ? J’ai lu L’Imposteur comme une enquête passionnante et extrêmement instructive, un « roman vrai » qui m’a éprouvée physiquement et moralement car les thèmes de la récupération de l’histoire à des fins politiques sont lourds de sens et me touchent au plus haut point. Javier Cercas a une plume efficace qui évite tous les écueils et ne tombe jamais dans la facilité ni le pathos, nous épargnant de tout jugement hâtif à coups de phrases assassines. J’ai été sidérée, malmenée, choquée, bousculée, émue par le récit de cette incroyable imposture et la mise en évidence d’un malaise prégnant, celui d’une Espagne et de manière générale d’une Europe qui ne savent plus faire le distinguo entre Histoire et mémoire, frontière trouble et ô combien dangereuse. Certains ont reproché le style froid, quasi clinique de Cercas. Moi je trouve au contraire qu’il a parfaitement réussi l’exercice de coller à la vérité tout en maintenant un style littéraire fluide et accessible.



L’Imposteur est un livre intelligent, qui bouscule et fait sens. C’est un livre qui invite à approfondir le débat autour de la récupération de l’Histoire qui sont des thèmes tellement actuels. Je le conseille vivement.
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Le château de Barbe Bleue

C’est une fable.

Une fable sur le Bien, et le Mal, les puissants et les faibles, la Vengeance et la Justice.



L’histoire a déjà été contée.

Si vous êtes flic, et que votre propre fille se retrouve séquestrée par de drôles de types, des hommes sans scrupules soupçonnés d’être d’horribles prédateurs sexuels : alors vous ne pouvez faire qu’une seule chose : reprendre vos réflexes de flics et récupérer votre fille coûte que coûte.



Et même si celle-ci vous ait rendue – Cosette, que l’on connaît depuis « Terra Alta » et « L’indépendance » ne sera pas retrouvée morte comme bon nombre d’autres jeunes femmes qui n’auront pas la même chance – vous comprendrez vite qu’elle a vécu un tel traumatisme que vous réclamerez Justice.



Seulement voilà.



Avec ce type d’homme ultra-riche, la corruption est monnaie courante, et si celui-ci a corrompu la totalité de la justice locale et même au-delà, il ne vous restera qu’une alternative :

- Soit ne rien faire, et tenter de ramener Cosette à une vie normale

- Soit vous lancer dans un plan ultra dangereux destiné à éliminer ce Weinstein espagnol pour l’empêcher de nuire encore.





J’ai eu la chance d’entendre Javier Cercas en personne dans une rencontre littéraire parler de ce livre-ci.



« Ecrire un livre », dit-il, « c’est comme jouer à un jeu dont on découvre les règles au fur et à mesure, comme le lecteur découvre les règles au fur et à mesure qu’il les lit. »



« Les romanciers sont des charognards », a-t-il dit encore. « Ils se repaissent des crises, des guerres ou des catastrophes. »



Javier Cercas préfère parler de tryptique plutôt que de trilogie. Il assure que « le Château de Barbe Bleue » est le plus lumineux des trois. L’histoire se passe ans après « Terra Alta » et l’histoire du meurtre horrible des parents de Rosa, avec qui Melchor vit désormais.



Melchor est un « mauvais bon flic » selon l’expression de son auteur.

Javier Cercas cite aussi les deux vertus extraordinaires et nécessaires pour ces héros : le courage et le charisme. En précisant bien qu’il ne s’agit pas du charisme des politiciens, qui ont détourné cette qualité, mais le charisme initial qui fait que tout le monde vous suit même si vos plans sont très dangereux.



Ecrire un roman, c’est aussi pour lui une formuler une question complexe et ne pas y répondre.



La question essentielle de ce roman, disait-il aussi, est la suivante : « Est-ce que c’est légitime de rendre la justice par soi-même quand la justice humaine n’est pas au rendez-vous ? »



La littérature, selon lui, c’est interroger nos certitudes.

Et aussi s’attacher à des personnages qui ont un côté monstrueux (citant Richard III de Shakespeare, Crime et Châtiment de Dostoïevski ou le Parrain de Scorcèse).



Ce n’est pas difficile de s’attacher à Melchor. On est de son côté, bien sûr, et on est bien contents à la fin que le prédateur sexuel, un magnat ultra riche, se fasse pincer à la fin.



Comme plus globalement, on peut être en colère contre ces 1% qui pillent la planète à coup de vols en jet privés ou de bilan carbone faramineux. Les ultra-riches ne devraient-ils pas payer, au sens propre et figuré du terme ? Mais je m’éloigne, je m’égare un peu du roman de Javier Cercas, même si je suis persuadée qu’il y a quelque chose de réel dans ce sentiment de libération que l’on éprouve à la fin.



Un dernier mot de Javier Cercas qui racontait, lors de cette rencontre littéraire, qu’il devait participer à une conférence et résumer notre siècle actuel à une caractéristique. Et une demi-heure avant le début il ne savait pas ce qu’il allait dire. Mais il a eu une intuition.



Son intuition c’est que le drame de notre XXème et début du XXIème c’est que la moitié de l’humanité (en l’occurrence les hommes) aient assujetti l’autre moitié (donc le femmes) comme l’esclavage à une certaine époque. Et le scandale pour lui ce sont tous ces féminicides qui devraient devenir anachroniques et qu’on devrait punir le plus sévèrement possible. Les hommes doivent suivre ce courant féministe, très décrié par certains, et rétablir une véritable égalité entre les femmes et les hommes et mettre fin à cet assujettissement.



« Le Château de Barbe Bleue » est le meilleur de la trilogie. Pas la meilleure intrigue – c’est « Terra Alta » qui l’emporte pour son enquête policière très bien ficelée – mais le plus libérateur.



Cette fable fait du bien, parce que le bien faible triomphe du mal obscène, et c’est comme un pansement qui se pose sur toutes les plaies féminines qui existent encore trop souvent sur notre planète.

Il ne nous reste plus qu’à espérer que la fable ou le conte de fée de Javier Cercas devienne enfin réalité.

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Terra Alta



Après quelques livres difficiles, la plume déliée et ondulante de l’écrivain espagnol Javier Cercas – via son traducteur habituel – m’a procuré l’effet d’un bain de fraîcheur. Le plaisir d’une lecture tranquille, même pas troublée par la découverte dans les premières pages d’un double meurtre sordide. Devant les corps affreusement torturés d’un couple de personnes âgées richissimes, l’enquête se met en branle, avec aux premières loges, un jeune flic du nom de Melchor Marin.



Terra Alta se présente ainsi comme un roman policier tout ce qu’il y a de plus classique : quand il y a meurtre, l’objectif est d’identifier et d’arrêter le ou les meurtriers. Mais l’auteur prend son temps, s’étend sur le quotidien du jeune enquêteur, de sa séduisante épouse Olga et de leur petite Cosette. (Tiens ! Quel drôle de prénom !) La petite famille mène une vie heureuse à Gandosa, le principal village de la Terra Alta, une région reculée au fin fond de la Catalogne… Cela durera-t-il ?…



Au deuxième chapitre, on oublie le crime de Terra Alta. Focus sur Melchor et son passé. Il s’avère que son parcours, dans la banlieue de Barcelone, n’a pas été un long fleuve tranquille. Une adolescence révoltée, sans père, auprès d’une mère prostituée qui mourra assassinée, des fréquentations qui l’ont conduit à la drogue, à la violence, à la délinquance, au grand banditisme. Au bout du compte, un long passage par la case prison, où s’établira avec un avocat une relation de confiance mutuelle.



