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Critiques de Maylis de Kerangal (1844)
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Réparer les vivants

J'ose à peine l'écrire : Coup de cœur inattendu de ce début d'année 2014 !



Oui, gros coup de cœur pour ce roman, véritable plaidoyer pour la transplantation cardiaque ! Ce don gratuit qui n'en est pas un finalement puisqu'il intervient en cas de mort cérébrale et permet d'offrir dans un anonymat total et définitif un supplément de vie à quelqu'un, condamné à plus ou moins brève échéance par son cœur défaillant.



Cette gratuité humaine qui redonne confiance en la vie, forge un nouveau départ.



Hymne à la vie donc, ce roman est à la fois passionnant et bouleversant, mais entendons-nous bien, aucun pathos larmoyant ici. En 24 heures chrono, l'histoire s'articule autour de Simon Limbres ( clin d'œil aux limbes ? ), jeune homme de 17 ans, fou de surf, qui suite à un accident de la route, est déclaré en état de mort cérébrale, situation idéale pour envisager de récupérer ses organes vitaux ( cœur, poumons, foie et reins ) en parfait état, et de Claire Mejean, quinquagénaire dont le cœur à bout de souffle l'a contrainte à réorganiser sa vie, au point de vivre au ralenti à proximité de l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, dans l'attente de l'organe compatible - une vie qui s'amenuise inexorablement.

Autour d'eux gravitent évidemment les familles, les médecins, les chirurgiens, les infirmières, mais aussi les chauffeurs de taxi agréés que Mailys de Kerangal incarnent à travers des personnages très réalistes et touchants dans leurs particularités, tous embarqués dans le tourbillon de la transplantation, véritable course contre la montre, ballet à la chorégraphie millimétrée où chaque maillon est indispensable au bon déroulement.



Je ne suis pas fan d'ordinaire de récits foisonnant de détails médicaux, et sans l'avis de MarianneL, que je remercie vraiment pour la découverte, je n'aurais sans doute pas choisi cette lecture. J'aurais alors raté un livre marquant qui me laissera assurément une trace indélébile, tant il me conforte dans mon acceptation personnelle du don d'organes.

J'ai tout particulièrement apprécié l'alternance de narration lente chargée d'émotions et les pages de description enlevée du protocole médical, très instructives sans être rébarbatives, le tout servi par une écriture dense, serrée, souvent concentrée autour de mots, de verbes percutants. Je me suis laissée embarquer dans cette aventure, au point de supporter sans difficulté un tourbillon de phrases longues qui peuvent s'étirer sur plusieurs pages, comme pour mieux tenir le lecteur en haleine. Et de fait, je n'ai pas beaucoup lâché le livre avant d'en avoir achevé la lecture, signe indiscutable de son intérêt.



24 heures : le temps du roman - de la fin d'une vie aux premiers battements du cœur transplanté. Une prouesse médicale et littéraire !

Un beau roman-document pour alimenter sa réflexion en vue d'une prise de position concernant ses propres organes au cas où...
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Réparer les vivants

Ce qui m’a frappé en lisant le nouveau livre de Maylis De Kérangal, c’est l’écriture. Dès les premières lignes on devine que l’on va passer un moment fort. Car on delà du sujet sensible et profondément intime, la mort qui frappe aveuglement et plonge une famille dans l’impensable puis, la décision dans l’horreur de l’instant, de faire un don d’organes pour redonner un supplément de vie à de parfaits inconnus, c’est dans le choix des mots, l’envolée des phrases, le style que le roman de Kérangal bouscule tout sur son passage. Au plus près de chacun des personnages, elle est d’une justesse remarquable. Pas un mot de trop qui pourrait faire chavirer le roman dans le pathos. C’est aussi un magnifique hommage à ces anonymes héros du monde hospitalier, luttant contre la montre oubliant leurs propres maux pour accompagner les familles dans leurs souffrances ou leurs espoirs.

« Réparer les vivants » est un livre passionnant, émouvant, il nous interpelle sur nos propres convictions et nos questionnements que l‘on botte volontiers en touche sur des sujets aussi sensibles.

Maylis de Kérangal nous donne un bouquin bouleversant qui va droit au … cœur.

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Réparer les vivants

Mon cœur bat trop vite : je viens de refermer cette ode à la vie qu’est ce chef-d’œuvre de Maylis de Kerangal.

Mon cœur s’essouffle, ralentit, se déchire : je hurle avec les parents de ce jeune homme de 19 ans, mort dans un accident de voiture.

Mon cœur se dilate, explose : je salue la course à la vie, à travers la greffe des organes de ce jeune.



Je n’en peux plus de lire cette souffrance des parents devant le corps de leur enfant. Je m’en imprègne et m’écroule.

Je tremble d’exaltation lorsque la demande de greffes d’organes leur est proposée, afin de sauver d’autres vies. Un processus qui demande rapidité, un processus qui pourtant est rempli de respect. Respect de la douleur. Humanité profonde.



J’accompagne chaque personnage : Simon, bien entendu, le jeune surfeur qui, quelques minutes avant l’accident fatal, s’abandonnait à sa passion dans la mer froide, à l’heure où le gris foncé n’a pas encore cédé le pas à l’aube. Marianne, sa maman, bouleversante. Sean, son papa, décomposé et plein de rage. Lou, sa petite sœur de 7 ans, qu’il a fallu « caser » chez la voisine. Juliette, son amour.

Et puis l’équipe médicale : Revol, le médecin en réanimation de qui tout est parti. Thomas, l’infirmier responsable du processus de greffe, du début à la fin. La jeune infirmière tout encore imprégnée de sa folle nuit d’amour. Et tous les autres, aux quatre coins de la France, unis dans une même urgence.

Tout au bout de la chaîne, et à son origine, Claire, la receveuse du cœur de Simon, celle pour qui le processus s’est mis en branle.



Que dire de plus sur ce roman ? Et d’ailleurs, comment appeler cela un roman, alors qu’il est rempli d’humanité et de vérité, dans toute leur crudité émotionnelle et physique ?

Un souffle de vie traverse cette histoire de part en part, souffle ponctué jusque dans son style, ponctuation chaotique, images bouleversantes et cosmiques, où le temps et l’espace communient avec la solitude de l’être humain.

Solitude, oui. Solitude de la souffrance, de la mort. Mais Vie, explosion de vie, malgré tout, envers et contre tout.



Mon cœur éclate. « Réparer les vivants » m’a, à tout jamais, enferré dans la vie. Merci.

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Réparer les vivants

Au coeur de « Réparer les vivants » il y a un coeur à prendre. Le coeur de Simon Limbres.



Limbres… (selon Maylis de Kerangal, les noms de ses personnages ne sont jamais un hasard) presque comme les limbes où l'on pourrait imaginer Simon durant les vingt-quatre heures qui vont suivre son accident fatal.



Vingt-quatre heures intenses et poignantes d'une course contre la montre, qui honore la vie en tutoyant la mort. Vingt-quatre heures suffocantes, construites comme la trajectoire d'une vague qui s'étire et s'amplifie pour monter en puissance vers l'objectif ultime : le transfert d'un coeur, d'un corps vers un autre corps.



Comme autant de respirations dans ce flux inexorable, comme autant d'évocations de l'Amour dans ses différentes expressions, l'intervention des principaux personnages et de leurs émotions propres apporte une vibration profondément humaine à l'épopée scientifique. Là se trouve toute la virtuosité de l'auteure dont l'écriture fiévreuse surfe remarquablement sur ces deux registres, décrivant avec une précision captivante la performance médicale et ses impératifs tangibles, insufflant aussi (et surtout) une dimension spirituelle bouleversante à cette aventure d'exception.



