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Critiques de Roland Barthes (184)
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Le Degré zéro de l'écriture, suivi de Nouveaux es..

Voulant faire du tri dans ma bibliothèque, j'ai exhumé cet ouvrage que j'avais du acheter lorsque j'étais étudiante. Que ma lecture a été laborieuse! Au point que j'ai abandonné, ce qui m'arrive rarement. Une lecture à réserver je pense à un public de spécialistes et d'universitaires. Sans doute trop exigeante pour moi qui ne cherchait qu'à enrichir ma réflexion et ma culture générale. Et le plus triste d'après moi, c'est que les analyses que Barthes fait des auteurs et de leurs oeuvres ne m'a donné aucune envie de les lire!
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Fragments d'un discours amoureux

La langue grecque ancienne avait une manne de mots pour désigner les variations de l’amour. Si vous vouliez jaser sur la passion et l’attirance physique, il suffisait de fouiller dans le réservoir des vocables de l’époque et de sortir Éros. Les sentiments d’amitié, quant à eux, étaient synonyme de Philia tandis que Agapé désignait l’amour désintéressé, le vrai, l’inconditionnel ! Ainsi, on dénombre plus de huit noms grecs pour évoquer l’amour dans toute sa diversité.



Deux millénaires et des poussières plus tard, le champ lexical amoureux s’est étonnement transformé en une foultitude de néologismes : polyamour, sapiosexuel, liker, matcher, sexting, etc. Ces nouveaux mots (déjà démodés ?) en disent long sur notre manière de voir l’amour au XXIème siècle. Nous sommes libérés et emprisonnés à la fois. L’union libre a la cote mais les personnes ne sont jamais senties aussi seules. Nous arborons nos préférences tels des étendards avec l’intention d’être, chacun, pleinement soi mais ces fanions sont aussitôt récupérés à des fins mercantiles qui, bien souvent, nous échappent. Tel est le paradoxe de notre époque.



En 1977, paraissait Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Un essai singulier sur les ressentis de l’être amoureux. Sans doute, ce livre, a-t-il encore des choses à nous apprendre au sujet de l’amour ? Analyse.



Tout livre repose d’abord sur une structure plus ou moins définie et celui-ci ne déroge pas à la règle puisqu’il en a une tout à fait particulière. Tel un abécédaire, Roland Barthes a choisi de s’épancher sur le langage amoureux au travers de mots-clés qu’il appelle des figures. Chacune d’entre elles a son propre chapitre, lui-même agencé d’une manière originale puisque l’auteur définit une figure avant de partir dans des réflexions tous azimuts qui prennent pour point de départ une œuvre littéraire, une philosophie, un poème, une sociologie ou simplement une conversation intime de l’entourage de l’auteur. Cela peut paraître foutraque à première vue mais Roland Barthes cite ses sources de réflexion directement dans la marge ! Ainsi, le lecteur suit les pérégrinations de l’auteur tout en sachant directement à quoi elles se rapportent.



Il faut, certes, avoir un minimum de connaissances pour que chaque réflexion fasse sens puisque Barthes n’hésite pas à aller voir du côté de Goethe, Baudelaire, la philosophie Zen, Freud, Lacan ou encore Buñuel afin d’expliciter son propos. Fragments d’un discours amoureux est une œuvre dense, et c’est sans doute l’originalité de sa structure qui la rend plus digeste.



Le discours ?



Toute personne ayant déjà été amoureuse sait que les effets de ce sentiment sont tel un feu d’artifice pour l’esprit et le corps. Être amoureux, c’est expérimenter des chamboulements intérieurs ; à partir d’un presque rien, vous voilà lancé à toute vitesse sur les montagnes russes des émotions. Et c’est à ce moment précis que Roland Barthes approche sa loupe et passe en revue la manière dont la personne amoureuse est ébranlée.



Nous avons beau nous sentir plus évolués que nos prédécesseurs et scander que l’amour a changé de forme, la mécanique amoureuse, elle, reste identique. Rencontre, magie, déréalité, ravissement, ou encore jalousie sont autant de fragments que l’auteur passe au filtre d’une analyse qui fait mouche :



“ En pleurant, je veux impressionner quelqu’un, faire pression sur lui (“ Vois ce que tu fais de moi “). Ce peut être — et c’est communément — l’autre que l’on contraint ainsi à assumer ouvertement sa commisération ou son insensibilité ; mais ce peut être aussi à moi-même : je me fais pleurer, pour me prouver que ma douleur n’est pas une illusion : les larmes sont des signes, et non des expressions. Par mes larmes, je raconte une histoire, je produis un mythe de la douleur, et dès lors je m’en accommode : je puis vivre avec elle, parce que, en pleurant, je me donne un interlocuteur emphatique qui recueille le plus “vrai” des messages, celui de mon corps, non celui de ma langue : “ Les paroles, que sont-elles ? Une larme en dira plus. “



Si Fragments d’un discours amoureux devait être classé dans une catégorie de livres, il serait assurément sur l’étagère des essais psychologiques puisque Barthes fait souvent appel à cette discipline pour expliquer les différents phénomènes qui bouleversent la personne amoureuse.



