Curieuse histoire que celle de ce roman, pas le plus facile à lire, mais sans doute un des plus importants de
Mika Waltari.
En 1951, l'écrivain finlandais, déjà auteur de «
Sinouhé l'Egyptien » (1945) et du diptyque « Mikael Karvajalka » («
L'Escholier de Dieu » - 1948, «
le Serviteur du Prophète » - 1949) entame l'écriture d'un nouveau roman, dont le personnage principal Johannes Angelos, Jean l'Ange, se trouve au coeur des grandes querelles théologiques du temps (fin du Moyen-Age et début de la Renaissance) et dont la destinée doit le mener à Constantinople où, en 1453, il assistera et participera au siège qui mettra un terme à l'Empire Romain d'Occident. Waltari amasse une imposante documentation, et travaille d'arrache-pied, mais trois mois plus tard, Dieu sait pourquoi, il abandonne le projet. Il le reprendra l'année suivante, le retravaillera en profondeur, et en fera «
Les Amants de Byzance ». L'ébauche de 1951 sera publiée à titre posthume en 1981 sous le titre «
Jean le Pérégrin ».
Faut-il en conclure que «
Jean le Pérégrin » est une préquelle des « Amants de Byzance » ou que «
Les Amants de Byzance » sont une suite de «
Jean le Pérégrin » ? Oui et non, dirais-je, sans trop m'avancer. Oui, parce qu'il s'agit à l'évidence du même personnage Johannes Angelos, et qu'il suit grosso modo la même destinée. Non, parce que le contexte n'est plus le même En 1431, date du Concile de Bâle, la situation internationale n'est pas la même qu'en 1453, date de la chute de Constantinople. le sujet est également différent : ici les querelles théologiques prennent toute la place, là, c'est le siège, ses rigueurs, ses hauts faits d'armes qui forment le fond de l'histoire. Enfin, découlant directement de cette observation, le ton utilisé par l'auteur est approprié différemment : haletant et plein de mouvement pour raconter les péripéties du siège, il est posé, docte et savant pour souligner les interminables discussions théologiques qui cherchent sans la trouver l'union des églises chrétiennes d'Occident et d'Orient.
Alors bien sûr, les amateurs d'aventure, de romance, d'actions d'éclat, apprécieront mieux «
Les Amants de Byzance » tandis qu'au contraire les férus de théologie s'extasieront devant ceux qui (les chrétiens de
Rome) pensent que le Saint-Esprit procède à la fois du Père et du Fils (notre Sainte Trinité) contrairement à ceux qui (les chrétiens d'Orient) pensent au contraire que le Fils et le Saint-Esprit sont les « mains jumelles » du Père. N'en déduisez pas par cet exemple que «
Jean le Pérégrin » soit un roman fastidieux, où ce genre de querelles constitue le fond de l'histoire. Il y a quand même du mouvement, de l'action, du dialogue, mais le ton est beaucoup plus calme, même si, comme dirait Audiard « On ne sent pas l'épopée ».
Jean le Pérégrin, c'est-à-dire le Pèlerin, est comme tous les héros de
Mika Waltari, en quête d'une identité, en quête de Dieu, en quête de lui-même. Son chemin le mène de concile en concile, et d'ambassade en ambassade à Bâle, Constantinople, Ferrare, Florence, Venise, etc. Jean est le porte-parole de Waltari : sceptique tout en étant demandeur de foi, il voit devant lui le spectre du schisme entre les églises (et
Mika Waltari voit lui la scission d'après-guerre entre l'Europe de l'Ouest et l'Europe de l'Est).
«
Jean le Pérégrin » n'est donc pas le roman qu'il vous faut si vous aimez les romans historiques à la Dumas. A rapprocher plutôt du « Nom de la rose » d'
Umberto Eco, pour l'érudition et les querelles théologiques, et la reconstitution historique, en tous points remarquable.