Magnifique et… palpitant, ce récit fulgurant cumule à ce jour pas moins de sept récompenses hexagonales. De quoi se réconcilier avec les prix littéraires finalement.



Ҩ



Mille mercis à l'équipe de Babelio ainsi qu'à Anne-Gaëlle Fontaine des éditions Gallimard qui m'ont sélectionnée pour cette lecture. J'en attendais beaucoup, elle m'a offert bien plus encore.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Naissance d'un pont

On m'avait beaucoup parlé de ce roman et de son auteure. On m'en avait dit le plus grand bien et force est de constater que j'avais nourri quelques attentes. Sans aller jusqu'à dire qu'elles ont toutes été déçues, mon impression d'ensemble confine tout de même à la déception. Une déception à la mesure des attentes ainsi forgées : très grandes.



On m'avait fait grand cas du style de Maylis de Kerangal. Oui… sans doute y a-t-il un style là-dedans… lequel, je n'en sais rien, mais sans doute un style… de même que dans tout vêtement H & M, il doit bien y avoir un style, une ligne, un je-ne-sais-quoi qui en rien ne lui est propre mais qui fait illusion, le temps d'une saison… Avec sa seringue à style, Madame de Kerangal a généreusement pompé ici ou là des styles qui ont dû l'impressionner pour ensuite très consciencieusement les réinjecter dans son écriture. Elle fait ça très bien la stylosuccion. Chllluupp !



Il y a un nom qu'il ne faut surtout pas évoquer parce qu'il sent le soufre, mais n'empêche, faut bien admettre qu'il en jette un peu avec son style, alors on va essayer de le copier discrètement, sans se faire remarquer, tâcher d'en extraire sa formule… et de le re-synthétiser en laboratoire. Ce nom, c'est Céline mais chuuut ; sa formule c'est un mélange de prose violente et volontiers argotique, ordurière ou familière, le tout habilement mêlé de langage ultra-soutenu. Ça fait mouche à tous les coups cette affaire-là, alors la petite Maylis, ça lui a plu. Forcément.



Mais voilà, l'ennui, c'est que n'est pas Céline qui veut. Ça sent le sous-sous-Céline à pleins naseaux. Il y a quelque temps, il y avait André Rieu qui faisait ça à la musique classique, qui faisait du " comme " untel ou untel. Ici, on a Maylis de Kerangal qui fait aussi du " comme " ou du " j'aurai-du-style.com ". On peut même s'amuser à copier Picasso, mais ce ne sera toujours que de la copie de Picasso : parce qu'un style, vois-tu Maylis, ça vient de soi, tout au fond des entrailles, là où ça pue un peu ; ça nait à l'intérieur des tripes et ça sort de tous les pores de la peau. Alors, vous aurez beau essayer, vous contracter très fort l'intestin en serrant puissamment les paupières, rien de sortira de vos pores qu'une transpiration laborieuse. Mais de style, pas une goutte vous n'obtiendrez de la sorte.



L'idée de base me semble pourtant intéressante et bonne : s'atteler à un ouvrage d'art de travaux public ; il y a des choses à dire, des expériences à vivre, à éprouver, à faire ressentir ; pas de doute là-dessus, ce n'est pas l'idée qui est en cause : c'est l'exécution. Alors, j'admets, elle a été très studieuse, très professionnelle la Maylis, elle a fait un travail très propre, très soigné et tout, et tout, en faisant même bien attention à mettre du style dans sa pièce montée comme d'autres du caramel. Chllluupp !… Une couche d'argot, une couche de vulgaire, une couche d'ultra-sophistiqué. Elle a bien compté les couches, tout y est, au gramme près.



Elle a voulu tout dire, et pour ce faire, elle n'a pas voulu choisir. Elle s'est dit : « Je les prends tous et Dieu reconnaîtra les siens. » Plein de personnages, donc, mais à peine brossés, esquissés, effleurés. Une amorce de background pour chacun, histoire de faire illusion mais… quand on gratte cette petite pellicule de patine, c'est tout creux à l'intérieur. Des coquilles vides ! Elle nous a vendu des coquilles vides ! Où sont passés les oisillons ? Bah, le vrai là-dedans, c'est que d'oisillons y en n'a probablement jamais eu. Tous les œufs étaient clairs… Alors adieu veau, vache, cochons, couvée…



Le chef de chantier, la responsable du béton, le grutier, l'homme politique, le scientifique ethnologue-écolo, le repris de justice repris de justesse, les Amérindiens, la mère de famille au couple bancal, le porte-parole syndical, le… Poh ! Poh ! Poh ! Eh ! n'en jetez plus la cour est pleine ! Et on en fait quoi de toutes ces coquilles vides ? On fait le tri ? On les décore pour Pâques ?



(Blague à part, vous notez que j'utilise un ton volontairement polémique alors qu'une attitude beaucoup plus indulgente et ouverte serait très certainement préférable et souhaitable. De même, je livre beaucoup de sensations personnelles sans franchement les étayer ni vraiment y apporter de fondements. Histoire de me racheter moindrement, je me contenterai d'illustrer ce point précis par une citation d'Edith Wharton dans son ouvrage, Les Règles de la fiction : « On produit un effet bien plus profond en se livrant à l'étude pénétrante de quelques personnages, au lieu de multiplier les silhouettes vaguement dessinées. Ni le romancier ni le dramaturge ne devrait s'aventurer à créer un personnage sans le suivre jusqu'au bout de l'action, et sans être sûr que cette dernière serait appauvrie par son absence. Les personnages dont la fonction n'a pas été précisément définie à l'avance risquent de devenir aussi déplacés que des intrus. »)



Et les noms !… les noms des personnages mes bons amis… Franchement, entre nous comme ça, quand j'ai commencé à voir ce qu'elle utilisait, j'ai eu envie de crier. Bon, j'étais sur un banc, dans un parc, auprès des jeux des enfants, donc je me suis retenue un petit peu… Y avait des mamans qui veillaient leurs gosses, elles auraient risqué d'appeler les flics… Faut faire gaffe en ce moment…



Non mais franchement ma petite Maylis, que t'aies bien aimé Diderot et Thoreau, ça d'accord, je le conçois aisément, mais que tu ne trouves rien d'autre pour habiller tes personnages, là ça frise la faute professionnelle. Que tu aies été fan dans ta jeunesse de Sancho Pança dans Don Quichotte ou de Brigid O'Shaughnessy dans le Faucon Maltais, très bien, c'est tout à ton honneur, mais franchement, les resservir réchauffés au micro-ondes quand on a des invités, ça se fait pas trop, je t'assure. Ça fait fourre-z'y-tout. J'ai rien contre les restes, tu me diras, mais que quand on est en petit comité, entre-nous, tu vois, les parents, les gosses, qu'on n'a pas trop le temps de cuisiner…



Explique-moi, ma petite Maylis, comment je branche mon affectif dans ton fourre-z'y-tout ? À quel personnage je m'identifie ? Tous à la fois ? Aucun ? Un truc à la Manhattan Transfer, alors ? Ouais, je veux bien, mais Dos Passos, il a peint une époque, un lieu, l'air du temps et chacun de ses anonymes représentaient un type, une synthèse, quelque chose. Mais eux, là, tous tes personnages, ils représentent qui, si ce n'est eux-mêmes ?



Ensuite, t'es retournée voir dans ta bibliothèque et t'as trouvé le Pont de la Rivière Kwaï. Tu t'es dit : « Tiens ! Y a un rapport avec le pont. » Alors ni une ni deux, Chllluupp ! « Je vais leur faire sauter, moi, leur pont. » Hep ! Hep ! Hep ! cocotte ! Touche pas à mes Pierre Boulle, j'y tiens. J'irais peut-être pas jusqu'à donner un coup de Boulle car ça aussi ça a déjà été fait, mais tout de même : y a des limites !