En conclusion, cet ouvrage, loin d’être périmé, continue d’apporter un éclairage sur le fait amoureux. Il se lit tel un abécédaire dans lequel on irait piocher ce qui nous intéresse au gré de nos envies. Après l’avoir lu une première fois, il y a plus de dix ans, je suis toujours aussi surpris de l’acuité avec laquelle Roland Barthes décrypte l’être amoureux. Un classique qui se déguste mieux au fur et à mesure que les années passent.
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Roland Barthes par Roland Barthes

Chef d'oeuvre absolu : ce livre a changé ma vie. je l'ai lu à sa sortie et j'avais 18 ans. Il m'a permis d'oser explorer mes possibles. Roland Barthes s'expose et nous expose dans toute la complexité de la vie. Une clef pour toute son oeuvre qu'il faut dévorer pour s'ouvrir de multiples horizons littéraires et artistique. Ce livre est un sésame pour accéder aux beautés multiples et multiformes de l'art.
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Mythologies

Cette note correspond à ma proportion de lisible ; disserter avec talent sur les objets cultes de cette fin des années cinquante c’est plaisant même plus que plaisant quand on a vécu cette période en culottes courtes. Mes préférés : la DS 19, notre voiture familiale en son temps, le tour de France un immortel, le vin, le bifteck et les frites.

Par contre tout le blabla sur la mythologie c’est incompréhensible, genre langage sectaire des cours de pédagogie, de psychologie ou autre secte. Le grand vide ; comme si je déchiffrais sans rien comprendre. L’horreur ! Ce qui est le plus fantastique c’est de penser que de gens comprennent tout ça ; une belle leçon d’humilité. Mais comme je n’avais pas pu finir « fragments d’un discours amoureux « du même auteur je me suis accroché et j’ai réussi. Mais est- ce bien ça la lecture ?

Il nous faudrait un nouveau Barthes, puisqu’il s’est fait écrasé bêtement par une camionnette de blanchisserie en traversant la rue des Ecoles. Mais il aurait 105 ans. Car les nouveaux mythes sont là : le jean, le T-shirt, les baskets, la pizza et bien d’autres.

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Fragments d'un discours amoureux

Un livre dont j'avais, forcément, beaucoup entendu parler en classe préparatoire littéraire, mais que je ne découvre véritablement que maintenant - la khâgne apprendrait-elle à parler de livres que l'on n'a pas lus... ?

Il me manque donc peut-être désormais certaines bases pour comprendre la démarche de l'auteur, je n'avais jamais vraiment lu et étudié un ouvrage de sémiologie et de linguistique auparavant. Et j'avoue que les trois premières pages où l'auteur expose son propos, entre mots en grec ancien non traduit, citations savantes et figures de style dont j'avais un peu oublié le nom, a commencé par me rebuter. Mais cette préface aurait presque dû être placée à la fin, j'aurais mieux compris le principe.

Heureusement, la lecture du coeur de l'ouvrage s'est révélée bien plus facile que son début. Même si, contrairement à ce que l'auteur recommande, j'ai lu des étapes d'une histoire, celle du Narrateur et de X, mais aussi des étapes de ma - ou de mes - propre histoire d'amour. Ni le Je, ni le X ne sont vraiment sexualisés ou genrés. Alors, certes, ce n'était surement pas le but de l'auteur, mais on peut y lire aujourd'hui une volonté d'inclusivité, en tant que femme je peux m'identifier. En effet, à chaque situation, je me demandais ce que moi je disais, aurais dit ou dirait, mais surtout quelles références j'aurais employées.

Car c'est ce que j'ai apprécié : l'auteur le dit bien, chacun peut s'approprier en quelque sorte la démarche, en utilisant ses propres références. Par exemple, je ne connais Werther que de réputation - ce qui m'a donné d'ailleurs envie de le lire, mais pour parler d'amour, je convoquerai dans ma carte du tendre personnelle la poésie - à laquelle Barthes renvoie peu, et surtout Stendhal, avec ses romans et sa théorie de la cristallisation - pour moi, le grand théoricien de l'amour. Je ne comprends pas son absence d'ailleurs. En revanche, alors que je ne connais absolument rien à la psychanalyse, j'ai trouvé que l'auteur y faisait de nombreuses références, semblant avoir manifestement une relation fusionnelle mais complexe avec sa propre mère.

Une oeuvre stimulante donc, qui fait réfléchir sur son comportement et sur ses références culturelles, même si je m'interroge encore sur la démarche et sur les procédés, entre recueil de citations littéraires et psychanalytiques, forme d'auto-biographie déguisée ou au moins de sélection de ses oeuvres favorites.
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Le plaisir du texte

Un essai sur le plaisir de la lecture et du mot ? Moi, je dis oui !

C’est le propos de ce court essai.



La jouissance des lettres est un bonheur. Ce constat, enrobé dans la langue de Barthes, est effectivement un bon moment de lecture où « le babil du texte est l’écume du langage », où il nous parle du « ruban d’infralangue ». J’aime me laisser emporter par ses mots, charmer par leur musique ultra savante m’expliquant une notion finalement assez simple.
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Fragments d'un discours amoureux

Cet alphabet de l’Amour universel est hallucinant. Une pénétration dans le cœur de l’Amoureux.euse carrément vertigineuse. La plume demande de s’accrocher car très philosophique, mais c’est genre le meilleur mal de crâne ever.

Un chef-d’œuvre que je re-consulterai souvent !
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Mythologies

Ouvrage daté et Ultra moderne a la fois.



