Non,
Mary Shelley n'est pas que l'auteur du seul Frankenstein.
José Corti propose un choix de quatre nouvelles dont l'intensité dramatique et les beautés descriptives le disputent à une réflexion sur le deuil et la mort, à certains égards annonciatrices de l'art d'
Edgar Poe.
Mary Shelley écrivait, et fort bien, comme l'avait fait avant elle, mais dans la plus grande discrétion domestique,
Ann Radcliffe dont les romans “gothiques”,
Les Mystères d'Udolphe ou l'Italien, paru l'année de naissance de Mary, avaient connu un succès considérable, avec leurs théories de jeunes filles pures persécutées, errant dans des châteaux délabrés.
D'une manière générale la tonalité et les thèmes de ces nouvelles, le double, le pacte avec le diable, la mélancolie et la tentation du suicide, la fascination pour l'autre lieu, pour l'ailleurs, qu'il s'agisse d'une époque révolue, d'un pouvoir surhumain ou d'interventions surnaturelles sont autant de variations autour d'ingrédients propres au romantisme. Et pourtant,
Mary Shelley fait mieux que reprendre et citer, et pour deux raisons. La première est liée à un véritable talent d'écrivain : technicienne hors pair, elle sait varier les points de vue, jouer sur l'identité des narrateurs et passer d'une prose poétique à des moments de grande intensité dramatique. Il y a aussi chez elle, un art du conte et du récit qui annonce parfois de façon étourdissante la manière d'un
Edgar Poe. La deuxième raison est liée à une réflexion originale sur le thème du désir qui, si elle rejoint les préoccupations des poètes romantique, apparaît ici sous une forme romanesque qui va bien au-delà des conventions gothiques.
[Beaucoup de] scènes, dans ces nouvelles, se déroulent en des lieux liminaires, littoraux, comme l'orée d'une forêt, une grande ville portuaire ou un rivage, quand il ne s'agit pas de la ligne indistincte qui sépare la veille du sommeil, ou celle qui se trace entre le normal et le monstrueux, lieux où les existences basculent, se font ou se défont et affrontent des contradictions que seul l'amour pourra, parfois, surmonter. C'est aussi là que réside la modernité de ces textes, dont le bonheur d'écriture, et le plaisir qu'on prend à les lire, ne dissimulent pas les gouffres inquiétants qu'ils cernent.
Extrait de Les
histoires extraordinaires de
Mary Shelley par
Pascal Aquien, La Quinzaine littéraire, juin 1993.
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