Tout de suite, tu l'as imaginé rouge ton pont, comme le viaduc de Garabit. Puis t'es allée sur internet et tu t'es dit : « En matière de pont rouge, y a rien de mieux que San Francisco. » Alors t'as réfléchi un bon coup, au moins trois, quatre minutes comme pour le nom de tous tes personnages, et tu t'es dit : « Macondo c'est déjà pris, alors qu'est-ce qu'on peut faire avec San Francisco - California, Cisco-Cali, Co-Ca : Coca, voilà, j'ai ce qu'il me faut ! Ma-ville-fictive-fantôme-mais-qu'est-San Francisco-mais-qu'il-faut-pas-le-dire, elle s'appellera Coca comme… euh, comme quoi déjà ? Bon, c'est pas grave, je retrouverai bien une autre fois ce que c'est. »



Et pour ta ville, t'as fait comme pour le reste, quitte à ce que cela soit complètement aberrant : alors si je résume bien, il y a du désert, du climat continental et de la forêt équatoriale auprès de ta Coca, et c'est un port aussi, et il y a une baie, et il y a un très gros fleuve. Hmm, hmm, pas banal, en effet. Je crois bien que tout près aussi, mais tu ne nous l'as pas dit expressément, il doit y avoir au moins une savane, une toundra et l'Himalaya… et une mousson aussi… et la banquise même… et… Eh non, Maylis ! Ça peut pas coller ton truc, réfléchis juste un bon coup et tu te rendras compte par toi-même. Mais bon, j'arrête ici, ça vaut mieux car je vois déjà la pampa se profiler derrière le bocage normand.



Alors à ce stade, vous vous dites sans doute que je suis la pire langue de pute qui existe sur cette planète et vous n'avez peut-être pas tout à fait tort car, Maylis de Kerangal a fait ça bien, dans son style (bon, là, je sens que je m'enfonce). Y a pas à dire, c'est honnête. Pour moi, pas du tout abouti, j'ai pas toujours tout compris de sa syntaxe mais à sa façon, c'est quand même un peu de la littérature. Un genre de littérature, quoi.



Toutefois, j'aurais aimé tellement plus, tellement suivre un seul personnage et que les autres n'auraient fait qu'environner. J'aurais aimé le voir découvrir le chantier, se l'approprier, y jouer son rôle de pion et se rendre compte qu'il n'était qu'un pion dans cette immense et colossale partie qui se joue au-dessus de sa tête et dont il ne connaît qu'une infime partie des règles. J'aurais aimé voir ce personnage évoluer, se poser des questions, s'interroger sur son avenir, l'après pont. J'aurais aimé sentir palpiter les ouvriers comme dans En Un Combat Douteux, j'aurais aimé te lire toi Maylis, vraiment toi, et non le style que tu cherchais à contrefaire, un vrai style qui serait venu de toi et pas de tes lectures Chllluupp !



J'aurais aimé boire le jus de tes tripes et tu ne m'as donné à lire que ton cahier à spirales. J'aurais aimé poser mon oreille sur ta poitrine et sentir battre ton cœur, le tiens je veux dire, pas celui pour réparer les vivants et je n'ai réussi qu'à poser ma main sur la pile de livres que tu as lue au lycée. Et je me dis que c'est vraiment dommage ma petite Maylis, car t'avais sûrement le tonus en toi de faire un vrai bon truc personnel et fort et dont on se serait encore souvenu dans cent ans…



Et au lieu de ça, t'as préféré caresser monsieur Gallimard et monsieur jury Médicis dans le sens du poil. C'est dommage Maylis, car tu valais sans doute bien mieux que ça. C'est sûr qu'à court terme, t'as plus à y gagner, mais… Bon, bon, bon, allez, entendons-nous bien : moi aussi j'aime Denis Diderot et Walden, tout comme toi, mais je le garde pour moi, car, en soi, quand on ne vit pas sous mon toit, ça n'intéresse personne ce que j'aime et ce que je n'aime pas. Oh, et puis qu'est-ce que ça peut faire, cet avis minable n'est qu'un pont entre ton bouquin et moi… Mais dors en paix, Maylis, ce n'est que mon avis, mon misérable avis de pas grand-chose et puis, des gens bien plus autorisés que moi ont dit que c'était bien, c'est donc que c'est bien, à n'en pas douter...
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Un monde à portée de main

L'histoire est simple, elle nous plonge comme souvent avec Maylis de Kerangal dans un univers inhabituel, à la fois clos sur lui-même et connecté au reste. Paula, Jonas et Kate se sont rencontrés dans une école de peinture bruxelloise où l'on y apprend la reproduction, le trompe-l'oeil ou le fac-similé, une école comme une porte fermée et ouverte sur l'art. (Est-on artiste quand on est faussaire de la réalité ? Une question comme un écho sur le rapport de la romancière à la fiction ) *.

Les histoires des trois vont se lier et s'entremêler pendant, et après. Mais c'est Paula Karst que la narration nous invite à suivre en prime, au gré d'une écriture virtuose, au vocabulaire musclé, à la fois générale et précise, aux détails fulgurants comme des coups de pinceaux dans le tableau d'une vie. J'ai été happé, bringuebalé, fasciné. Surtout dans la partie bruxelloise, et à la fin, au moment de Lascaux. Un monde à portée de main, celle des coups de pinceaux certes, mais aussi celle d'une écriture intense, vive, aux accents de balade un peu rock, et surtout très classe.



* édit suite à l'écoute tardive de cette vidéo de l'auteure : https://youtu.be/XLPV2V5G9ec
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Un monde à portée de main

Mon embarras est grand ! Maylis de Kerangal est une femme de lettres brillante. Je reconnais objectivement que l’écriture d’Un monde à portée de main est une performance littéraire, peut-être même une prouesse. A sa lecture, je suis pourtant resté… de marbre, sans émotion. Aussi froid que tous ces marbres dont les personnages du livre savent si bien reproduire l’apparence.



L’auteure s’est immergée dans le monde de la peinture en décor, du trompe-l’œil, de la fabrication de l’illusion. Un monde professionnel où l’on reproduit à la main, en deux dimensions, ce que l’œil perçoit en trois dimensions, et même plus, car il s’agit aussi de prendre en compte les patines du temps, du vieillissement, ainsi que les marques d’agression ou d’usure par les éléments, l’eau, le feu, les intempéries, les chocs, les frottements... Un métier d’art qui exige des savoir-faire multiples, transmis par apprentissage et assimilés par l’expérience. Celles et ceux qui les ont acquis peuvent imiter l’aspect d’un matériau et d’un végétal, donner l’illusion d’un relief et d’une perspective, redonner sa jeunesse à une fresque et à une œuvre d’art ancienne. Des faussaires de génie !



Le travail ne supporte pas l’imperfection et nécessite une minutie infinie. Ce n’est pas sans répercussion sur le mental de femmes et d’hommes, qui utilisent autant leur cerveau que leur main. Paula, Jonas et Kate sont enterrés vivants dans un métier dont leurs proches ne saisissent pas la noblesse, ni même la portée ou la complexité. Ils passent d’un chantier à l’autre et semblent perdus dès lors qu’ils ont des moments de liberté.



Le travail littéraire effectué par Maylis de Kerangal se compare à celui de ces façonniers de l’impossible, de ces besogneux sublimes noyés dans le détail d’exécution. Elle travaille avec la même implication, mais son domaine, ce sont les textes, les phrases et les mots. Elle analyse tout, répertorie tout, dans les moindres détails, sans rien laisser de côté.