Les exemples choisis de la première partie ne peuvent être parlant qu'à de vieux croutons dans mon genre.



La deuxième, plus théorique , qui ressemble a un raidillon en vélo à monter en danseuse, demande de prendre quelques notes de lecture quand on n'est pas familier des notions exposées. C' est simplement un manuel de la fake news, parfaitement d'actualité ....



J'ai remarqué la référence à le Pen ( le père jeune ), déjà ....

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Fragments d'un discours amoureux

« Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre »



Texte inclassable, Fragments d’un discours amoureux se divise en 17 parties, chacune décryptant un mot-clé du point de vue de l’individu amoureux. Roland Barthes ne prétend pas établir ici une sorte de philosophie de l’amour, mais donner la parole à l’amoureux, établir le profil de l’amoureux à partir de ses propres observations et expériences personnelles mais également à partir de ses lectures. En effet, le texte contient énormément de références littéraires, philosophiques et psychanalytiques (Goethe, Platon, Proust, Balzac, Stendhal, Freud…), qui viennent illustrer les dires de l’auteur.



« A chaque instant de la rencontre, je découvre dans l'autre un autre moi-même »



J’ai bien aimé cette lecture, j’y ai trouvé de belles réflexions ; mais elle ne m’a pas particulièrement touchée. Globalement, je suis passée à côté du profil amoureux décrit, certains comportements m’ont d’ailleurs paru exagérés, purement fictifs (cela rejoint la sensation éprouvée lors de ma lecture du roman Les souffrances de Werther, de Goethe).



« Et, longtemps après que la relation amoureuse s'est apaisée, je garde l'habitude d'halluciner l'être que j'ai aimé : parfois, je m'angoisse encore d'un téléphone qui tarde, et, à chaque importun, je crois reconnaître la voix que j'aimais : je suis un mutilé qui continue d'avoir mal à sa jambe amputée »



J’ai néanmoins passé un bon moment de lecture, mais ce texte n’a pas révolutionné ma façon de penser ni de percevoir l’amour, que ce soit dans la réalité ou dans la littérature.
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La Chambre claire : Note sur la photographie

"La Chambre claire. Note sur la photographie" de Roland Barthes est un essai lyrique, genre dans lequel Barthes n'a pas d'égal. Spécialiste éminent de la sémiologie française, il développe ici ses thèmes de prédilection: la philosophie de la perception et l'émergence de l’intime.



Contrairement à Susan Sontag ou à Pierre Bourdieu, Barthes ne s'intéresse pas au phénomène sous son aspect sociologique ou anthropologique. Il est indifférent aux processus historiques. Ce qui est au centre de son attention est l'observation de sa propre réaction à un stimulus culturel.



Barthes distingue les effets de la photographie en tant qu'art sur le récepteur: ces effets peuvent se manifester dans un contexte historique et universel (Studium), lorsque la photo nous intéresse pour son arrière-plan culturel et social, ou dans le contexte d’associations personnelles, intimes (Punctum), lorsque certains détails de la photo trouvent leur concordance dans nos émotions, lorsqu’ils nous «blessent».



C'est le deuxième aspect de l'impact de la photographie que Barthes explore le plus. Car il met l'accent sur ce que j'appellerais la "valeur sentimentale" de la photo au détriment de sa valeur intellectuelle.



Roland Barthes est toujours resté fidèle à lu-même, son raisonnement était caractérisé par sa subtilité et son originalité. Le lyrisme de son approche lui permettait d’éviter l’ennui du discours didactique d’un Sartre. "La Chambre claire. Note sur la photographie"est, tout comme"Fragments d'un discours amoureux », de l’excellente littérature qui n’entre pas dans le cadre étroit de l'essai journalistique. Dans le cas de Barthes, le discours est toujours aussi un « cœur nu ».

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Essais critiques, tome 4 : Le bruissement d..

C'est le seul livre de Barthes que j'ai lu, un peu par hasard, Il rassemble des écrits assez courts le plus souvent de Barthes entre 1964 et 1980. Je n'ai pas tout lu, n'étant ni linguiste ni impliqué dans l'enseignement du français. Et pourtant, malgré son abord un peu difficile, il aborde des thèmes passionnants pour qui s'intéresse à la littérature et à l'histoire: les rapports entre science et littérature, entre auteur et lecteur '"la mort de l'auteur") la question de l'effet de réel, ses réflexions sur Proust, Brecht, Michelet,et même Brillat-Savarin, ses interrogations multiples, je cite en vrac quelques unes: sur la musique du sens, sur l'image et notamment filmique , sur le tutoiement etc... tout cela est extrêment stimulant.
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Journal de deuil

Au pays de : « Du 26 octobre 1977, lendemain de la mort de sa mère, au 15 septembre 1979, Roland Barthes a tenu un journal de deuil, 330 feuillets pour la plupart datés, et publiés pour la première fois en 2009. »



Journal de deuil, c’est le journal d’un deuil. La puissance de sa simplicité et la profondeur du dénuement qui s’en dégage le transforme, paradoxalement en un Journal universel, de la Vie.



Parce que les mots sont de Roland Barthes, j’aimerais penser que deuil ou non, tristesse ou non, perte et absence ou non, ce livre se range dans la pile des livres à avoir lu. Les mots sont sans artifices. Les phrases sont courtes. Ces « fiches » sont simples (quelques lignes).