Sauvé par la lecture de romans ! La découverte du chef d’œuvre de Victor Hugo, Les Misérables, aura amené Melchor à réfléchir sur lui-même, à la lumière de l’itinéraire de son héros Jean Valjean. S’estimant comme lui victime d’injustices, il finira par comprendre que la haine qu’il nourrit à l’égard de la société l’empêche de progresser. Mais la rédemption d’un Jean Valjean transformé en M. Madeleine ne lui paraîtra pas crédible. Ce qui en revanche le fascinera, c’est la vertueuse mais dangereuse intransigeance du policier Javert, l’antihéros par devoir, l’homme qui applique la loi envers et contre tout sentiment. Melchor décidera de se mettre au service de la justice – une justice à sa façon ! – et de devenir à son tour policier.



Les chapitres suivants sont alternativement dédiés au présent et au passé. Le présent montre à Terra Alta une enquête qui n’avance pas, sauf lorsque Melchor la mène… à sa manière, ce qui lui coûtera très cher. Le passé dévoile un aspirant policier qui se construit, n’en faisant qu’à sa tête, guidé par un sens rigide du Bien et du Mal. Passé et présent se rejoindront lorsque Melchor, auréolé d’une gloire récente méritée, jettera l’ancre dans le monde minuscule de Gandosa, où chacun recherchera son accointance, non sans le laisser découvrir tout seul ce qu’il faut savoir sur les autres.



Je me suis attaché à ce personnage de Melchor pourtant dérangeant compte tenu de ses dérapages incontrôlés de violence. Sa détermination implacable et introvertie cache une sensibilité extrême. Mais la justice est-elle vengeance ou application froide de la règle. Qui détermine ce qui est juste et injuste, ce qui doit être toléré, ce qui doit être puni : les lois ou la Loi ? Tant que sa radicalité restera exclusive de toute conscience humaniste, Melchor ne sortira pas du silence.



Le silence ! Dans la collectivité comme chez l’individu, il arrive que le silence masque la haine, la peur, la culpabilité. En Espagne, la guerre civile est toujours présente dans la mémoire des anciens. L’un de ses épisodes les plus sanglants, la bataille de l’Ebre, se déroula non loin de Terra Alta... Une piste ? Peut-être ! Mais comment de jeunes enquêteurs pourraient-ils la suivre ?



Du coup, le fil de résolution des énigmes du crime est décevant. Je n’aime pas quand les clés d’un mystère sont dévoilées sous la forme d’une confession exhaustive à la fin d’un polar ; un écrivain se doit de trouver mieux. Il n’empêche que Terra Alta est un roman agréable à lire. On peut déplorer que la narration s’étende sur de nombreux détails accessoires, dont on ne saisit pas au prime abord le charme ni l’intérêt. Je trouve que cela confère à la lecture une forme de lenteur dont je tiens à faire l’éloge, car cela distingue ce livre d’un thriller de base.


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Terra Alta

Terra Alta est une terre inhospitalière de la Catalogne, tristement célèbre pour sa bataille de l'Èbre.

Melchor dont l'enfance et l'adolescence sont marquées par la précarité,la honte et la violence trouvera une autre issue à son destin grâce à la lecture des Misérables alors qu'il est incarcéré.

Devenu policier et héros malgré lui,il est mis à l'écart dans le petit commissariat de Terra Alta pour le protéger. Son futur collègue l'accueille en le prévenant que dans ce trou il ne se passe jamais rien... Pourtant le crime effrayant d'un couple d'octogenaires vient démentir cette affirmation.

L'intrigue et son déroulement pourraient peut-être paraître fades aux spécialistes du genre car il n'y a pas de rebondissements incessants ni d'ambiance glaciale mais en ce qui me concerne j'ai été une fois de plus charmée par l'écriture de Javier Cercas. Car Melchor, l'homme et sa quête de vérité et de justice est bien plus important que le policier.

La structure du roman construite autour des Misérables et la dualité entre Je.Valjean et Javert permet à l'auteur de questionner avec pertinence la notion même de justice. Bien sûr le désir de vengeance et la haine vont de paire avec cette question sur la justice. Celle de Dieu et celle des hommes, l'intime et la publique. Et puis, ce roman ne serait pas de J. Cercas si l'Espagne franquiste n'était pas présente comme une lame de fond...

Enfin, Melchor est un personnage très attachant tout comme Vivales ou Olga.
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Les lois de la frontière

Gerone, été 1978. Ignacio Cañas vient de vivre une année scolaire difficile, souffre-douleur de certains élèves de sa classe. Les congés scolaires sont une libération. Il évite la bande qui le maltraite en se réfugiant dans une salle de jeux. C'est là qu'il rencontre Zarco et Tere, deux voyous culottés qui vivent dans les quartiers populaires, de l'autre côté du fleuve. Subjugué par Tere qui le rebaptise Le Binoclard, il entre dans la bande à Zarco, devient le complice de leurs larcins, vols de voitures, cambriolages, braquages de banque, découvre l'alcool, la drogue, les prostituées. La fin de l'été sonne le glas de sa carrière de délinquant. Dénoncée, la bande tombe dans un guet-apens de la police. Le Binoclard s'en sort de justesse, retrouve le chemin du lycée et plus tard des études de droit. Pendant ce temps, Zarco est devenu l'icône de la jeunesse espagnole, bandit sans peur et sans reproches, il est Robin des bois, il est celui qui défie l'Etat, la police, le personnel pénitentiaire. Les braquages, la violence, la drogue n'entachent en rien sa légende. Avocat respecté, Ignacio a toujours suivi les ''exploits'' de son ancien ami et quand, bien des années plus tard, Tere vient lui demander d'obtenir la libération conditionnelle d'un Zarco vieillissant et repentant, il accepte sans trop se faire prier.





Interviews fictives d'un écrivain préparant un livre à propos de Zarco et s'adressant à Cañas mais aussi au directeur de la prison de Gerone et au policier qui a arrêté la bande en 78, le récit de Javier Cercas commence dans l'Espagne post-franquiste, moment-clé dans l'histoire du pays qui entame sa marche vers la démocratie. Après des années de dictature, le processus est lent, les vieilles (et mauvaises) habitudes sont profondément ancrées dans les mentalités. La jeunesse, trop longtemps bridée, se cherche, teste les limites, joue avec le danger, franchit les frontières, entre le bien et le mal, entre les classes sociales, entre petite délinquance et grand banditisme. Dans cette nouvelle société qui se cherche des modèles, le personnage de Zarco apparaît comme un voyou au grand cœur, légende fondée sur rien, sinon les élucubrations journalistiques et les rumeurs populaires. C'est pour rétablir la vérité, ou tout du moins ses vérités, que Cañas accepte de participer à un livre sur Zarco. C'est aussi l'occasion pour lui de s'interroger sur son passé de délinquant, qui fut court mais marquant. Il analyse ses motivations, ses sentiments, ses rapports avec Zarco et Tere et aussi les choix, les chances, les rencontres qui ont décidé de son avenir. De cet été, il a gardé toute sa vie la trace et trente ans après il parle encore avec émotion de Tere et Zarco qui le fascinaient. Pourtant cette génération post-franquiste, sacrifiée, abandonnée, a connu plus d'échecs que de prestige, tombée sous les balles, terrassée par la drogue ou le sida. Pour l'avocat qui s'en est bien sorti, ce retour en arrière se fait dans la douleur et pour le lecteur, c'est l'occasion de découvrir une période de l'Histoire espagnole bien loin de l'euphorique et médiatique Movida.