Le résultat est un documentaire intéressant. Mon activité professionnelle m’a parfois amené à côtoyer ces artisans, ces artistes – je ne sais comment les dénommer –, sur un chantier de monument historique, de résidence ou d’hôtel de luxe, dans un studio de cinéma ou dans un parc d’attraction. Leur approche diffère suivant les lieux. Leur démarche intellectuelle et manuelle est toujours impressionnante. Leur solitude est souvent à la mesure de leur concentration mentale.



Dans son précédent roman, l’excellent Réparer les vivants, le style de Maylis de Kerangal était aiguisé comme un bistouri, sec comme un geste chirurgical. Une écriture qui s’accommodait bien d’une histoire de greffe d’organe, course contre la montre depuis la mort cérébrale d’un donneur jusqu’au réveil du greffé. Un parcours aussi délicat humainement que techniquement, où toutes les tâches devaient être effectuées très rapidement et sans erreur, ce qui donnait au livre le caractère dramatique et émotionnel d’un thriller.



Dans Un monde à portée de main, les énumérations sans fin et répétées d’outils, de couleurs, de pâtes, de bois, de marbres, et j’en passe, m’ont assommé… Elles relèguent au second plan la pâle intrigue amoureuse censée donner un caractère romanesque au livre.



A Lascaux, où elle œuvre à un « fac-similé ultime », Paula s’est demandé « si les peintures continuaient d’exister quand il n’y avait plus personne pour les regarder ». J’ai pensé à Michel Legrand et aux « chansons qui meurent aussitôt qu’on les oublie ». Parallèle entre peinture et musique. Les peintres en décor sont-ils des créateurs ? Sont-ils des interprètes ?



Dans la grotte de Lascaux IV, Paula préfère oublier le présent. Son esprit se fond dans la grotte de Lascaux tout court, parmi d’autres peintres en décor, dont juste vingt mille ans la séparent…



Moi aussi, je préfère oublier.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Réparer les vivants

Désolée mais je ne partage pas l’enthousiasme quasi général pour ce livre. Croyez bien que j’en suis désolée, mais pour reprendre l’expression d’une de mes babéliotes préférées, ce n’est la que mon avis, c’est-à-dire, pas grand-chose !

Certes le sujet est grave et délicat et il semble important de sensibiliser la population afin de sauver des vies, mais j’ai détesté le style de ce livre, diluer un sujet dans des phrases à rallonges qui se veulent parfois légèrement poétiques, ou qui se font l’expression des sentiments des personnages, avec moult détails me met presque en colère je ne comprends pas cette forme d’écriture, j’aurais voulu compatir dans la première partie avec cette famille qui perd un enfant, mais des détails à chaque fois sont venus parasiter mon ressenti : oui c’est bien triste ce couple qui rentre à la maison accablé par la douleur, mais a-t-on besoin de préciser qu’ils s’assoient sur un canapé trouvé un jour, au bord d’une route ? Est-il si important de dévier sur Thomas Rémiges qui choisit un chardonneret et de spécifier que le chardonneret de la forêt de Baïnem disparaît ? Que Révol verse le café dans des gobelets de plastique blanc ?

Non décidément, cette littérature n’est pas pour moi !

J’ai donc lu ce roman en diagonale, cherchant désespérément les passages qui traitent de la question du don d’organe.

Je n’ai pu m’attacher à aucun personnage, le texte me donnant l’impression de décrire froidement un prélèvement d’organe et une transplantation et de faire évoluer des personnages transparents sans relief.

L’intention de l’auteur était intéressante et louable, je trouve dommage de n’avoir pu m’accrocher !

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Réparer les vivants

Ça y est. J’ai retrouvé Maylis de Kerangal dans une aventure à la fois peu ordinaire et pourtant de pratique courante aujourd’hui, en médecine, le don d’organes.

Tout d’abord et pour parler d’écriture, je dirai que c’est du Kerangal, comme je pourrais en dire autant de Chalandon, c’est du Chalandon. Mais cela n’a rien de péjoratif, bien au contraire, quand je découvre une écriture qui atteint à mon avis, sa pleine maturité et que dès les premières pages se conforte mon jugement. Je découvre une écriture à large spectre qui touche tous les publics, dont les jeunes, quand on sait leur générosité pour un sujet où en général, ils ne tergiversent guère, celui du partage et de la question du don. La jeunesse est fougueuse et ne n’enferre pas dans l’idée de la durée au-delà d’un prolongement autre que le futur proche.

Ici, la qualité de l’écrit est indéniable tout autant qu’il est indéfectible. Je m’explique. Dans l’univers qui nous attache, le mot juste parmi toutes les possibilités offertes à une importance pour ainsi dire capitale. Pour la précision mais pas seulement.

Maylis de Kerangal va bien plus loin que l’imagée de l’écriture. Elle illustre par le choix du texte et dans les mêmes proportions autant le milieu ambiant que le ressenti profond des personnages et, comme si cette prouesse déjà complexe n’était pas le summum de sa performance, elle réussit à l’adapter à des cadres bien particuliers, des contextes, des lieux, des personnes et à toute la résonnance environnementale qui compose un ensemble qui ordonne certes, la dichotomie, mais surtout l’harmonisation du tout. Ceci sur un sujet tout de même épineux et dont on peut se féliciter qu’il soit abordé de cette manière ; tandis que je me posais la question peu avant d’amorcer ma lecture, de savoir s’il serait traité dans toute sa complexité. Qu’est à dire encore !

Que pour un tel sujet, je peux bien concéder de dire clairement - si c’est possible, ma position.

J’ai, moi-même, personnellement et nous avons, dans notre petite famille, notre carte de donneur. Mais, cela étant dit, qu’ai-je dit ? Pas grand-chose. Si toutefois pour moi c’est réglé, (si tant est qu’il me reste quelque chose à donner vu mes nombreux excès... Je rigole là...) Je suis donneur ! C’est inscrit sur ma carte et de toute façon, je ne serais plus là pour contester cet assentiment. Mais ! Pour l’enfant ? C’est un peu plus compliqué. Surtout s’il n’y a pas de consentement établi au préalable. Et quand bien même ! Disons le vrai ! C’est bien le dernier moment que celui-là, de la concertation où j’aurais envie de parler à quiconque et encore moins d’accorder un temps et de penser à un acte d’humanité, tandis que s’échappe précisément une partie de la mienne. Et pourtant ! C’est bien dans ce prolongement de l’acte que les donateurs, parfois, se réactivent dans un mouvement qui perpétue la présence du fils, du disparu, à travers la transmission d’organes qui signifie la vie, quelque part, tandis qu’au moment du retour vers l’habitat, et quittant la sphère grouillante de l’institution hospitalière, une immense chape de plomb et de solitude s’abat sur la famille et les proches du défunt.

Alors, ce que j’apprécie dans ce livre, c’est la justesse du ton et le réalisme qui y est entièrement représenté. Car, même si on y parle de mort, curieusement, on y parle tout autant et surtout de la vie et c’est une autre performance à mon avis, que de nous faire entrer jusque dans la salle d’opération, pour la technique et dans les cœurs, celui de Simon Limbres, en état de mort cérébrale, mais pas seulement, celui aussi de tous les protagonistes, parents, sœur, amis, et de tous les praticiens qui ne sont que des hommes, eux aussi, avec parfois un grand cœur et un sens de la responsabilité qui n’entrave en rien la parole donnée.