Mais si vous êtes deuil, tristesse, perte, absence, alors ce livre se range dans la pile des livres à avoir vécu. Il est à vivre parce que vous vous y reconnaitrez dans ce que vous aurez déjà traversé. Vous entrerez alors dans un monde à découvrir et pourtant déjà passé. Vous serez confronté au déchirant paradoxe de la perte. Déjà au passé, elle est pourtant toujours présente.



« Ne pas dire Deuil. C’est trop psychanalytique. Je ne suis pas en deuil. J’ai du chagrin. » [ Suite de la chronique sur Starting Books
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Mythologies

Ce qu'il y a de passionnant dans cet essai c'est l'interprétation de faits de sociétés modernes apparemment anodins (le catch, les marques de lessive, la dernière Citroën, un spectacle de strip-tease, l'abbé Pierre, etc.). Barthes interprète ce quotidien de l'homme moderne et montre le sens caché de ces phénomènes. la deuxième partie est un chapitre ardu (je dirais même indigeste !) sur la sémiologie. C'est au final un livre intéressant, quoique desservi par une rhétorique vieillotte sur le thème de la lutte des classes contre l'esprit "bourgeois".
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Le plaisir du texte

En tant que philosophe et sémiologue, Roland Barthes (1915-1980) a joui d'une grande notoriété parmi les intellectuels français. Moi, je ne suis pas du tout familier de sa pensée. Je n'étais donc pas préparé à la lecture de ce texte court et… difficile. L'auteur aligne ses idées sur un sujet intéressant, mais d'une manière que je trouve elliptique et mal ordonnée. Certes, je comprends les mots importants (qui sont imprimés en italique, mais est-ce nécessaire ?), et pourtant je n'ai pas compris l'enchaînement des idées. En fait, je suis assez primaire: je considère que ce qui se conçoit bien devrait s'énoncer clairement; l'idéal du pédagogue est de se faire comprendre par tout le monde, même par des imbéciles. Ce n'est vraiment pas le cas ici. Donc je suis passé tout à fait à côté ! Les quelques passages que j'ai compris (… ou que j'ai cru comprendre, au moins partiellement), je les mets en citation sur Babelio. Je ne peux rien faire de plus.
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Fragments d'un discours amoureux

Fragments d'une critique.



A la lecture de ce livre, c'est le dépaysement, étranger dans mon propre alphabet : j'aurais dû faire Roland Barthes en LV1.



Il y a un véritable « plaisir du texte » à découvrir ces fragments littéraires originaux, à en apprécier la concision alors même qu'ils recèlent chacun leur petit monde en soi, et à dévêtir au fur et à l'usure les mots qui composent le tumulte amoureux, jusqu'au Comblement ultime car « l'amoureux comblé n'a plus besoin d'écrire ».



Barthes dit refuser toute philosophie de l'amour, il ne veut démontrer que son affirmation. Alors comment faire la lumière sur le sentiment amoureux lorsqu'on est soi-même concerné et que le lieu « le plus sombre est toujours sous la lampe » ?



« Qu'est-ce que ça veut dire, penser à quelqu'un ? Ça veut dire l'oublier et se réveiller souvent de cet oubli. » A partir des figures du langage, du discours, du soliloque de l'amoureux, Barthes entend reconstituer cet imaginaire anarchique, tributaire des incidents - qui sans cesse en menacent la valeur (comme à la Bourse) de dépréciation – incidents que le sujet amoureux – (re)construisant à posteriori son aventure - nommera l'histoire d'amour.



Dans « Roland Barthes par Roland Barthes », un autre abécédaire, biographique, le sémiologue écrivait « il est bon que, par égard pour le lecteur, dans le discours de l'essai passe de temps à autre un objet sensuel », c'est ce savant mélange, servi dans une langue d'écrivain, entre la vie et la théorie qui fait le charme iconoclaste du livre de Barthes.



Ces mots sont rattachés à l'expérience de l'auteur, acquise au cours de ses lectures (Goethe, Sartre, Lacan, Brecht, le Zen...) mais aussi de ses conversations et très pudiquement, de sa propre vie. Il se contente, pour tout indice sur le partenaire, d'un simple « il » ou « lui ».

Nous en savons peu sur la vie privée du grand intellectuel, adulé dans les années soixante-dix. Entre histoires secrètes vouées à l'échec, béguins non réciproques, amours tarifés et rejet physique des admirateurs de son oeuvre, notamment Hervé Guibert, auquel, blessé, il écrivit un fragment spécial. Tout au plus ai-je pu lire qu'un chagrin amoureux lui inspira la rédaction de cet ouvrage.



***



L'amoureux trouve l'objet de son émoi « Adorable » avec « l'idée - l'espoir - que l'objet aimé se donnera à mon désir », en le qualifiant vaguement de la sorte, il ne fait qu'essayer d'exprimer la spécialité, l'unique de son fétiche pour lui ; ou pour une partie de lui, « la coupe d'un ongle, une dent un peu cassée en biseau, une façon d'écarter les doigts en fumant ».



Après l'aveuglement vient l'Altération, ténue, infime, une parole, un geste que l'on n'aurait pas soupçonné et qui fait tache dans la représentation dévote de l'Image de l'autre qui ne devient qu'un parmi les autres.