Un roman beau, triste et désenchanté, comme un air de flamenco.
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Le château de Barbe Bleue



Il se pourrait que la mécanique littéraire de Javier Cercas ne soit pas si compliquée, il écrit et le lecteur le suit (ou pas). Comme si le fait d’agripper le lecteur était l'essence irréductible de sa prose, quel que soit le genre, quel que soit le sujet. Le virage amorcé dans le polar avec sa série Terra Alta a révélé un auteur arrivé au bout d'un cycle et refusant de se singer, prêt à renouveler sa production, au risque de contredire son œuvre passée ancrée dans le réel historique. Et il semble être le premier à en rire, la mise en abyme depuis le deuxième volet s'accentue ici où il sera question d'un romancier, Cercas, dont les policiers ont lu (ou pas) ses précédents livres en questionnant sa vraisemblance, eux qui ont vécu de l'intérieur les affaires qu'il relate :

« – Oubliez Cercas, lui conseille Rosa. Il invente tout.

– Je ne sais pas ce que Cercas raconte, mais l'histoire de l'assassinat est la version qui s'est imposée, soutient Blai en affichant une moue de mépris. […] La réalité nous ennuie. On préfère la fantaisie [...]»

Ici aussi la fantaisie prendra ses aises malgré l'affaire à venir inspirée de celle d'Epstein, elle se déploiera dans la manière cavalière de sa résolution. Même si Melchor s'en moque de tout ça, lui qui n'a pas lu Cercas, lui l'adepte des romans du 19ème. On retrouve le personnage charismatique de la série désormais bibliothécaire en Terra Alta, aux prises avec les dix-sept ans de sa fille Cosette qui vient de découvrir la vérité sur le décès de sa mère. Cette dernière n'étant pas morte dans un accident malencontreux comme lui avait toujours dit Melchor, mais dans un accident programmé, un assassinat déguisé.

Les lecteurs des deux volets précédents ne seront pas surpris, les autres n'ont pas à s'inquiéter. Cercas déploie toute son habileté narrative dans la première partie pour mettre tout le monde à égalité, en rappelant les éléments essentiels de sa trilogie tout en déployant les bases de l'affaire à venir. Dans le premier volet il avait été question de l'affaire Adell et du décès de la mère de Cosette, dans le second de chantage à la sextape à la mairie de Barcelone, mais aussi de l'assassinat de la mère de Melchor. Le dernier volet se tourne résolument vers la troisième femme de la vie de Melchor, Cosette, partie en villégiature sur l'île de Majorque avec sa meilleure amie. Le roman s'ouvre sur Melchor à l'arrêt de bus afin de la retrouver, il ne récupèrera que son amie. Cosette est restée à Majorque, et il faudra peu de temps pour admettre l'impensable : Cosette a disparu !

On se doute qu'il ne sera dès lors pas question pour « l'espagnolard » de rester les bras croisés, surtout si on connaît ses méthodes radicales contre l'injustice sous toutes ses formes, notamment celles faites aux femmes, qui plus est les siennes. Voilà un troisième volet qui clôt magistralement l'incursion de Javier Cercas dans le roman noir. J'ai été à peine surpris de tourner les pages avec frénésie dans cette affaire de prévarication au profit d'un magnat suédois ancré dans un système insulaire de viols, d'autant que l'auteur espagnol semble s'être mis au diapason du genre, en clarifiant le déroulé de son récit, en variant le rythme entre retours sur le passé, ou avancée dans la résolution de l'affaire. Il faudra s'y faire, Javier Cercas écrit tout simplement de bons romans. Chapeau l'artiste !
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Terra Alta

Javier Cercas, qu’on ne présente plus au vu de sa remarquable bibliographie, sort de sa zone littéraire orientée « enquête historique », pour nous offrir une nouveauté: un roman noir, premier d’une trilogie, avec un personnage d’enquêteur original, délinquant repenti devenu policier.



Affecté en Terra Alta pour reprendre son souffle après une opération particulièrement musclée, il y trouve à la fois le bonheur personnel et la violence de sa profession, au plus profond de son intimité familiale.



J’ai aimé le ton de cette narration, dans un décor de comarque catalan qui prend une place essentielle, panorama de ruralité et de désert aride et dépeuplé. L’auteur nous entraîne dans une enquête policière à l’ancienne, virtuose pour planter un décor, sonder l’âme de ses personnages et maîtriser jusqu’aux dernières pages cette histoire de vengeance.



En attente avec un plaisir anticipé de la suite...

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Les lois de la frontière

Après trente ans d’un régime phalangiste, l’Espagne en pleine agonie passe d’une dictature à une démocratie. Franco est mort depuis trois ans, les espagnols à genoux se relèvent peu à peu. Nous sommes en 1978, dans le petit village de Gérone, deux quartiers sont opposés. Celui d’Ignacio, garçon de famille modeste et celui de Zarco, le caïd, et sa bande de loubards. Les lois de la frontière les séparent mais leur chemin se croise et son destin en sera à tout jamais bouleversé.



Zarco, la sulfureuse Tere et la bande sont les terreurs de la ville. Ils vivent de petits deals, vols, braquages de banques, d’amour et ont soif de liberté. Alors quand Ignacio, cet adolescent timide et introverti, va croiser le charismatique Zarco et que la belle Tere va lui faire découvrir les prémices de l’amour, Ignacio ne voit là qu’une bouffée d’oxygène lui si engoncé dans sa petite vie conventionnelle et sécurisée.



L’été 78 sera l’été de tous les changements. Zarco initie le jeune à la délinquance et à l’adrénaline. Malgré la ligne franchie, Ignacio n’est pas du même bord, le sang de la révolte ne coule pas dans ses veines et la voix de la sagesse se rappellera à lui. La police ne les lâche plus, l’étau se resserre jusqu’à l’ultime dénouement.



Dans la première partie nous marchons pas à pas au côté d’Ignacio. Nous suivons le déroulement de ce qui le mène à défier les lois, franchir la frontière entre le bien et le mal, la justice et l’injustice. Son intégration auprès de la bande sera difficile et les liens qui le soudent à Zarco bouleverseront la vie du jeune étudiant et celle de sa famille.



La deuxième partie s’étalera sur une trentaine d’année. Ignacio, malgré son passé troublant devient un avocat réputé et respecté de tous. Il va suivre pas à pas, année par année, le mythe Zarco. La presse le suit et le cinéma l’idolâtre. Condamné à 150 ans de détention, toutes peines confondues, Zarco vient de passer plus de la moitié de sa vie en prison. Alors, Tere revient vers Ignacio et lui demande de défendre l’illustre récidiviste. La passion non assouvie entre ses deux êtres jaillira de plus belle et leur révèlera les années perdues.