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Réparer les vivants

Maylis de Kerangal - Réparer les vivants - 2014 : Quand on parle de phrases courantes sur plusieurs pages, certains vont penser a Proust et se détourner poliment du livre avec un raclement de gorge entendu. Pourtant ça n'a rien à voir ! Autant "Du coté de chez Swann" pouvait paraître long et soporifique, autant ce roman de Maylis de Kerangal revendique l'absence de ponctuation dans la mesure ou elle soutient le rythme rapide d'un récit implacablement serré et précis. Les mots seuls peuvent être incisifs et l'auteur maîtrise parfaitement le vocabulaire de crise qui permet de garder le lecteur sous pression comme s'il était partie prenante de la course contre la montre qui se joue devant lui. La mort intolérable d'un jeune homme lors d'un accident de surf précipite une famille dans la douleur et déclenche un mécanisme impressionnant par sa précision et son professionnalisme. Impossible de ne pas s'identifier aux parents, a leur détresse devant le corps inanimé de leur fils alors que le temps presse et qu'il va falloir décidé si on permet a cette équipe médicale si délicate et pressante de meurtrir à nouveau cette peau, ce ventre, cette poitrine qui vibrait il y a peu encore sous le souffle de la vie. Mais voilà d'autres êtres humains attendent une transplantation pour continuer à exister eux aussi et ce jeune coeur, ces jeune poumons deviennent des trésors inestimables convoités par ces joailliers de l'extrême qui polissent chaque organe comme les plus précieux des diamants. Les événements s'enchaînent comme une sarabande de tristesse arrachant au temps quelques morceaux de vie, ici la dernière nuit d'amour d'une infirmière, là de vagues souvenirs de vacances. Tous ça reste en périphérie car au bout de la course c'est la cage thoracique épuisée d'une patiente en sursis qui va recueillir l'obole et relancer cette machine extraordinaire faite de tendons et de viscères dangereusement sur le point de s'éteindre. Voila un livre qui ne laissera personne indifférent car il tempête en chacun de nous comme un orage sur la mer tant l'être humain moderne repousse loin de lui la moindre image de sa mort ou de celle de ses proches. C'est aussi une formidable aventure technologique menée par des hommes et des femmes dévoués jusque dans leur chair au bien-être de leurs prochains... absolument bouleversant.
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Réparer les vivants

Panégyrique à la gloire des soignants et hymne à la vie, ce magnifique roman décrit 24 heures fatidiques où la mort d’un surfer déclenche le don de ses organes vitaux et permet de réparer des vivants attendant une greffe, d’un coeur ou d’un foie, de poumons ou de reins.



Thème sensible qui pourrait engendrer des pages ruisselantes d’hémoglobine et des pleurs dans les chaumières, que Maylis de Kerangal domine en abordant la question par le triple versant juridique, médical et humain.



L’aspect juridique est décrit avec pédagogie et nous enseigne la loi Caillavet et ses modernisations, rappelle les régles qui assurent le respect des volontés exprimées par le donneur et garantissent l’anonymat du don.



Le volet chirurgical est traité de main de maitre par une enquêtrice qui a rencontré des infirmiers, des urgentistes, des chirurgiens et est donc capable de disséquer le moindre acte médical et de le décrire de façon technique et objective en mettant en évidence son rôle salvateur.



La dimension humaine est abordée avec pudeur et tact. La famille de Simon, les soignants, les receveurs, sont, au premier abord, des personnes ordinaires, abasourdies par l’accident, engagées dans leur métier médical, inquiètes et impatientes d’être « réparées ».



La romancière alterne les épisodes de ce dimanche tragique avec des retours en arrière qui projettent les séances de surf des adolescents, les galipettes de l’infirmière nymphomane, les discussions de la future greffée avec sa mère et ses enfants. Cette alternance permet au lecteur de reprendre souffle entre deux épisodes hospitaliers et surtout donne le temps aux acteurs de progresser dans leur réflexion et Dieu sait qu’en 24 heures, dans un contexte dramatique, les positions peuvent évoluer du désespoir à la révolte, de la révolte à l’espérance.



L’écriture, oh combien reconnaissable de Maylis de Kerangal, avec ses longues tirades, très visuelles, peint les décors du Havre, des bords de Seine, des plages cauchoises, du Bourget, du Stade de France, des hôpitaux et brosse le tableau des acteurs de cette épopée et immortalise le savoir faire des équipes médicales mobilisées pour « réparer les vivants. »



Un chef d’oeuvre et un superbe hommage au corps médical.
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Seyvoz

Deux temporalités alternent dans ce roman. Il y a le présent qui s'appuie sur la fiction, à la lisière du fantastique, avec un ingénieur mandaté pour vérifier les installations du barrage de Seyvoz et des retours dans le passé, dans les années cinquante, avec la construction de ce barrage hydroélectrique au beau milieu des montagnes alpines, au moment où la France sort de la Seconde Guerre mondiale, et où les besoins en énergie sont immenses. Sauf que l'édification de ce barrage a entraîné la création d'un lac artificiel et englouti le village installé là.

Depuis Paris, Tomi Motz est envoyé à Seyvoz pour une mission concernant la maintenance des installations. Lorsqu'il arrive au barrage où il a rendez-vous avec un certain Brissogne, le responsable de la maintenance, personne n'est là. de plus, des choses bizarres comme son téléphone qui ne capte rien alors qu'il se trouve sur le plus important site producteur d'électricité de la nation. La centrale électrique de Seyvoz serait donc une poche de territoire sans couverture réseau, une zone blanche… Étrange ! Étrange également cette Clio rouge dont la conductrice qui, après lui avoir délivré un message, s'enfuit, tout comme est bizarre l'hôtel où il est descendu.

Pendant quatre jours, cet ingénieur solitaire, mu par une sorte d'attraction incontrôlable, va donc arpenter la zone avec la sensation d'être prisonnier d'un champ magnétique étanche, sa mission perturbée par une série de troubles sensoriels et psychiques faisant naître chez lui des visions étranges. le réel se dérobe autour de lui et tout vacille jusqu'à sa propre raison…

Ce récit est entrecoupé de bribes du passé avec notamment l'engloutissement de ce village aux habitants peu convaincus de la pertinence de leur sacrifice.

Si j'ai été un peu moins réceptive au présent assez fantasmé, j'ai beaucoup apprécié les retours dans le passé et le rappel de cette construction du barrage de Seyvoz – barrage de Tignes en Savoie, dans la réalité.

La description du village, de la vallée et de ses habitants dans les années cinquante est particulièrement réussie et rend parfaitement compte du séisme que cela a été pour eux de devoir abandonner leur lieu de vie. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir tenté de résister !

On assiste vraiment à un combat inégal, le pot de fer contre le pot de terre, et, en avril 1952, les derniers habitants doivent quitter leur village ; ayant décidé, pour garder un lien avec l'histoire, de reproduire l'ancienne église à l'identique, ils procèdent alors à l'évacuation de leur église.

Difficile de ne pas être saisi lors de l'exhumation du cimetière à quelques jours de l'engloutissement, et en phase avec ces villageois outrés que l'on vienne déterrer leurs morts.

Une évacuation particulièrement violente marque les esprits d'alors et ce jusqu'à nos jours.

Quant au barrage lui-même, le plus haut d'Europe à l'époque, Maylis de Kerangal et Joy Sorman, racontent avec précision la construction de cet ouvrage pharaonique, l'appel à main d'oeuvre et les conditions de travail dantesques, sans oublier ceux qui ont y ont laissé leur peau, certains, avalés par ce mur gigantesque, les comparant à ces habitants de Pompéi, « ces vies solidifiées qui ne redeviendront jamais poussière. »

Elles n'omettent pas de signaler que les dangereuses conditions de travail et la volonté de faire vite ont coûté la vie à 52 ouvriers.

Le barrage fermant désormais leur vallée et allant être mis en eau, noyant leur village et leurs pâturages, c'est avec beaucoup de tristesse qu'on assiste impuissants, aux côtés des villageois au dynamitage de leurs maisons et à leur violente évacuation.