Souvent c'est par la découverte du désir de l'objet amoureux pour un tiers. L'autre en fait trop - et Barthes de citer Sade “je vis le foutre s'exhaler de ses yeux” (self explanatory).

D'un autre côté il arrive qu'au prétexte de l'autre je désire tellement mon désir que cela conduise à l'Annulation de l'autre - le sujet étant amoureux de l'amour.



Le sujet amoureux est encore celui qui Attend comme « un paquet dans un coin perdu de gare », il est à disposition. Esseulé par la ciguë de l'Angoisse, le sujet amoureux met en scène son attente, essaye de jouer à celui qui n'attend pas, à celui qui arrive en retard mais il est encore en avance… bref il est toujours perdant : « suis-je amoureux ? Oui puisque j'attends ».



« Une angoisse seconde me prend, qui est d'avoir à décider du degré de publicité que je donnerai à mon angoisse première. » On passe son temps à Cacher sa passion à l'autre tout en voulant la lui faire sentir car on veut « être à la fois pitoyable et admirable ».

L'amoureux se pose des problèmes de Conduite en dehors de toute logique : on lui donne un numéro de téléphone et c'est l'abîme ; doit-il téléphoner ou pas... aux faits succèdent les signes à interpréter. « S'angoisser du téléphone : véritable signature de l'amour », désormais on peut également s'angoisser par SMS, par facebook, par whatsapp, par instagram et leurs accusés réceptions mortifères… est-ce une démultiplication de l'amour ou de l'angoisse ?



La Déclaration, le bavardage et le baratin sur l'amour contiennent toujours une allocution secrète. Quand on “frotte son langage contre l'autre”, quand on entretient ce frôlage par des commentaires en apparence futiles - car les événements du sujet amoureux sont souvent d'une grande platitude- en fait on dit “je te désire” car le langage est une peau et ce « coïtus reservatus », ce marivaudage, est une invitation à l'acte d'amour.



L'autre devient l'objet de notre servitude (volontaire) jusqu'au déclic. On en vient à « déréaliser » l'amour, revenir à la raison, et à se demander, un soir, dans le hall d'un hôtel, loin de chez soi “qu'est-ce que je fous là ?”.



Le discours amoureux s'oppose à l'action, il est le récit mythologique, légendaire des événements, embaumés, figés des faits accomplis. Mais ce discours souffre de ne pouvoir s'écrire. “Écrire sur quelque chose c'est le périmer”.



L'amoureux ne le sait pas encore mais il va errer d'amour en amour, de nuance en nuance reproduisant le même discours amoureux ou risquer de rejoindre le cimetière des éléphants amoureux : la friendzone (Barthes parle de « la région Amitié »).



“Tout contact, pour l'amoureux, pose la question de la réponse : il est demandé à la peau de répondre”. Barthes analyse le passage, subrepticement, de l'étreinte, comblée par la voix, le rêve d'union totale, immuable, à l'heure des confidences sur l'oreiller, bref le câlin au désir sensuel. Ce moment d'éternité, dans la plénitude de la tendresse reçue et donnée, presque maternelle, tout en sachant que le désir gronde sous les lattes, dans les draps, prêt à surgir. Cet enlacement enfantin dans le creux des bras de l'être aimé fait place à l'adulte, l'amoureux, l'être désiré. Pour Barthes, ce passage de l'un à l'autre est incarné par le dieu Eros : « un enfant qui bande. »



La jalousie ne prend pas uniquement le visage d'un amant (qu'il soit de la chine du nord ou celui de la rousse et dangereuse Jolene, que Dolly Parton supplie dans sa chanson de ne pas lui prendre son mari).

Elle est aussi dans les Fâcheux, ces gens qui s'invitent à dîner, ces loisirs trop prenants qui fissurent la dualité exclusive, où l'amoureux est contraint de partager l'autre avec le monde (et le mondain). On a envie de n'être qu'avec l'objet du sentiment amoureux, exclusivement, de s'exclure du monde, et finalement c'est un “double deuil, ce dont je suis exclu ne me fait pas envie.”



L'amoureux ne veut pas commettre de fautes, il pousse, par exemple, la crainte de la culpabilité jusqu'à attendre sur le quai de gare que le train de l'autre parte en premier.



Le paradoxe de l'amoureux est qu'il clame triomphant qu'il connaît l'autre mieux que quiconque alors même qu'il est au fond, Inconnaissable, il lui échappe sans cesse, comme un savon sous la douche. Finalement déclarer qu'on ne connaît pas l'autre n'est-ce pas une façon de dire que l'on ne saura jamais ce qu'il pense vraiment de nous ?

L'amoureux accepte alors « d'aimer un inconnu » et de se contenter de le connaître par le plaisir ou la souffrance qu'il lui donne. de même que Werther tombe amoureux après avoir appris les transports de la passion par un jeune valet, l'amoureux trouve son objet par Induction. Autrement dit, et par La Rochefoucauld, « il y a des gens qui n'auraient jamais été amoureux, s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour ».



« Ne soyez plus angoissé, vous l'avez déjà perdu(e) ». L'amour c'est bien connu c'est aussi la Jalousie. L'amoureux souffre de devoir partager l'autre. Mais le partage est une perfection de caractère comme Melite et Hyperion. Or, l'amoureux veut être parfait. Ainsi l'amoureux souffre non seulement du partage mais encore de son « impuissance à en supporter la noblesse ».