Durant 346 pages, j’étais en immersion totale dans la vie d’Ignacio et Zarco. J’ai franchi ces lois, j’étais dans la fascination d’un être que rien n’arrête. Ce livre parle d’une forte amitié, du regard d’un père, du mutisme protecteur d’une mère, mais aussi du silence et des non-dits qui étouffent et éloignent alors qu’un seul mot suffit pour réunir deux être qui s’aiment violement. Javier Cerca connait bien le sujet dont il parle. Il décrit superbement un pays qui vient de subir des décennies de fascisme, avec cette difficile transition que fut le passage de l’oppression à la liberté, de ceux qui ont su profiter d’un régime franquiste et les autres encore dans la douleur de la perte et de la souffrance. Cette histoire me parle et me touche car il me renvoie à mes racines, à ma famille, les opprimés. Ce roman déborde d’amour, de tolérance. Il raconte les bas-fonds de l’Espagne, de la révolte, des lois immuables de la vie, de la mort, des erreurs qui nous rendent plus fort, des choix qui nous poussent à certains renoncements et du Pardon.



Les lois de la frontière … la ligne est franchie…Merci !


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Terra Alta

Dans le roman qui le rendit célèbre, « Les Soldats de Salaumine », Cercas raconte comment le salaud qu’était l’idéologue de la phalange, Rafael Sanchez Mazas, fut sauvé par un républicain qui le laissa s’enfuir.

Vingt ans après, Cercas reprend un thème similaire en imaginant un lecteur foudroyé par « Les Misérables » de Hugo, admirateur moins de Jean Valjean que de Javert, le justicier psychorigide qui, faisant fi de toutes ses convictions, laissa finalement s’enfuir l’ancien forçat.

Le Républicain, comme Javert, et comme le héros de « Terra Alta », pourrait se reconnaître dans cet aphorisme du sous inspecteur Barrera: « Écoutez, faire justice, c’est bien. C’est pour ça que nous sommes devenus policiers. Mais quand on pousse le bien à l’extrême, il se transforme en mal. » Comme Sartre aussi, qui développa ce thème dans « Le Diable et le Bon Dieu », ou comme d’ailleurs n’importe quel séminariste dès lors qu’il a réussi à passer en deuxième année (Tiens! Penser à relire « Le Moine »).

C’est bien ce qui me gêne ici: oui, le livre est indubitablement un Cercas, mais un Cercas affadi, simplifié, qui recycle des thématiques vues partout, assez mou du genou pour tout dire.

Donc Melchor, ancien taulard (comme Valjean), s’offre une deuxième vie en devenant policier (comme Vautrin, « Les Illusions perdues » faisant aussi parti des livres dévorés par Melchor). Il faut dire que Melchor, pas très futé au départ, se trouvera un mentor en prison (comme avant lui Edmond Dantes pour qui la vengeance est un plat qui se mange très froid et dont l’ombre tutélaire invite à se désolidariser du républicain compatissant pour piétiner la tronche de ce salaud de Mazas). Ça fait beaucoup de références littéraires tout ça, d’ailleurs, après avoir lu « La Vie mode d’emploi », Melchor s’écriera : « On dirait qu’on a mis tout un tas de romans du xixe dans un seul du xxe ». Cercas se prend pour Perec, y’a pas de mal, Hugo se prenait bien pour Chateaubriand.

Devenu l’homme qui lit, Melchor trouve l’amour, baptise sa fille Cosette (ce qui est de mauvais augure pour sa mère) et choisit finalement le pardon à la manière de Javert mais sans la noyade volontaire par laquelle le policier mettait fin à ses affres identitaires. Ici, l’eau, comme dans « La Peste », devient lustrale, et vas’y que l’apprenti roi mage abandonne sa colère au fond de la mer pour enfin trouver la paix.

Alors, certes, Cercas nous l’a annoncé d’emblée : ce sont les lecteurs qui terminent les livres en y trouvant ce qu’ils étaient venus y chercher. J’entends bien que chez Hugo la loi des hommes s’efface devant celle de Dieu mais Valjean est le peuple crucifié pour avoir volé du pain, pas pour avoir torturé des vieillards. J’entends bien aussi que la réconciliation nationale ne peut se faire sans briser le cercle des vengeances. Mais la référence insistante aux Misérables ne rend pas service à Terra Alta. Lorsque Melchor décide de ne pas faire arrêter le coupable, c’est parce qu’il estime que ce dernier a rendu la justice à sa manière. Ce n’est pas Javert découvrant l’humanité, ce n’est pas M. Madeleine sacrifiant sa vie, c’est l’inspecteur Harry qui défend la loi du Talion.

Reste une scène magnifique où deux hommes se font face, l’un coupable mais demandant à l’autre de ne pas le dénoncer, parce qu’il n’a agi qu’au nom de l’amitié, une scène troublante parce que le coupable y est à la fois totalement responsable et plein d’humaine faiblesse. Mais tout le livre ne ressemble pas à ça.
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Le mobile

Voici un court roman de jeunesse qui nous tient en haleine dans la démarche méticuleuse, attractive , attentive et passionnée du narrateur et son entreprise d'écrire une" grande oeuvre."

Son plan est précis et la routine efficace.



Cet homme simple en apparence met en scène Alvaro, employé dans un cabinet juridique dont le rêve exclusif et exigeant est d'écrire un grand roman en y travaillant d'arrache pied, en subordonnant toute sa vie à la littérature.

Il jette son dévolu sur ses voisins les Casares, ne reculant devant aucun stratagème quitte à prendre d'assaut la truculente concierge : commére à souhait, grande, mince, osseuse, servile et obséquieuse assidue à fréquenter ses voisins masculins à des fins légéres .......

En fait , tout au long l'auteur excelle à organiser vertige, dérapage et à faire plier le réel dans son infinie complexité ;

Oú commence la vérité ?

Oú s'arrête le réel ?

La littérature est une maîtresse possessive à servir avec un zèle et une obsession absolus, l'auteur sonde avec talent et lucidité ses méandres..



L'histoire et le récit de sa construction s'entremêlent tout comme le monde réel et celui de l'imaginaire, tout comme les doutes, la manière et les obsessions de l'écrivain.



Il brouille les pistesà souhait, tâtonne.

.

Les frontières entre l'écriture et la vie sont complexes, fragiles, ambiguës, imbriquées, subordonnées;

Et manquer d'inspiration est- il un crime ? Jeu intraitable du hasard et de la fiction?

Le suspense monte, l'histoire distrayante, un peu malsaine ( la manipulation des voisins pour les emmener vers un crime, une mécanique parfaite ) améne un final un peu attendu.....

Un récit fort original et savoureux, surtout une réflexion riche et inédite , importante sur l'écrivain;

Un exercice littéraire irrésistible qui pourrait déboucher sur une belle définition de la Vocation !

Petit roman mais sublime écriture !
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L'Imposteur

Encore une fois, Javier Cercas m’a bluffée, scotchée, épatée, questionnée, secouée. Son dernier livre, L’Imposteur, n’a pas fini de me donner du grain à moudre, et j’en aime jusqu’à l’ivraie, parce qu’avec Cercas, mêmes les scories sont passionnantes.