Seyvoz, bien qu'écrit par deux auteures, Maylis de Kerandal et Joy Sorman, est un roman singulier car elles ont su unir leurs voix et leur talent pour créer un roman richement documenté, d'une grande sensibilité, mélangeant savamment réel et imaginaire, ce dernier pouvant parfois prendre le pas sur la réalité.

C'est à la suite d'une proposition faite par le collectif d'auteurs, Inculte, dont la marque de fabrique est le livre collectif, que nos deux écrivaines ont relevé le défi d'écrire à quatre mains : un défi que je qualifierais de particulièrement réussi !


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Naissance d'un pont

Après avoir beaucoup aimé Réparer les vivants et Un monde à portée de main, j'avais très envie de remonter le temps pour découvrir un roman qui compte dans la bibliographie de Maylis de Kerangal : Naissance d'un pont, livre paru en 2010 et couronné de deux prix, le Médicis et le prix Franz-Hessel qui lui assurait aussitôt d'être traduit en allemand.



Autant le dire tout de suite, je n'ai pas été déçu car j'ai retrouvé tout ce qui fait la valeur du style de l'auteure, un verbe riche, un phrasé abondant avec des phrases souvent un peu longues mais tellement prenantes et informatives que le plaisir est complet.

Naissance d'un pont est une histoire complexe avec plusieurs destins et des personnages qui se croisent, s'évitent, s'aiment, se détestent, s'agressent… Maylis de Kerangal démontre une maîtrise impressionnante de son sujet, comme elle l'a fait pour les deux autres romans cités plus haut. Elle relie chacun à son passé, à ses traumatismes, à ses souvenirs bons ou mauvais. Elle m'a fait vivre dans ce chantier aux proportions extraordinaires, chantier voulu par un élu mégalomane.

Dans ce roman, elle ne cache rien des problèmes, des dégâts causés sur la nature, sur les peuples vivant là depuis longtemps, ces Indiens qu'on a tant massacrés, niant toute leur culture. Elle lance beaucoup de pistes, ne va pas au bout de toutes mais cela donne un roman qui m'a captivé de bout en bout grâce à une tension réelle devant les menaces qui pèsent sur le déroulement du chantier. Même si parfois j'ai trouvé qu'elle en faisait un peu trop, je me suis gorgé de vocabulaire, de descriptions infiniment détaillées et d'aventures humaines étonnantes.

Ayant choisi un lieu imaginaire en Californie, une ville qu'elle appelle Coca…, il n'y a pas à chercher où cela peut bien se passer. de tels chantiers gigantesques se déroulent ou se sont déroulés un peu partout dans le monde, causant des dégâts irrémédiables à l'environnement au nom d'un progrès de plus en plus contesté.

J'ajoute enfin deux petits reproches : tout d'abord à l'éditeur qui place en couverture la photo d'un pont en chantier mais ce n'est pas un pont suspendu comme dans le livre – par contre, pour l'édition poche, rectification, on a mis un gros plan d'un ouvrier en plein travail, travail si bien décrit par l'auteure dans son roman.





Enfin, je regrette que, dans son érudition, Maylis de Kerangal ait oublié de parler de l'inventeur du pont suspendu, l'Ardéchois Marc Seguin, né à Annonay en 1786 et mort dans cette même ville en 1875, à 88 ans. Il était le petit-neveu de Joseph de Montgolfier. En 1822, il a réalisé le premier pont suspendu sur la Cance et, trois ans après, c'est à Tournon-sur-Rhône qu'il a fait construire le premier grand pont suspendu. Dommage, ces rappels auraient donné encore plus d'allure aux précisions techniques très intéressantes présentes dans le livre.


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Un monde à portée de main

Pendant deux ans après un bac terne, Paula a trainassé, d'une année de latence en droit à une prépa aux écoles d'art. Puis déterminée, elle a annoncé à ses parents : « Je vais apprendre les techniques du trompe-l'oeil, l'art de l'illusion » à l'Institut de la rue du Métal à Bruxelles - parcours chaotique de nombreux jeunes qui cherchent parfois longuement leur voie avant de parvenir à « secouer leur vie ».



Pour une fois, Maylis de Kerangal centre son roman autour d'une jeune femme, Paula, qui partage amitié avec Kate et colocation avec Jonas.

De leurs années d'école à leurs premiers apprentissages puis jobs, le récit dépeint avec justesse et émotion le quotidien, les doutes et les joies de jeunes étudiants artistes d'aujourd'hui. De Paris, Moscou, au fac similé de la grotte de Lascaux, en passant par les studios de Cinecitta, la variété de leurs expériences cadence le roman, évite toute chute de rythme, tout en instruisant le lecteur sur l’art subtil du trompe-l’œil.



Voilà pour le décor. La réalisation du tableau étant confiée à Maylis de Kerangal, le résultat au terme de 285 pages est époustouflant. Qu'il s'agisse du style, du choix extrêmement précis des mots, de leurs associations souvent si originales, de la qualité de la documentation, jusqu'au nom de l'héroïne Paula Karst dont je vous laisse découvrir la signification au terme du roman si vous ne la connaissez pas, tout semble ici magistralement maitrisé.

J'ai retrouvé avec jubilation le talent intact de l'auteur de Réparer les vivants : une intrigue resserrée autour d'un thème, une écriture précise et cadencée qui énonce autant qu'elle suggère. En résumé : une oeuvre de fiction originale et très réussie !



« Le trompe-l'oeil est la rencontre d'une peinture et d'un regard, il est conçu pour un point de vue particulier et se définit par l'effet qu'il est sensé produire. »

Remplacer le mot trompe-l'oeil par le mot roman et laisser agir l'effet de l'illusion...un monde est à portée de main.

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Réparer les vivants

Il y a des livres dont on sait qu'on les rencontrera un jour. On a entendu le bruit qui a été fait à leur sortie, on a senti le vent du succès à observer les palmarès des prix littéraires, on a aperçu les informations sur leur adaptation ciné. On s'est tenu le plus éloigné possible des résumés parce qu'on avait envie de découvrir l'histoire par nous même. On sait qu'il s'agit de médecine, le titre nous le confirme. On espère qu'il y aura suffisamment d'originalité pour que ce soit une belle rencontre d'auteure en plus d'être une lecture unique intéressante.



Alors quand un ou deux critères de challenges nous placent le livre sur notre chemin, on n'hésite plus, on sait que le moment est venu... et quelle joie parce qu'on est pas déçu. Le style de Maylis de Kerangal est particulier, il en a dérouté certains et a d'ailleurs amené certaines critiques moins enthousiastes. J'aime les voix littéraires étranges, chemins de traverse, surtout quand elles ne sont pas juste exercices de style mais ont vocation à retranscrire le réel ou en tout cas un réel, volonté de sincérité, recherche de l'émotion, pas pour faire pleurer dans les chaumières (même si l'effet a été atteint chez moi et ils ne sont pas si nombreux les livres qui me tirent une vraie larme) mais parce que certains sujets ne peuvent faire l'économie des larmes. Ici l'auteure mélange langage jeune, néologismes, envolées poétiques, descriptions techniques, les accole les uns aux autres, dans un fouillis finalement artistique. Apparemment c'est la patte de l'auteure, je ne sais pas si cela était particulièrement adapté à ses autres sujets, mais ici c'est très juste.