Et ces mots : « je t'aime », passés le « premier aveu », la fonction informative, ne veulent « plus rien dire », ils sont « une figure dont la définition ne peut excéder l'intitulé », ils sont de l'ordre du cri. L'amoureux est tout en désir et ce désir s'échappe comme une hémorragie dans la Langueur amoureuse des baisers sans fins.



L'auteur s'inscrit dans son époque, les années soixante-dix sont celles de la révolution sexuelle et l'auteur d'affirmer que l'obscène ce n'est plus la sexualité mais la sentimentalité. L'amoureux, conscient de sa bêtise, éprouve une solitude intellectuelle dans son sentiment. Car l'amour n'est plus à la mode dans la pensée des années soixante-dix, ce qui faisait dire à Barthes, sur le plateau de Bernard Pivot, que l'amoureux était dans une situation de solitude intellectuelle. Françoise Sagan également présente sur le plateau d'Apostrophes d'ajouter qu'on peut faire l'amour à six sans prendre aucun risque, alors que tomber amoureux…

L'amoureux, s'il est un homme, souffrira également de l'incompatibilité entre la virilité et l'éloge des larmes de Schubert, fondatrices du mythe de la douleur : « Les paroles que sont-elles ? Une larme en dira plus. »



« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue. Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue. » Racine, Phèdre. Si Barthes analyse longuement le « coup de foudre », l'enamoration, le ravissement, il en oublie sans doute, pardonnez-moi, le coup de foutre.

La sexualité n'est que suggérée dans cet ouvrage et c'est sans doute un parti pris car on ne peut soupçonner Roland Barthes de chasteté et à sa décharge, ce n'est pas dans le Werther de Goethe ni dans la littérature de l'époque romantique en général que l'on trouvera matière à ces considérations (même reproche qu'adressait, sur un même ton graveleux, Flaubert à Lamartine).



Barthes place chronologiquement la Rencontre au début, le “premier plaisir” où l'on découvre, sur un coup de dés, un autre soi-même, narrativement on se raconte, on rebondit, on a les mêmes goûts. Peut-être, et cela me rappelle le mot de Susan Sarandon qui comparait les relations amoureuses à des organismes vivants en mutation permanente, pourrait-on lui opposer, et je vous pose la question chers babeliote, dans la mesure où l'on change toute sa vie, est qu'on ne se rencontre pas à nouveau plus tard dans une même relation ?

Pour Barthes (c'est joyeux), l'amoureux qui ne se suicide pas a deux options : soit il transforme la relation en dialectique ; il garde l'amour mais abandonne l'hypnose ; soit il est condamné à réitérer avec d'autres cette même “aventure” (le ravissement etc).

Je crois que c'est la limite du livre, l'amour qui « va bien », qui entre dans cette dialectique et qui sort de l'hypnose de la passion n'a pas intéressé Barthes. L'auteur assume d'autant plus qu'il cite Corneille, « l'imitation de Jésus Christ » :



« Et sans s'immoler chaque jour

On ne conserve point l'union fruitive

Que donne le parfait amour. »



L'amoureux peut croiser le fer lors de Scènes où il tentera d'avoir le dernier mot. Oisive et luxueuse, la Scène ne progresse pas, elle n'a pas de sens. Elle est surenchère. Qui n'a jamais ressenti le contraste entre l'état de colère où nous plonge une dispute et la futilité du sujet « officiel » de la Scène que l'on se joue ?



Pour éviter de se noyer dans la chasse aux signes, il faut s'en remettre au langage, à la communication et surtout tenir pour vraies les déclarations. Puis vient le temps des souvenirs à l'imparfait, ces grains de mémoire, anamnèses de haïkus mémoriels. “L'imparfait est le temps de la fascination : ça a l'air d'être vivant et pourtant ça ne bouge pas”, c'est “le leurre épuisant de la mémoire”.



***



Littérairement parlant, dans une certaine mesure et jusqu'à un certain point, il y a un avant/après Fragments d'un discours amoureux : on ne lit plus tout à fait les romans d'amour de la même manière, il y a une ébauche de grille de lecture, des conjonctions, des logiques et des réminiscences qui sont comme tant d'exemples narratifs des fragments proposés par Barthes.

Lisez-le et faites l'expérience ensuite avec vos lectures, parfois, comme un « pop-up » sur le net ou un murmure derrière votre épaule, les mots de Barthes résonneront pour révéler tel ou tel comportement des personnages.



Le discours amoureux, en dépit de la variété de nos expériences et personnalités, on s'y retrouve tous peu ou prou, prisonniers d'un unique langage, nous conjuguons nos réalités avec les mêmes accords. Finalement, nous pouvons conclure, avec Roland Barthes que « le vrai lieu de l'originalité n'est ni l'autre ni moi, mais notre relation elle-même. C'est l'originalité de la relation qu'il faut conquérir. »



Qu'en pensez-vous ?

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Fragments d'un discours amoureux

Ovni exceptionnel, à lire par ci, par là, très condensé pour une lecrure d'une traite. On côtoie le sublime.
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Le Degré zéro de l'écriture, suivi de Nouveaux es..

“Cher collaborateur-collaboratrice,



Suite à vos réponses au survey concernant les open spaces de notre start-up, un meeting a réuni la senior management team et les décisions suivantes ont été prises : un espace de co-working va être créé et leadé par le département Marketing, un kicker en leasing va venir s’ajouter au coffee corner et, enfin, les freelance pourront participer aux team-buildings afin d’avoir les mêmes avantages de gamification que leurs N+1.