Je ne vous refais pas le résumé…Si ? Bon, vite, alors : Enric Marco a menti sur son passé de déporté de Flossenburg. Un historien le dénonce : scandale d’autant plus retentissant que ledit Marco est une icône de la Transition post-franquiste, un héros de la résistance anti-fasciste, le leader charismatique de la CNT, syndicat anarchiste résurgent, le président d’une puissante association de parents d’élèves et défenseur de l’école publique catalane et, depuis quelques années, ......le président de l’amicale du camp de concentration de Flossenburg!!!…



Intouchable, charismatique, charmeur, et très vieux - 94 ans.



En ces temps d’histoire mémorielle, nourrie de « témoignages » plus que de recherche et de vérité historiques, un tel mensonge est impardonnable.



Chute d’Icare-Marcos.



Il devient le grand maudit, le fils de la folle, le gesticulateur pathétique, le mythomane mediapathe…



Javier Cercas est d'abord, comme tout le monde, choqué, puis méfiant, intrigué enfin. Il hésite à entreprendre un nouveau livre dont Marco serait le sujet, le personnage, la matière.



Mais il s’aperçoit bientôt que toute l’histoire de ce personnage hautement romanesque est pure fiction. L’icône républicaine est une invention d’un bout à l’autre…une invention permanente, sans cesse renouvelée au gré des modes, des emballements successifs d’une opinion publique espagnole qui a enterré son passé fasciste et son silence de 40 ans dans la honte et la douleur, et qui veut elle aussi réenchanter sa vie :reformuler son passé, retrouver des héros, ranimer des engagements, et, par dessus-tout, réinventer des raisons de s’aimer.



Marco n’est plus un cas unique : il devient un cas emblématique.



Celui d’un pays- mais l’Espagne n’est pas seule concernée par ce phénomène- d’une époque, d’un comportement social qu’on pourrait qualifier de majoritaire. Marco abonde dans le sens de ce que lui souffle le grand vent des engouements médiatiques. Il est le pur produit de l’air du temps.



La folie d’une époque qui préfère le kitsch au réel rencontre celle d’un homme qui veut à tout prix qu’on parle de lui et qu’on l’aime.



C’est là qu’est le tour de force de Cercas : loin d’épingler son héros pathétique, il entreprend de le comprendre, non pour l’excuser ni le justifier, mais pour l’interroger, et, à travers lui , s’interroger lui-même.



Sur la vérité et le mensonge. Sur la connaissance de soi, si éminemment redoutable. Sur la vocation de la littérature. Sur les grands mythes qu’elle a forgés pour éclairer notre faible lanterne : Narcisse, Icare, Don Quichotte.



On ne cesse de s’interroger en effet en lisant L’Imposteur.



Et on jubile quand les sillons appuyés qui creusent le récit de leur leit-motiv sortent tout à coup de leur ornière et débouchent soudain sur une révélation, une convergence, un rapprochement.



Une clairière dans la forêt sombre des comportements humains.

Une échappée lumineuse vers la philosophie et vers l’Histoire.







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Terra Alta

Avec « Terra Alta », Javier Cercas signe le 1er tome d’une intense trilogie policière, parce qu'elle est bien plus qu'une trilogie policière.

Depuis que j’ai découvert Javier Cercas avec « A la vitesse de la lumière », je considère que cet auteur fait partie des grands écrivains contemporains actuels. Il traite ses sujets avec intelligence et une belle plume.

Et c’est toujours un plaisir de le retrouver et plonger dans ses histoires. J’ai l’impression que mes petits neurones sautillent de joie parce qu’on leur offre l’occasion de lire une littérature de qualité, tout en réfléchissant sur la nature humaine, sur la complexité de l’âme humaine. Comme le fait remarquer Vàzquez, un des personnages, il faut lire pour éviter de « finir avec le cerveau plein de toiles d’araignée ».



L’écrivain ressemble à un journaliste d’investigation (qu’il est par ailleurs par ses chroniques pour le journal El País). Il aborde de graves sujets sociétaux : argent, drogue, pouvoir, politique, etc., qu’il mêle à l’histoire espagnole (cette belle Espagne assombrie et meurtrie par des années de guerre civile, de franquisme,…).

L’intelligence de Javier Cercas dans cette trilogie est d’appâter suffisamment le lecteur pour l’accrocher dans ses filets en lui proposant un mélange d’histoire policière sociale et politique. Une fois le lecteur capté par l’enquête policière, Cercas peut l’emmener dans les ruelles sombres espagnoles et lui montrer sa vision de ce pays… Il joue même avec le lecteur et ses personnages en s’insinuant dans l’histoire (un peu à la Hitchcock lorsque le scénariste se glissait quelques secondes dans ses films), peut-être pour en donner plus de réalisme.



Dans cette trilogie, nous suivons Melchor Marin sur plusieurs décennies… Après quelques embardées de jeunesse, il va devenir policier, notamment pour essayer de retrouver les meurtriers de sa mère… Ce personnage, portant la cape du justicier, nous séduit également par son goût pour la littérature du XIXème Siècle. Et ce n’est sûrement pas anodin que son livre fétiche soit « Les Misérables » de Victor Hugo. Car tout au long de ces 3 tomes -pour ne pas dire dans d’autres romans précédents-, on retrouve beaucoup de thèmes de ce grand roman classique français.

Dans cette trilogie, il est en effet question de rédemption, de vengeance, de mensonges, d’amitié, de culpabilité, de cette part sombre que l’homme a en lui avec des doses et variantes plus ou moins élevées. Il est donc aussi question de la notion du bien et du mal. De jusqu’où on serait prêt à aller pour réussir à obtenir ce que l’on veut. Si cela concerne particulièrement les individus du pouvoir (politique, industriel, etc.), de manière plus philosophique, cela nous interroge sur les écarts de conduite possibles des ‘’justiciers’’ (policiers) et de nous-mêmes.

Ainsi, Melchor, le personnage central notamment n’est pas d’un blanc immaculé : il a des failles, des obsessions. Et c’est une des raisons qui explique notre plaisir à suivre cette trilogie : l’auteur nous montre les différentes facettes des hommes, même ceux qui sont du bon côté… Cercas ne se contente pas d’une analyse manichéenne du monde. Il utilise une palette de couleurs pour ces divers personnages, des nuances de blanc virant au noir profond.

Il décortique l’âme humaine, fouille, triture dans sa noirceur, étale les travers et faiblesses et c'est peu dire que ce n’est pas très beau à voir. Il analyse la société actuelle en dessinant toutes les complexités, certaines ambivalences et donne ainsi de la profondeur aux protagonistes. Et peut-être que Melchor, pour hésiter à poser sa préférence entre Jean Valjean et Javert, a en lui une bonne part des deux.



Par contre, Javier Cercas décrit ceux appartenant à la sphère politique de manière particulièrement sinistre et nauséabonde. Il ne fait pas dans la demi-mesure. Pour eux, le nuancier se limite souvent entre noir et très noir. Et c’est même quelque peu déprimant de voir à quel point il n’y en a pas un pour racheter l’autre. Tout n’est que jeu de pouvoir, jeu d’influence, sans morale, sans conscience, pour parvenir à ses fins. C’est parfois écœurant tellement tout ‘’ce beau monde’’ est corrompu, vénal. S’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark, possible que l’écrivain l’étende aux terres espagnoles, de Terra Alta, à Barcelone, en passant par Majorque… Pas mal de vers sont en train de manger la pauvre pomme.