En effet, le sujet c'est la greffe d'organe. Et dans la greffe il y a très souvent la jeunesse, parce que les candidats donneurs d'organe sont malheureusement le plus souvent les jeunes victimes d'accident. Dans la greffe, il y a aussi la médecine et dans sa partie la plus technique, car elle est ici nécessairement au maximum de ses capacités, on demande aux médecins d'être des apprentis Frankenstein. La greffe, c'est éminemment poétique, parce qu'il est question de vie et de mort, de deuil, d'humanité, de sentiments. Le style de l'auteure est donc parfait pour décrire ce mélange baroque de courants qui ne devraient pas pouvoir se rencontrer et qui nécessite donc d'inventer de nouvelles formes pour en rendre compte.



Pour rendre ce mélange de technicité et d'humanité, l'auteure adapte intelligemment sa narration. Elle ne nous épargne aucun détail technique, mais s'intéresse également en profondeur à tous les protagonistes humains: parents du donneur, professionnels de toutes spécialités (anesthésistes, chirurgiens, infirmière, coordonnateur du service des greffes, receveur et sa famille). Elle n'est pas économe en digressions, évoquant la passion d'un soignant pour le chant ou les aventures d'une nuit d'une infirmière. Là encore certaines critiques le lui reprochent mais cela m'a permis de mon côté de ressentir tout ce qu'il y a d'humanité engagée dans ce processus, au delà des gestes techniques précis nécessaires. Toutes ces personnes qui interviennent dans cette aventure extraordinaire de la greffe ne sont pas des pantins désincarnés, ce sont des hommes et des femmes à part entière, nourris de tout ce qu'ils sont quand ils ne sont pas médecins, de leurs emportements, de leurs engouements, de leur complexité. J'ai également beaucoup aimé la façon de parsemer tout le livre de clins d'oeil anatomiques, les organes sont présents même de façon incongrue, les moments sont disséqués pour découvrir ce qui se cache sous la surface, comme une opération se rejouant tout au long du récit.



J'étais déjà personnellement convaincu par la nécessité du don d'organes, et ai profité de la lecture pour réaffirmer à ma femme mon accord plein et entier si jamais les circonstances devaient le nécessiter. Cette lecture n'aura fait que me conforter dans mon choix, avec la prouesse particulière de le faire en n'omettant aucunement la douleur et la difficulté pour les familles à se positionner face à ce choix. La première partie du livre se concentre majoritairement sur ce moment de la décision ou non d'accepter, revient sur les avancées législatives tout en l'opposant à la nécessité impérative du respect des volontés de chacun et de l'accompagnement tout en bienveillance des parents. Ce livre milite sans en donner l'impression, juste en décrivant une réalité, sans jugement de valeur ni grandes envolées moralisatrices. Que Mme de Kerangal en soit grandement remerciée.



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Kiruna

Un sujet insolite, un style charnel, Kiruna est un tout petit livre qui parle d'une chose impressionnante, la plus grande mine de fer du monde, dans un territoire au nord de la Suède, en Laponie.

De Kerangal s'y rend dans le cadre des résidences “mineurs d'un autre monde “.

À sa suite, nous atterrissons en pleine nuit à l'aéroport international de Kiruna. S’en suit alors une visite guidée des lieux actuels et de l'histoire d'une mine à ciel ouvert devenue souterraine en 1965, et au réseau routier souterrain le plus important du monde, 400 km. Mais, ne pouvant franchir le seuil au-delà du Musée de la mine, sécurité oblige, confidentialité, l'écrivaine est forcée à “arpenter la surface, imaginer le fond”, de ce corps vivant actif 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an.



De Kerangal a majestueusement relevé le défit de traiter un sujet très vaste à grande connotation humaine sur 146 pages d'un petit format 11x15.

De ce lieu politique et social que l'homme a transformé en un monstre qui menace de tout engloutir peu à peu, elle en palpe toutes les dimensions à l'échelle humaine, sous forme de petits paragraphes, tels des nouvelles, nous donnant à réfléchir sur l'avenir de l'équilibre écologique de la région. D'Alice la jeune géologue française qui semble y avoir trouvé son bonheur, aux émigrés Érythréens qui célèbrent leurs fêtes dans l'église de Kiruna, de Lars jeune responsable des relations publiques de la mine qui n'a pas voulu quitter son lieu de naissance, aux cuisinières d'un temps , les premières femmes de la colonie minière, elle nous esquisse un monde vibrant de vie et d'émotion sous le froid polaire du Grand Nord.



Un petit livre, un grand voyage ! Superbe !
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Réparer les vivants

Dès que j’ai appris l’existence de ce livre de Maylis de Kerangal, que je ne connaissais pas auparavant, je l’ai immédiatement noté dans mes prochains ouvrages à acheter et bien sûr à lire.

Comme certains d’entre-vous le savent, je me suis senti tout de suite concerné, ayant bénéficié d’une transplantation cardiaque (Ce qui me donne le temps de lire). Il fallait que je le lise ! Cette situation est toujours un peu dangereuse en termes d’objectivité, car on attend beaucoup de ces lectures impliquantes, et on ne les trouve pas toujours au niveau souhaité. Je me suis donc prémuni de cela en laissant l’auteur me délivrer son message, sans trop attendre en fonction de ma situation personnelle.

On démarre par une surprenante et excellente description des moments vécus par des surfeurs . On arrive très vite à être « dedans », même sans être jamais monté sur une planche. (C’est du vécu…)

Et on s’aperçoit au fur et à mesure de la lecture que ce roman (ou témoignage) écrit par une femme (d’où peut-être la sensibilité que l’on décèle en permanence ?) propose des analyses de sentiments, de ressenti, par exemple lors de l’annonce aux parents de la possibilité de dons d’organes, très fines et très fouillées. Et pourtant, dans ce qui pourrait être du mélo, il y a du rythme. (p 198)

Il faut noter également la description du travail psychologique de l’infirmier coordinateur. D’ailleurs tous ces intervenants, de l’infirmier au chirurgien, même épuisés, crevés vont mener un travail psychologique non pas pour manipuler et obtenir coûte que coûte une décision, mais pour accompagner la réflexion de chacun dans ce processus difficile qu’est l’acceptation de la mort d’abord, du don ensuite.

Pour autant, on n’est pas dans l’univers des Bisounours, et la rivalité entre les différentes équipes est bien réelle et bien traduite dans ce livre. Paradoxalement, tout le monde poursuit le même objectif et est capable de sacrifices pour les atteindre, mais ne peut passer au-dessus des vieilles lunes de l’hôpital, ni des rivalités, au-delà des personnes, entre les services.

En ce qui concerne le fond, une petite remarque, intégrant beaucoup de discussions avec des « greffés » rencontrés pendant les journées de suivi, quand, en tant que receveur potentiel, on vous annonce qu’un greffon compatible est disponible pour vous, on ne se dit pas toujours « Je suis sauvé ! » mais « Zut, ça y-est ! ». On est au-pied du mur, le doute et la peur s’installent.

Un autre thème est abordé également sur lequel l’auteur nous conduit sans prendre position, c’est le « cœur comme dépositaire de l’amour » dans les croyances ancestrales. D’où les questions qui s’amorcent sur ce que deviendront les sentiments qu’avaient le donneur et le receveur. On voit comment il est difficile de sortir de l’affectif pour parler d’un simple organe indispensable à la vie.

Sur le style, l’écriture est très bien maîtrisée, avec des rythmes très différenciés, des phrases sensibles, mais aussi des phrases qui n’en finissent pas, et qui maintiennent le lecteur dans un rythme captivant. Quelque-chose cependant m’a un peu dérouté dans l’écriture, et qui ne me semble pas apporter grand-chose : Il s’agit de la formalisation des dialogues comme dans un mauvais langage parlé, avec le rejet du verbe tout à la fin de la phrase. Exemples :

« Tu n’es pas drôle, tu sais, son plus jeune fils murmure » (p 211)

« C’est le genre de nana qui débarque en touriste et croit que le pognon pousse dans les arbres il pensa, irrité »

On est presque dans la télé réalité. Mais cela reste un détail !