Jean Valjean

Chief Happiness Officer”





Même si ce fragment de texte de mon cru verse dans la caricature, la langue française continue d’être bousculée par la mondialisation. Un certain anglais est devenu une source intarissable de nouveaux mots qui s’injectent et modifient le français actuel. C’est ce que l’on appelle communément une langue vivante puisque, tel un corps, elle n’a de cesse de se muer en quelque-chose qui, à peine établi, fait déjà partie de son passé. Ces évolutions continues sont l’essence même d’une langue. Elle a besoin que des modifications langagières adviennent pour ne pas mourir. Tant qu’il y a du mouvement, c’est qu’il y a de la vie. Mais ne nous y méprenons pas, comme dans toute chose, la fin d’une langue est inéluctable.



Rassurez-vous, nous n’y sommes pas encore.



Roland Barthes, le célèbre sémiologue français, s’est fait connaître grâce à son premier livre, publié en 1953, Le degré zéro de l’écriture. Il retrace à sa façon l’Histoire de la langue française et la structure via une grille de lecture personnalisée qui a fait sa renommée. Sans doute aurait-il eu tant à dire sur le franglish. Je vous propose une courte analyse de ce classique controversé.



Tout d’abord il convient de préciser que ce premier livre de Roland Barthes dévoile une manière singulière (pour l’époque) d’expliciter la langue. On y découvre un style unique, un agencement de mots qui peut s’apparenter à un gloubi-boulga de paroles, une masturbation intellectuelle qui ne mène le lecteur nulle-part si ce n’est dans l’entre-soi des pensées de l’auteur. Il faut aller au-delà de ces considérations pour comprendre le point de vue de Roland Barthes et le faire résonner dans le bruit d’aujourd’hui.



Pour l’auteur français, la langue et le style sont deux modules différents au sein d’un même ensemble. La langue est un continuum qui traverse les siècles en gardant une unicité compréhensible par tout un chacun tandis que le style est une poussée créatrice qui est bien plus que la simple intention de l’auteur:



“Par exemple, Mérimée et Fénelon sont séparés par des phénomènes de langue et par des accidents de style ; et pourtant ils pratiquent un langage chargé d’une même intentionnalité, ils se réfèrent à une même idée de la forme et du fond, ils acceptent un même ordre de conventions, ils sont le lieu des mêmes réflexes techniques, ils emploient avec les mêmes gestes , à un siècle et demi de distance, un instrument identique, sans doute un peu modifié dans son aspect, nullement dans sa situation ni dans son usage: en bref, ils ont la même écriture.”



Roland Barthes pose des curseurs sur une ligne du temps qui remonte le cours de l’Histoire littéraire. On y (re)découvre que le roman est né dans la bourgeoisie, écrit par une certaine caste et à destination de cette même caste, que le passé simple a longtemps été le temps idéal du roman ou encore que le choix de la première ou troisième personne du singulier dans la rédaction d’un texte change fondamentalement ce dernier. De plus, le sémiologue français s’arrête plusieurs fois sur un fait qui me semble important, l’éclatement de la poésie classique par Victor Hugo:



« La distorsion que Hugo a tenté de faire subir à l’alexandrin, qui est le plus rationnel de tous les mètres, contient déjà tout l’avenir de la poésie moderne, puisqu’il s’agit d’anéantir une intention de rapports pour lui substituer une explosion de mots. »



Enfin, le degré zéro de l’écriture trouve sa signification avec l’exemple de l’Etranger de Camus. C’est-à-dire une écriture neutre et transparente dont le style est justement l’absence de style. C’est d’ailleurs cette neutralité qui sera le cœur atomique du travail de Barthes et ce premier essai est le fondement de sa pensée puisque ses autres œuvres, — Mythologies ou Fragments d’un discours amoureux par exemple — sont autant de textes qui mettent en relief sa façon très personnelle de penser le monde.
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Le Degré zéro de l'écriture, suivi de Nouveaux es..

Le degré zéro de la connerie prétentieuse. Seuls Maurice Blanchot et Jacques Derrida ont réussi à atteindre un tel niveau… Et peut-être aussi Paulo Coelho avec l'Alchimiste mais dans un autre genre.
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Mythologies

Ces Mythologies de Roland Barthes me laissent un sentiment mitigé en tant que lecteur. J'ai adoré les deux premiers tiers et sa déconstruction des mythes populaires des années 1950, l'occasion de ressusciter, le temps de quelques lignes, un passé que me racontait mes parents ou dont je ne connaissais que des bribes... La dernière partie, le sémiologue reprend le dessus et j'ai trouvé le texte difficile d'accès tout au moins demandant un réel effort de compréhension pour un Béotien comme moi.
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L'Empire des signes

Ne vous a-t-on jamais questionné après un voyage à l'étranger : « comment vous êtes-vous débrouillé là-bas, avec la langue ? »



Pour Roland Barthes, cela suggère que communication et parole sont inséparables. Or l'empire des signifiants au Japon excède largement les mots « en dépit ou grâce à l'opacité de la langue », le corps est mobilisé comme signifiant, sans recours à la parole. “Qui salut qui ?” ; Barthes analyse la politesse japonaise et ses courbettes appuyées loin de nos jeux d'égos, comme un exemple d'usage du corps entier sans parole.