La violence des crimes narrés dans les 3 tomes est à la hauteur de la noirceur et de l’immoralité de certains grands de ce monde. C’est en tout cas ce qui, pour moi, en a résulté à la lecture de cette trilogie : l’histoire policière avait pour objectif premier de faire une critique sociale et politique sans concession, de décrire autant la sphère des dirigeants et leur intouchabilité que les failles de la justice.

La Catalogne, la terre âpre et qu’on croit paisible de Terra Alta, la rambla barcelonaise, la beauté de Majorque, les rayons du soleil espagnol pourraient nous aveugler en nous faisant croire que ces endroits ne sont que des petits bouts de paradis… mais ils ont aussi un petit goût d'enfer...



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L'Imposteur

Fascinant, surprenant, inquiétant, unique, génial quoi ! Javier Cercas nous offre la biographie de Enric Marco qui, durant 30 ans, a prétendu avoir été interné dans un camp de concentration, se faisant passer pour le héros qu'il n'était pas. Il donnait des conférences et passait à la télévision pour témoigner, jusqu'en 2005 où un jeune historien a dénoncé son imposture qui a fait l'effet d'une bombe en Espagne. Ecrit en accord avec Marco, aujourd'hui âgé de 95 ans, qui dit être né le 14 avril et non le 12, car pour ses conférences, il pouvait débuter ainsi, disant qu'il était né dix ans, jour pour jour, avant la proclamation de la Seconde République espagnole. Des mensonges comme cela surgissent durant l'enquête que fait l'écrivain qui se met également en scène. Prise de conscience et réflexions du pouvoir de la littérature. Doit-il mettre fin aux mensonges au risque que tout le monde en prenne pour son grade ? Si non, alors le biographe serait lui aussi un menteur ? C'est le serpent qui se mord la queue. C'est un grand livre que je ne suis pas prête d'oublier. Une pépite.
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Terra Alta

Terra Alta est paru chez Actes Sud, mais pas dans la collection Actes noirs, on se demande bien pourquoi. Mon premier Javier Cercas a pourtant tous les attributs du roman policier. On part d'un fait divers : dans un mas isolé, un richissime couple âgé, les Adell, est assassiné ainsi que leur gouvernante. L'homme est un industriel local, gros employeur de la région. Sa femme et lui ont été torturés avant d'être tués. Melchor Marín, policier considéré comme héroïque, mais au passé trouble, va enquêter comme le lui demandent ses supérieurs. le récit va osciller entre présent et passé : au présent, l'enquête et la vie quasi monacale de Melchor ; au passé, les explications qui amèneront les lecteurs à comprendre comment ce délinquant, fils de prostituée est devenu ce policier complexe et talentueux.

***

Javier Cercas va s'attacher à nous dépeindre Melchor dans toute sa complexité. On assistera à l'évolution du jeune homme vers une certaine maturité, sa difficulté à prendre ses marques, sa méfiance et, pendant toute sa jeunesse et peut-être encore au présent, sa colère et sa rancoeur. Pendant un séjour en prison, un codétenu français l'initiera à la littérature en lui prêtant Les Misérables, roman dans lequel Melchor s'immerge. Il s'identifie aux personnages, Jean Valjean comme Javert, mais c'est vers ce dernier que va sa préférence, et de là vient son désir de devenir policier. La place accordée à la littérature se révèle importante. Au début, Melchor lit surtout des romans du XIXe siècle. Après la rencontre avec Olga, la bibliothécaire, ses horizons vont s'élargir. Devant sa réticence à sortir du XIXe siècle, elle va lui proposer des romans du XIXe siècle écrits au XXe… Je vous laisse découvrir les choix d'Olga et les appréciations de Melchor dans leurs discussions passionnées. Il devient un grand lecteur et subit à cause de cela l'ironie de ses collègues et de certains de ses supérieurs. Cercas choisit de situer son roman en Catalogne, dans cette Terra Alta où le souvenir de la guerre est encore très présent, comme d'ailleurs celui de la dictature, et où s'inscrit le désir d'indépendance. Par le biais d'un personnage secondaire, il sera brièvement question de la colonisation au Mexique. L'intrigue policière est bien ficelée, elle propose une vision du monde qui m'a semblé assez réaliste, ne faisant l'impasse ni sur l'injustice, ni sur la corruption des élites et en évitant, je crois, les clichés d'usage. J'ai beaucoup aimé ce roman, et je lirai très bientôt Indépendance. le dernier opus de cette trilogie devrait sortir en France courant juin.

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Indépendance



Vous le savez, mes billets ne sont pas de l'ordre d'une analyse exhaustive du style, de la narration ou encore du genre. Ils sont plutôt du côté du ressenti, de l'émotion, juste une appréciation sans aucune prétention. Ha bien sûr que le plaisir est doublé lorsque l'émoi est bonifié par une belle plume, par une narration excitante, par un style particulier, enchanteur et par un récit qui me touche.

Et bien, depuis Terra Alta, et encore cette fois avec Indépendance, on dirait que je reste sur mon quant à soi et je ne saurais trop dire quel est le bobo. Je garde mes distances. Est-ce Melchor, le personnage principal? Le propos ? L'intrigue? Ce deuxième opus de la trilogie me fait revivre la même ambigüité dans mon plaisir de lecture que le T.1. Je fais bande à part devant le concert d’éloges pour cette trilogie.

Avec Indépendance j'ai eu l'impression de lire une longue, très longue récrimination sur la politique catalane et ceux qui la composent et sur la notion d'indépendance de cette région. L’impression également que l’auteur avait des comptes à régler avec la politique catalane. J’ai bien dit impression. Et ce, malgré les tours de passe passe narratifs intéressants, originaux et qui nous malmènent, avec plaisir, vers la fin.

Un récit sous forme d'enquête/confession qui n'a rien de vraiment original. La maire de Barcelone est victime de chantage à cause de vidéos compromettantes et en plus de vouloir lui soutirer de l'argent, on exige sa démission. Politique/argent/vieilles familles/cupidité tout est là. Et une fin disons compréhensible mais facile je dirais.

Il y a un petit quelque chose qui ne me touche pas. J'ai l'impression que l'engagement de l'auteur pour ses personnages est factice, surfait. Mais ça c'est moi. Pourtant, c'est bien écrit, clair et fluide. La narration est originale et parfois déstabilisante et certains passages -par exemple la soirée avec Vivales et ses amis- sont tout simplement réjouissants. Il faut croire que je ne suis pas une vraie aficionada. Mais promis, j'irai au bout de la trilogie et j'attends de lire Le château de Barbe-Bleue qui me fera , je l'espère, changer de point de vue.

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A la vitesse de la lumière

le narrateur de « A la vitesse de la lumière » -qui pourrait être l'auteur Javier Cercas lui-même-, jeune homme espagnol, rêve avec son ami Marcos Luna de devenir des artistes à succès. Si Marcos souhaite être peintre, le narrateur a pour ambition de devenir écrivain. Il accepte la proposition d'aller travailler dans une université américaine à Urbana, pour y donner des cours d'espagnol. C'est pour lui la possibilité de recueillir de la matière à son écriture et de nourrir l'écrivain en devenir.

A l'université, il fait la rencontre de Rodney Falk, vétéran de la guerre du Vietnam. Ce collègue est un homme taciturne, solitaire, considéré comme étrange par les autres de l'université.

