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Éric Chédaille (Traducteur)
EAN : 9782266188241
665 pages
Pocket (04/06/2009)
3.96/5   165 notes
Résumé :
Entrez dans le monde épouvantable, fier et cruel, de Bull Meecham, dit "Le Grand Santini"!
Bull, comme son prénom l'indique ("Taureau"), n'est pas un personnage de tout repos. As de l'aviation américaine, marine farouche, pétri de morale catholique et de principes d'ordre, il mène la vie dur à ses surbordonnés, bien sûr, mais surtout à sa famille.Sa femme Lilian est partagée entre l'amertume et l'admiration du héros.Et ses quatre enfants supportent tant bien ... >Voir plus
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Etoiles Notabénistes : *****

The Great Santini
Traduction : Eric Déchaille

ISBN : 9782277231554

Comme tous ceux qui connurent une enfance malheureuse, Pat Conroy rêvait de l'exorciser dès qu'il le pourrait et de la meilleur manière qui fût. Bien qu'il eût reçu le Don, ce ne fut cependant pas avant d'avoir publié deux ouvrages - deux récits sur ses années d'enseignant dans des régions difficiles du Sud des Etats-Unis - qu'il se risqua à étudier la question. Renonçant d'instinct au récit, il opta pour la fiction romancée. En effet, tous ceux qui ont traversé ce type d'enfance et cherchent à la restituer par écrit le savent, le récit, malgré ses qualités, risque fort de faire frôler le choc anaphylactique au malheureux auteur et de le conduire droit à la Mort, voire, dans le pire des cas, à le pousser vicieusement dans un monde de folie suicidaire qui finit souvent par l'entraîner à l'asile. D'autant que votre Inconscient vous souffle qu'un volume ne suffira pas. Les enfances malheureuses, c'est comme le Démon : leur nom est légion et, avant d'en découdre avec elles, il faut bien prendre ses précautions. Autant qu'on en prendrait avec un abcès démesuré ou avec un cancer : y aller par étapes et avec la plus grande prudence, en n'hésitant pas à s'injecter une foule de contre-poisons si c'est nécessaire.

Pat Conroy a donc imaginé une famille qui aurait pu être la sienne, la famille Meecham. le père, Wilbur "Bull" Meecham, est pilote de chasse chez les Marines, s'est couvert de gloire et de médailles pendant la Seconde guerre mondiale, rêve, en ces années Kennedy, d'en faire baver à Fidel Castro et aux "Russkoffs" mais, comme la guerre ne se déclare toujours pas, doit se contenter de recevoir chaque année une feuille de route qui lui ordonne seulement de changer de base d'exercices. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les premières pages s'ouvrent sur une maisonnée réveillée à trois heures du matin et prête à sauter dans la voiture pour prendre la route afin de passer de la Géorgie en Caroline du Sud. Techniquement, on ne change pas de région : cela reste le Sud mais enfin, un nombre impressionnant de kilomètres sépare les deux bases et mieux vaut rouler la nuit pour être à temps à l'arrivée du camion de déménagement. Pour ne rien dire de l'entrevue obligatoire de Bull avec son nouveau supérieur hiérarchique, qu'il déteste déjà pour des raisons qu'on apprendra plus tard.

La mère, Lilian, les quatre enfants et le chien, Okra, rejoignent donc Bull dans la voiture. La mère est une très jolie femme, née à Atlanta dans une bonne famille et qui est tombée amoureuse, à dix-sept ans, d'un Marine de vingt-trois, lequel était par contre un Yankee pur-sang d'origine irlandaise et catholique par-dessus le marché, le fameux Bull Meecham. le couple a eu dans l'ordre : Ben, l'aîné, dix-sept ans aujourd'hui et souvent "tête de Turc" de son géniteur ; Mary Anne, une enfant très intelligente mais au physique un peu ingrat, mal-aimée par ses parents (elle est même persuadée que sa mère la déteste) et qui protège une très vive sensibilité sous la carapace d'une sensibilité mordante ; Matthews, souvent surnommé "le Nain" en raison de sa taille et enfin Karen, bonne élève et jeune personne qui devrait, si elle tient ses promesses, devenir aussi jolie que sa mère.