J’avais en fait beaucoup de choses à dire sur ce livre, ce qui est en général bon signe. C’est en effet un très beau livre, sensible, juste, clair, qui aborde avec intelligence et réflexion un sujet essentiel. Que l’on soit ou non concerné, il faut lire ce bouquin, le partager, en parler en famille, entre amis, au travail et agir en connaissance de cause.

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Corniche Kennedy

Un p’tit ‘Maylis’ d’avertissement pour de Kerangal sinon à quoi bon opiner du chef si la Micheline est contrariée.

Il s’en est fallu de peu que je décroche. Que je butasse sur une écriture tortueuse et compliquée. Que je fisse moi-même un saut à la plage, sportive, plongeuse et bonne nageuse. Un long démarrage pour une fin abrupte. Discordances : « des baskets qui résonnent sur les rochers », on cherche le sujet, on revient en arrière... qui-dit-quoi-fait-quoi ? Une prosodie en dissonance, une rigidité et un manque d’harmonie qui s’opposent à la toute grande souveraineté du lecteur qui trépigne et s’impatiente pour finalement se caler dans un fauteuil et entrer dans la ronde ; une danse des mots dans un quadrille exigeant. Parce que la trame est bonne et vous emporte sur la ‘plate’ cet espace privilégié de la corniche Kennedy pour plongeurs émérites. S’ensuit alors, à titre de prévention, une traque effrénée dont le leitmotiv transmis par les autorités se situe à : « tolérance zéro ». Un objectif risqué qui a bien failli mener à trépas toute cette flamboyante jeunesse. Monsieur le Maire veut contrer de mauvaises statistiques et donne des ordres stricts à son subalterne, le commissaire Sylvestre Opéra. Un chef d’orchestre humaniste qui connaît bien son monde et se heurte à ses propensions, un arrière-goût de sa prime jeunesse...

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Réparer les vivants

Le soleil n'est pas encore levé lorsque le réveil de Simon affiche ses chiffres vert luminescents 5:50. Il a tout juste 19 ans et ne vit que pour sa passion, le surf. Un van avec des autocollants de filles en bikini, deux potes même passion, un disque de Nirvana dans l'autoradio, oublier les fumées du pétard de la veille, prendre la vague même avec une eau ne dépassant pas les 10°. le froid, l'engourdissement des doigts, il est temps de rentrer se coucher de nouveau. Remonter dans le van, les yeux encore dans le rêve, le sommeil dans la tête, et Simon à l'avant entre ses deux potes. La place sans ceinture. Simon passe par le pare-brise, urgences et coma irréversible.



Simon est vivant, son coeur bat encore. Comment le déclarer mort ? Comment admettre l'impensable, l'inimaginable pour un parent, voir son fils mort… Mais puisque son coeur bat encore !! Je vois bien les impulsions sinusoïdales sur l'écran de contrôle… Admettre la situation et penser à la suite.



La suite c'est faire le deuil d'un fils disparu. Mais avant…



« Enterrer les morts et réparer les vivants. »



Convaincre la famille que Simon est mort pour mieux réfléchir à l'après. Savoir ce que Simon aurait aimé faire, donner. Donner ses organes, son foie, ses reins, son coeur aussi. Non pas ses yeux, on ne touche pas à ses yeux. Il y a l'âme dans les yeux. Malgré le sujet, tristesse et désespoir, j'ai adoré cette première partie du roman. L'accident, les conséquences et surtout le questionnement de ces parents. La froideur aussi du médecin qui est là justement pour apporter cette nuance d'émotions dans la vie de ces deux parents qui s'étaient éloignés l'un de l'autre. le chirurgien doit maîtriser ses sentiments, faire abstraction de la vie et mort du patient pour justement faire que les deux parents se détachent petit à petit non pas de Simon mais de son enveloppe. Leur proposer un don d'organe, leur expliquer le processus, leur donner le choix. Il s'effacera devant leur choix. Car il est bien question de choix. Et non pas celui que eux, les parents de Simon feraient, mais bien celui que Simon aurait aimé faire.



Le dernier tiers du roman où la greffe de coeur est actée m'a moins emballé, comme si la greffe du coeur avec une nouvelle vie avait du mal à prendre. Mon seul bémol à ce beau roman qui me faisait un peu peur au début (beurk une histoire de coeur). Mais je l'ai avant tout lu pour la prose de Maylis de Kerangal. Mon second roman de l'auteure que je lis et sa plume me subjugue. J'adore la façon dont elle insuffle du rythme et de l'énergie même face à la mort avec ses phrases, longues, interminables, des virgules et des virgules, des phrases qui s'étirent sur des pages, laissant à peine le temps de reprendre sa respiration entre deux virgules, à peine un point-virgule, comme si je restais en apnée sous la vague, attendant son déferlement qui ma ramènera complètement éreinté sur le bord de la plage.



« C'est sombre à l'intérieur, empreintes de dérives nocturnes, émanations de cendre refroidie. Bashung. Voleur d'amphores au fond des criques. »
Lien : http://memoiresdebison.blogs..
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Réparer les vivants

Le jour n'est pas encore levé en ce dimanche matin hivernal. Pourtant, Simon Limbres quittera le lit douillet et la chaleur du corps de Juliette à ses côtés quand l'alarme du portable retentira dans la chambre. Chris, Johan et Simon, les trois Caballeros, se sont donné rendez-vous pour une session, à savoir profiter de la forte marée, trouver la vague comme on n'en rencontre que deux ou trois dans l'année. La mer est comme ils l'espéraient, le plaisir se fait sentir au contact de cette mer si froide et les sensations fortes font palpiter le cœur des jeunes garçons. Mais, au retour, la fatigue aidant, Chris qui conduisait le van n'a pas pris correctement un virage. Et, c'est le choc. Un poteau, pas d'airbag, pas de ceinture pour Simon qui se retrouve éjecté, son crâne ayant heurté le pare-brise. Les secours arrivent, désincarcèrent les corps et prennent la direction de l'hôpital au service de réanimation où le docteur Révol prend son service. Malheureusement, il est déjà trop tard pour Simon. Mort cérébrale. Le diagnostic est sans appel. Il faudra prévenir les parents, la famille mais surtout aborder un sujet épineux et ô combien brutal pour quiconque n'envisage évidemment pas la mort si violente et cruelle de son enfant de 19 ans à savoir le don d'organe.



Avec un sujet aussi difficile à aborder mais ô combien salutaire, Maylis De Kerangal nous interpelle, nous émeut et nous touche droit au cœur. La mort est là, insidieuse, impromptue et cruelle. Et au-delà, il y l'espoir d'une vie sauvée, d'une vie meilleure qui ne sera plus rythmée par l'attente de l'appel de l'hôpital. Autour de Simon gravitent les médecins, les infirmières, les encadrants ou bien les chirurgiens. Comme pour alléger le propos, l'auteur s'attarde sur leurs vies, sur leurs petits soucis du quotidien, que ce soit le résultat d'un match de foot ou l'attente d'un message de l'homme rencontré fougueusement la nuit précédente. Chaque personnage est ancré dans l'opération et joue son rôle magistralement.

Retenez votre souffle car l'auteur ne nous laisse aucun répit. En effet, on admire ici l'effet de style avec ces phrases interminables mais terriblement poétiques et tout en légèreté. Le lecteur est ainsi pris dans un tourbillon. Les descriptions médicales minutieuses, loin d'être ennuyeuses, nous entraînent encore plus au cœur de l'opération.

Maylis De Kerangal nous offre un roman poignant, tout en délicatesse et porteur de vie.



Réparer les vivants... et faire son deuil...
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