Barthes fait le rapprochement avec l'expérience d'écriture : elle est le vide de la parole. Comme le sinologue François Jullien, Barthes pense que l'on est prisonnier du langage. Il veut faire l'expérience d'une langue étrangère intraduisible, « en éprouver la secousse sans jamais l'amortir ».

Le sémiologue ne comprend pas le japonais, il veut en « percevoir la différence sans que cette différence ne soit jamais récupérée par la sociabilité superficielle du langage ».



Pour Barthes, contester la société alors que nous sommes prisonniers du langage c'est « vouloir détruire le loup en se logeant confortablement dans sa gueule ». Il souligne que la toute-puissance occidentale du sujet n'a pas son pareil en japonais, cette langue pleine de suffixes et d'enclitiques est précautionneuse, elle relate des impressions subjectives plus que des constats, elle décrit ses personnages de fiction comme des êtres inanimés, elle a recours à des verbes transitifs mais sans sujets.



Le sémiologue, d'une hypersensibilité frôlant parfois la préciosité, tout au long des fragments illustrés de ce livre, nous fait la démonstration de son talent d'écrivain, chacun des pigments de sa sensualité est mis au service de l'écriture.



Il commence, pour comprendre un peuple et sa langue, par faire une peinture littéraire pleine de délicatesse et de poésie du repas japonais : son plateau, sa soupe légère et limpide, qui passe ici pour pauvre, à l'opposé de nos plantureux potages, ses petits conglomérats d'aliments crus que l'on mange à sa guise, sans protocole. On mange avec des baguettes qui font « glisser la neige alimentaire du bol aux lèvres » sans faire violence aux aliments, à l'inverse de nos couteaux et fourchettes qui mutilent, coupent, agrippent, percent.



Je m'attarde un peu sur l'analyse que fait Barthes des poèmes courts japonais dits « haïkus ». Ils ont l'air facile, on se dit : tout le monde peut le faire. le haïku offre à l'Occident la possibilité de faire simple, là où d'ordinaire notre tradition européenne nous le refuse, il faut faire symbole, syllogisme ou métaphore. Presque « trop facile », on entretient le soupçon autour de la « qualité », du « niveau » d'une chose trop simple…



Le lettré européen tente d'en faire l'exégèse car pour lui tout doit faire sens. Mais “tout en étant intelligible le haïku ne veut rien dire”. Nous classons dans la catégorie de la Poésie ces trois petits vers qui représentent à nos yeux l'ineffable, le diffus, le sensible, une “notation sincère d'un instant d'élite”.

Corinne Altan, dans son « Anthologie du poème court japonais », rapporte qu'un penseur asiatique compara le haïku à la langue vivante, celle qui ne fait plus sens, à l'opposé de la langue morte qui fait encore sens. Barthes va plus loin : le haïku n'est pas quelque chose de plus avancé que le langage, mais finalement « antérieur au langage », il n'est pas encore tout à fait du langage.

Mais qui veut expliquer un haïku se condamne à la paraphrase. le haïku invite à la suspension du langage, au silence, au ressenti, à défaut nous passons à côté. le haïku est simple, rassurant, abordable mais à la seconde lecture nous ne le comprenons déjà plus, « le sillage du signe qui semble avoir été tracé s'efface », on tourne autour de son mystère. Cette composition de Bashô ne s'illumine de sens pour nos yeux que le temps d'un éclair :



“ comme il est admirable

celui qui ne pense pas : « la Vie est éphémère »

en voyant un éclair”



Après quoi, la nuit retombe et voile le sens. C'est un paradoxe que d'être compréhensible et ne pas vouloir dire quoique ce soit. Dans un contexte philosophique et religieux du vide, du refus de la finalité, Barthes s'interroge : un haïku n'est-il finalement écrit que pour écrire ?



Il faut plutôt voir dans le haïku un instantané, une griffe de lumière, un flash d'appareil photo sans pellicule. le haïku, se refusant à fixer l'image dans la durée, ne décrit ni ne définit, il dit seulement “ça” ou “tel !” comme un enfant montre du doigt. “Rien de spécial dit le haïku ».

Finalement, le haïku, pour éclore, même brièvement, a besoin du lecteur, comme le soulignent à nouveau Corinne Altan et Zéno Bianu, c'est le lecteur qui apporte, avec sa vie, un sens au poème qu'il reçoit. Pareil aux baguettes exerçants la juste pression sur le tempura légèrement frit porté à notre bouche, le haïku, avec sa fadeur ou son ironie, loin du solennel lyrisme « sait pincer le coeur avec légèreté ». En témoigne cette composition de Issa  :



« Par un pet de cheval,

Eveillé

J'ai vu les lucioles voler »



Au-delà des perceptions aiguisées de l'intellectuel en voyage, le lecteur, sillonnant ces délicats fragments nippons comme on trace au râteau des lignes sur le sable d'un jardin zen, s'interroge : Roland Barthes, bien qu'il s'en défende, ne cède-t-il pas, comme les romantiques du XIXème siècle, De Nerval à Delacroix, aux sirènes de l'orientalisme ? Il nous faudrait peut-être pour y répondre un « Empire des signes » inversé, d'un Tokyoïte à Paris...



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