Dès cette première scène dans la voiture roulant de nuit, le lecteur comprend que Lilian, bien que parfaite "Belle du Sud", et ses quatre enfants, vivent dans un climat de tension perpétuelle (sauf lorsque le père s'en va en mission). La progression du roman le prouvera amplement même si, pour ce coup d'essai, Conroy a tenté d'adoucir la situation, d'arrondir les angles les plus meurtriers de cet espèce d'iceberg familial et littéraire. Seule chose qu'il ne cache pas - et qu'il répétera toute sa vie comme une cruelle antienne - il a commencé à haïr son père alors qu'il portait encore des couches. Et il se rappelle avoir vu Bull frapper Lilian alors qu'il se trouvait, jeune bébé, sur sa chaise haute, dans la cuisine. Ce qui l'étonne et même le stupéfie, c'est que, en parallèle et à de rares moments, il soit également capable d'aimer la brute qu'il a comme géniteur. Mais c'est ainsi et, dans le cas de ces enfances si spéciales, c'est presque toujours le cas.

Dans une scène qu'il faut rapporter (et dont Conroy reparlera dans "La Mort de Santini"), Ben part à la recherche de son père, face à qui, pour la première fois, il vient d'avoir le dessus alors que Bull frappait sa mère une fois de plus. Tentant de le remettre sur ses pieds, Ben ne sait que lui répéter : "Je t'aime, papa." Et alors que cette phrase devrait apaiser la situation, le jeune homme, pantois, constate qu'elle affole au contraire son père, lequel titube de plus en plus et tourne, dans le champ où il a échoué avec sa voiture, à peu près comme un taureau enragé. Et plus Ben répète cette phrase, plus s'accroissent la peur et l'ahurissement de Bull. A tel point que Ben réalise en un éclair qu'il vient en fait, avec cette phrase, de découvrir une arme aussi inattendue que redoutable ... et parfaitement inexplicable.

Pourquoi ce "Je t'aime, Papa" produit-il pareille impression sur cette brute beuglante, à demi-alcoolique et qui se veut plus fruste qu'elle n'est ? Difficile à dire. Difficile à analyser aussi quand on n'a que dix-huit ans. Seul le principal intéressé, s'il consentait à se comporter comme un être humain à part entière et non comme un Homme primitif, pourrait nous donner la solution. D'autant que toute l'intrigue nous est présentée à travers les yeux de Ben et de l'extérieur. Même les entrevues entre Bud et les autres Marines, qu'ils soient ses supérieurs ou pas, ne nous sont restituées que parce qu'il les a racontées à sa famille. Lorsqu'il songe à son avancement, rien d'éclairant non plus. C'est toujours aussi primaire et grossier.

Conroy nous dévoile ici une partie seulement de ce qu'il a connu et vu jusqu'à ses dix-huit ans. Mais, bien qu'il l'ait sans doute cherché, il n'a pas pu s'introduire dans la tête de son géniteur. Plus tard, avec l'expérience que lui auront donnée trente-cinq ans de plus ("Le Grand Santini" sort quand il a la trentaine à peu près, "La Mort de Santini" quand il en a soixante-cinq), son jugement sera plus aigu, plus incisif et certainement plus proche de la vérité - et teinté d'une pointe de sadisme, n'en doutons pas.

Dans l'espoir (inutile et il le sait déjà à cette époque) de clore cet exorcisme, Conroy fait s'achever "Le Grand Santini" par la mort de Meecham, dans un exercice de vol. Si les choses s'étaient passées comme cela, peut-être le destin des sept enfants Conroy (car en fait, ils étaient sept), en particulier celui de Carol Anne (la véritable Mary Anne) et de Tom, eût-il été carrément différent et assurément plus stable. Si les choses s'étaient passées comme cela, Pat Conroy n'aurait eu qu'un seul combat à mener contre le souvenir de son enfance et de son père. Les aurait-il effacés tous deux de sa mémoire, cela, c'est une autre histoire. En général, quand on vit l'une des formes de ces enfances, on a beau se racler et se racler la tête pour tout en sortir, puis courir enterrer toutes ces ordures dans la benne la plus éloignée, elles renaissent toujours.