En prenant l'habitude de se retrouver chaque semaine dans un bar pour que le jeune homme apprenne le catalan à Rodney, de converser sur les thèmes de l'écriture et la littérature, ils deviennent peu à peu amis. Le vétéran se révèle être un esprit fin et cultivé, amoureux de la littérature, des grands écrivains, notamment d'Hemingway. Rodney va ainsi lui expliquer que le succès peut littéralement tuer un écrivain. Devenir un grand écrivain, c'est -selon lui- créer du sens à la réalité, accepter de regarder la réalité en face. Avec le succès, l'écrivain a l'obligation de ne jamais cesser d'écrire, de toujours voir cette réalité, de chercher son sens, sous peine de dépression ou de suicide.

Rapidement, le narrateur comprend que la guerre du Vietnam a détruit Rodney, même si ce dernier évite, de prime abord, d'en parler. De par sa vie solitaire, s'excluant quasiment de toute vie sociale, mais aussi par quelques remarques sur l'homme qu'il est, le jeune espagnol réalise que son ami est rongé par la culpabilité, par les actes infâmes des soldats que la guerre oblige à faire, poursuivi par ses ombres. La guerre finit par rendre un homme inhumain et barbare et changer la nature même de son être et de son âme.

De retour d'un voyage de quelques semaines avec des amis, il va apprendre que Rodney a disparu. Peut-être notamment parce que, pour l'écrivain qu'il est, il est curieux de cet homme profond et ravagé par son passé, il va tenter de le retrouver, de mieux le connaître.

Mais, Il va finalement rentrer en Espagne sans le retrouver. Il va rencontrer sa future femme, avoir un enfant et tenter d'écrire jusqu'à ce qu'un de ses romans rencontre le succès…

J'en ai presque déjà trop dit. Comme l'exercice est souvent difficile, par notre envie d'argumenter sur le plaisir qu'on a connu à lire une oeuvre, à donner l'envie à l'autre, de raconter l'histoire et d'en dire un peu trop !

A ce propos, ce qui a été le cas pour ce roman, j'en profite pour regretter (et le terme est faible) que certaines quatrièmes de couverture ou critiques littéraires, soit nous fassent miroiter monts et merveilles qu'on cherchera en vain dans le roman, soit nous en racontent beaucoup trop, quand ce n'est pas jusqu'à l'épilogue, et ainsi, contrarient tout effet de surprise, d'intrigue et donc l'émotion.

Le roman de Javier Cercas par son écriture intelligente et fine, la psychologie, la profondeur de ses personnages m'a captivée dès les premières pages. Rodney est un de ses personnages, complexe, qui nous touche, forcément.

C'est un roman lumineux parce que cela parle de l'amitié, de son pouvoir, mais aussi de littérature, de ce qui fait tenir les hommes. Mais, c'est aussi bien entendu un roman sombre par ses autres thèmes : la guerre et la culpabilité. La culpabilité comme celle des Tragédies, celle qui s'insinue en soi et dévore peu à peu l'âme. Une culpabilité qui va, bien sûr, bien au-delà de la guerre. Ce sentiment qui peut naître pour tout à chacun, selon nos actes vis-à-vis des autres, notre conscience.

Et si cette histoire m'a tenue en haleine jusqu'à la fin, c'est bouleversée que j'ai fermé ce roman.

Et il va sans dire que je vais poursuivre ma découverte de cet écrivain.

Un grand merci à Merik pour m'avoir fait découvrir Javier Cercas !

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Anatomie d'un instant

Cet instant, c'est celui de la nuit du 23 février 1981 à Madrid, lors du coup d'état manqué dans le parlement espagnol, les députés pris en otage et la ville de Valence envahie par l'armée.

Je me souviens de cet épisode qui fut aussi relaté à la télévision française de l'époque.

L'auteur relate cet évènement des prémices à la suite, c'est-à-dire au procès des militaires putschistes. Il analyse en profondeur l'évolution politique et le caractère des différents protagonistes, en particulier s'agissant d'Adolfo Suarez, chef du gouvernement démissionnaire.

Ce livre est extrêmement documenté et fouillé, il m'a passionnée, malgré la difficulté du sujet traité. Seules les parenthèses (ou...ou) m'ont un peu gênée.

J'ajoute que ce livre est finalement un bel hommage au père de Javier Cercas.
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Le monarque des ombres

Ce roman étouffant, pareil à cette guerre d'Espagne, au titre émouvant Le "Monarque des ombres", est-il le roman de l'écrivain Javier Cercas, ou un récit guidé par sa famille. Est-ce l'histoire de son oncle jeune soldat mort à 19 ans, ou le livre de l'historien Cercas prêt à examiner tous les chemins empruntés par cet oncle Manuel Mena.





La première moitié du livre est une longue interrogation sur l'intérêt d'écrire ce livre, une incessante question, devant le peu d'informations disponibles. Un flou voulu ou subit, par une famille, trop mal documentée pour réhabiliter un homme qui s'est engagé totalement dans une voie, la phalange, contraire à son passé, contraire à son milieu.

Manuel Mena a 19 ans, sur la photo familiale, sanglé dans son uniforme de phalangiste, il a un corps d’enfant dans un costume d’homme, mort au combat pour une mauvaise cause pendant la bataille de l’Ebre, en septembre 1938.

Depuis son enfance, Javier Cercas vit avec le souvenir de Manuel Mena, héros officiel de sa famille qui entretient le culte, d'un aïeul statufié en jeune officier.



Que faire de cet héritage ? Le cacher ou l’affronter au grand jour ? Javier Cercas tournait autour, mais de Manuel Mena comment s’en débarrasser.





Longtemps, il a cru pouvoir l’ignorer. Mais Javier Cercas s’est résolu à se planter face à lui. À défier la légende pour s’enfoncer dans le pays des ombres. Il se doit de maîtriser le roman familial pour ne pas être emporté.

Ces très longues pages, m'ont ouvert les yeux sur les événements à l'origine de la guerre d'Espagne. L’enchaînement assez incompréhensible des scrutins ne pouvaient que basculer le pays dans suite de querelles violentes et insolubles.

En 1931 c'est la victoire de la gauche, et l'instauration de la 2ème république signe le départ de la famille royale.

Fin 1933 de nouvelles élections engage le pays dans l'instabilité et les répressions, avec un autre camp au pouvoir, et tout bascule de nouveau.

En 1936 le peuple met la gauche démocratique au pouvoir, c'est le front populaire,et bientôt le début de la guerre civile espagnole.





La Seconde République, née dans dans l’effervescence générale et l’optimisme,fini par se répandre dans le sang

Javier Cercas va puiser dans le passé d'Ibahernando son village, cette région reculée de l'Extramadure, pour reconstituer le film de ces sombres années. Quelques anciens, au regard voilé de tristesse, trop longtemps emmurés dans le silence parlent. Son ami, le cinéaste David Trueba, qui a tenté de le dissuader de plonger dans cette fissure, finit par l’accompagner à Ibahernando pour filmer les derniers témoins.





Peu à peu le film des événements se dessine.

Savoir ce n'est pas juger, comprendre Manuel Mena c'est découvrir la personnalité du jeune homme livré à lui même et très idéaliste. Il sort de l'enfance confronté à des combats qui divisent et détruisent l'harmonie d'un clan. Confronté à cette complexité, le jeune homme verse dans le mauvais camp et finit, désenchanté, par le pressentir, peu de jours avant que la mort l'emporte.





Malheur aux vaincus. Javier Cercas fut décrié, même si son travail a fait l’objet d’une enquête scrupuleuse, apportant son lot de révélations et de témoignages. Entre la guerre, l’héroïsme et la mort, c’est l'aventure humaine que l'écrivain privilégie, un regard sur le passé pour aussi éclairer l'avenir.



Un roman familial où des figures étonnantes sont restituées dans leur sagesse et leur sensibilité, sa mère son grand père et tant d'autres.

Que signifie une belle mort ? Si sa famille a vu en Manuel Mena, le héros grec Achille, le monarque des ombres, n'aspira peut être que de devenir un modeste Ulysse pour retrouver sa famille.



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Les soldats de Salamine

La ville d’Avignon, l’Association Contraluz, la librairie La Mémoire du Monde, ont souhaité commémorer les 80 ans de la Retirada ( l’ exode massif d’espagnols républicains à la suite de la chute de la Seconde République espagnole et de la victoire de Franco).

Dans la librairie, une table dédiée aux auteurs ayant écrits sur cette période. C’est parmi ces livres que j’ai trouvé Les Soldats de Salamine. La quatrième de couverture précise que Rafaël Sanchez Mazas, romancier, journaliste, essayiste et homme politique, cofondateur de la Phalange, ami d’Antonio Primo de Rivera, réchappe, vers la fin de 1937 du peloton d’exécution commandé par les Républicains, se sauve, se terre dans un bosquet. Un milicien républicain le découvre, un échange de regard, bref mais profond, un moment d’humanité fugace, de fraternité éphémère, il lui laisse la vie sauve. Sur ces bases, Javier Cercas, lui-même romancier et journaliste en vaine d’imagination à ce moment là, va s’inspirer de ces faits racontés par le fils de Rafaël pour reconstituer cette histoire et tenter de retrouver les protagonistes survivants.

A ce stade, je ne saisissais pas le choix du titre. Je pensais à un lieu espagnol mythique, mais par moi oublié, de cette guerre fratricide. En revanche, j’ai vite saisi que Cercas se référait à cette fameuse bataille de Salamine en 480 av JC. Alors j’ai posé, momentanément ce livre, pour ouvrir celui d’histoire, bien vieux, mais toujours utile. Salamine, grande bataille navale de la 2ème guerre médique dont la victoire revint à l’Athénien Thémistocle (la première fut calamiteuse pour les Grecs) Les Grecs sur les conseils de Thémistocle surent attirés la flotte perse bien supérieure en nombre dans l’étroit goulet compris entre l’île de Salamine et la côte de l’Attique et là, ne pouvant se déployer, elle subit un immense désastre. J’ai trouvé plusieurs pistes pour le choix du titre, sans aucune certitude.



Je crois que la version originale en espagnole doit être bien plus savoureuse à la lecture, notamment les détails du quotidien de Cercas, les moments et les échanges partagés avec sa compagne Conchi.

J’ai bien aimé aussi retrouver la cité ducale où se rend Javier pour retrouver Miralles , le possible sauveur de Sanchez Mazas, le héros réel ou imaginé de cette histoire qui œuvre à la résilience, et si ce n’est encore et pas tout à fait ni le pardon, ni la réconciliation au moins l’apaisement.

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Les lois de la frontière

Par désœuvrement peut-être ou par intérêt pour Tere sans doute, par fascination pour Zarco probablement, celui qu’ils surnomment le Binoclard les rejoint.

Avec Zarco et Tere, il va former un trio soudé par une amitié, qui les liera à la vie et à la mort.

Durant un été, ils vont sévir dans le Nord Est de l’Espagne sans avoir vraiment conscience de ce qu’ils font : cambriolages, braquages, consommation de drogue, tout y passe. Ce n’est que lorsqu’ils se font arrêter que le jeune adolescent, après un ultime braquage manqué, se rend compte qu’il est en train de risquer tout son avenir.

Or, tout sépare Zarco et Ignacio : leurs origines, leur passé, leurs enjeux. Zarco n’a absolument rien à perdre, Ignacio pourrait reprendre un cours de vie dit normal. Entre les deux, un trait d’union : la mystérieuse Tere, qui fascine Ignacio.

C’est plusieurs années plus tard que commence le roman lorsque, épargné miraculeusement par la police, Ignacio est devenu avocat et croise à nouveau son ami Zarco dans des circonstances bien différentes de celles de l’été 1978 – pour le défendre et le faire sortir de prison, lui qui est devenu la coqueluche des médias et une icône pour une jeunesse en quête de symbole.



L’originalité de ce récit tient à sa forme : sous couvert d’entretiens avec Ignacio ou avec le policier en charge de l’enquête sur la bande, ou encore avec le Directeur de la prison où a été enfermé le caïd, un écrivain (dont on ne saura rien) a pour mission de reconstituer l’épopée de Zarco et de sa bande, symbole d’une époque particulière. L’interview dévoile peu à peu l’histoire d’Ignacio, sa fascination pour le chef de bande, et le rôle trouble joué par Tere, dont Ignacio ne sait toujours pas quelle place elle occupe auprès de Zarco.



Et puis il y a la question de la frontière.

Celle qu’Ignacio traverse à chaque fois qu’il rejoint la bande : une frontière invisible qui sépare le monde de la classe moyenne et le monde de la délinquance. Une frontière bleue aussi, celle d’une série télévisée que les jeunes de cette époque regardent avec passion et qui évoque une histoire de Robin des Bois version asiatique. Et une frontière temporelle : le passé peut-il s’oublier et la page se tourner définitivement ?

Mais aussi la frontière entre le bien et le mal, avec cette question de savoir jusqu’où on est prêt à aller par amitié. Que s’est-il passé précisément ? Zarco était-il un idéaliste ? ou un mythomane ? Tere était-elle une manipulatrice ou une manipulée ? Ignacio a-t-il couru derrière une ombre ? La rédemption existe-t-elle ?



Tout le mérite de Javier Cercas est de maintenir l’ambiguïté pour inciter le lecteur à se forger sa propre opinion.

Tous les personnages sont intéressants, y compris les personnages secondaires : Maria Vera par exemple, la compagne officielle de Zarco (qui va se faire appeler désormais Gamallo), qui manipule les médias tout autant qu’elle se fait manipuler. En se rebaptisant Gamallo, le malfrat tente de faire oublier Zarco, mais Zarco ne veut pas non plus disparaître des radars des médias, ce qui l’amène à un comportement chaotique, parfois incohérent, dans une sorte de course en avant dans laquelle il entraîne son avocat – au risque de les faire chuter tous les deux, si Ignacio n’y prend pas garde.



Avec beaucoup de maîtrise, Javier Cercas brouille donc les cartes habituelles : pas de prêchi-prêcha sous forme de morale pour nous expliquer qu’il faut préférer une vie de classe moyenne à une vie de délinquant.

Un récit qu’on ne lâche pas jusqu’à la dernière minute qui restitue l’atmosphère d’une époque dite de démocratie et de prospérité – mais qui fait bien ressortir aussi son miroir aux alouettes.




Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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