Autant donc les combattre et les combattre encore. Seul avantage de ces assauts répétés : s'ils ne vous brisent pas, ils vous forgent. A bon entendeur !
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LE GRAND SANTINI de PAT CONROY
Le lieutenant-colonel Bull Beecham du Marine Corps rentre aux États Unis,après une année en Méditerranée, rejoindre sa nouvelle affectation après une soirée bien arrosée. Lillian, sa femme, une beauté, ainsi que ses enfants Ben et Mary Ann, l'attendent, partagés entre le bonheur de le revoir et la crainte de ses colères. La famille comprend également les plus petits, Matt et Karen. Dès l'arrivée de Bull, le grand Santini, la famille prend la direction de la Caroline du Sud en voiture où Bull se comporte comme un chef d'escadrille qui ne tolère aucune objection à ses décisions. Dans la voiture on chante l'hymne de la Marine et Lillian reprend souvent Bull pour ses propos racistes, elle est du Sud et ne pratique aucune ségrégation. Dans sa nouvelle affectation, Bull retrouve une vieille connaissance, le Colonel Virge, son chef hiérarchique, avec lequel il a eu de très mauvaises relations dans le Pacifique. Virge lorgnant son étoile de général, il met en garde Bull qui prend en charge l'escadrille 367 dans une ambiance peu propice. À la maison le grand Santini terrorise les enfants et sa femme, faisant ressembler la famille à une annexe de la garnison. Même si les colères du maître sont impressionnantes, Ben vient d'avoir 18 ans et il refuse de valider les choix qu'a fait son père pour lui, il refuse les quatre années d'école militaire et le hait pour la coupe de cheveux à ras qu'il lui impose. L'ambiance se tend et Lillian doit avec doigté essayer de tempérer le Grand Santini.
Un bon Conroy qui à partir de savoureux dialogues nous fait vivre le quotidien de la famille d'un côté, de l'escadrille de l'autre. Bull est un homme simple, raciste, autoritaire et colérique mais il aime profondément et sincèrement sa femme et ses enfants. C'est une relation extrêmement complexe qui est en place faite d'amour et de crainte, tout peut déraper à tout instant, Bull ne connaissant qu'une méthode de gestion, le rapport de force. A lire.
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Titre : le grand Santini
Année : 2009
Auteur : le regretté Pat Conroy
Editeur : Belfond
Résumé : Bull Meecham est pilote de chasse mais aussi un père de famille rigide,intraitable et tyrannique. Son nom de guerre est le grand Santini. Cet homme, héros de guerre américain, mène la vie dure à ses 4 enfants et fait régner un ordre militaire strict dans son propre foyer. Ben son fils ainé, subit ce joug depuis sa plus tendre enfance et devra tenter de trouver sa place entre une mère soumise, une soeur volubile et l'écrasante figure paternel, source de sentiments contradictoires et violents.
Mon humble avis : Pat conroy fut un auteur de grand talent, ceux qui ont eu la chance de lire le magnifique prince des marées peuvent en témoigner. Incomparable quand il s'agit de décrire de l'intérieur la complexité des relations familiales cet auteur démontre une fois de plus avec ce roman son génie, son acuité et son humanité. de ce bouquin, à priori autobiographique, on ressort ému, lessivé devant tant d'ambivalence dans la description des sentiments. Comme à son habitude Conroy excelle dans des dialogues drôles et pertinents. L'émotion est là, présente à chaque moment de la vie de cette famille, on déteste le grand Santini puis on l'adore quelques pages plus tard, on est ému devant le destin de Ben, on rit lorsque Mary Ann tente de s'affirmer. Les thèmes abordés sont multiples : rapports filiaux évidemment mais aussi racisme, passage à l'âge adulte, sexisme, violence conjugale et tout cela servi par à une écriture précise, fluide et brillante. S'il faut trouver un défaut à ce roman je dirais que la mise en place est un peu longuette mais tout cela est vite balayé dans la seconde partie du texte qui, à mon humble avis atteint des sommets littéraires. Conroy fut un maître et un conteur hors-pair ; sans atteindre le niveau exceptionnel du prince des marées ceux qui liront le grand Santini en sortiront grandis et un peu plus humains qu'avant cette lecture. C'est déjà énorme et pour cela un hommage sincère doit être rendu à la mémoire de Pat Conroy décédé recemment.
J'achète ? : Oui sans hésiter mais si tu as le choix je te conseille d'abord la lecture du prince des marées ( voir critique précédente sur francksbooks.wordpress.com )
Lien : http://francksbooks.wordpres..
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Conroy et moi, c'est pour la vie. C'est mon 4e roman de cet immense écrivain et à chaque fois, je me régale de son humour décapant, je savoure l'enracinement de ses personnages en Caroline du Sud, je goûte l'émotion intense qui émane des vies qu'il dépeint. Même si quand il décrit la violence, la brutalité des relations familiales, j'ai la gorge nouée, Conroy possède l'art de désamorcer les drames avec des dialogues qui claquent et tellement de tendresse. Et « le Grand Santini » a confirmé mon amour pour lui.
Dans sa première oeuvre de fiction, Conroy raconte une famille complètement atypique (qui ressemble intimement à la sienne), celle de Bull Meecham, aviateur des Marine Corps, "Le Grand Santini". Fort en gueule, tyrannique, bagarreur, il est la caricature du colonel des Marines. Il trimballe de base en base femme et enfants au gré des affectations. L'éducation de ses enfants, il la fonde sur les mêmes principes que le dressage des recrues dont il a la charge. Il bouscule, maltraite, humilie ses petits comme il le ferait avec des soldats. Ca ne rigole pas tous les jours chez les Meecham. Et pourtant, ils sont tous (y compris le père) tellement attachants.
Conroy nous raconte cette famille à travers le regard de Ben, l'aîné, alors que la famille s'installe en Caroline du Sud. du déménagement dans leur nouvelle maison au premier jour d'école des enfants, des exploits de Ben dans l'équipe de basket-ball du lycée aux soirées hallucinantes au mess, Conroy nous immerge dans la vie des Meecham, et en profite pour dénoncer l'esprit de corps du père, la bigoterie d'une mère trop passive, le racisme du Sud, et bien d'autres maux de cette Amérique des années 60.
Et puis il y a les enfants, qui grandissent malgré tout et se rebellent avec des réparties bien senties contre l'autorité de leurs parents, même si les larmes et les souffrances ne leur sont pas épargnées.
Mention spéciale au personnage de Mary Anne la grande soeur, drôle et émouvante et au merveilleux proviseur, Mr Dacus.
Révoltant, tendre et décapant, du très bon Conroy.
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Le premier Pat Conroy que j'ai lu. Une révélation! Sitôt fini je me suis précipitée sur les autres. Je les ai tous adoré, peut-être un peu moins Charleston, mais le Grand Santini reste, à mon avis, son meilleur livre. Certes, c'est un pavé mais un pavé trop vite terminé.
Certains lui reprochent de ne guère varier ses thèmes mais peu importe, Pat Conroy excelle dans la description des rapports filiaux, entre haine et amour. Ses joutes verbales, si caractéristiques de son oeuvre, sont une pure merveille.
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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... - "Comment te sens-tu, mon chéri ?" demanda-t-elle.

- Ca va, maman," dit Ben sans cesser de regarder son père. "Et toi, comment te sens-tu ?

- J'ai le derrière un peu endolori, mais je pense passer au moins la nuit;

- Tu as un goût fabuleux en matière d'hommes, maman.

- N'en rajoute pas, Ben. Cela a été assez dur pour moi aujourd'hui sans que tu en rajoutes. Je te signale que c'est moi qui suis entre le marteau et l'enclume, qui suis sur la corde raide."

Ben s'assit sur son bureau, posa ses chaussures de sport sur la chaise, en desserra le laçage, les chaussa puis les relaça. Il laçait et délaçait ses chaussures aussi machinalement qu'il clignait les paupières. C'était chez lui l'un des nombreux tics nerveux qui préoccupaient sa mère.

- "Si jamais il te refait cela, Ben, je le quitte. Dieu m'est témoin, je le quitte.

- Mais oui, maman. C'est ce que tu disais la dernière fois. C'est ce que tu dis à chaque fois. Depuis que je suis né, tu n'as pas cessé de le quitter.

- Cette fois, je suis sérieuse.

- La dernière fois aussi tu étais sérieuse, et aussi la fois d'avant, et celle d'avant. Cela ne me fait plus rien, maman. Il me reste un an à tenir avant de vous tirer ma révérence. Mon seul souci est qu'il ne me laisse pas sur le carreau d'ici-là ."

Lillian était assise au pied du lit. Avec des gestes d'une grâce presque déplacée, elle tira une cigarette d'un paquet de Lucky Strike. Elle tendit les allumettes à Ben et attendit qu'il en allume maladroitement une et lui présente la flamme. Elle lui toucha légèrement la main et prit une profonde inhalation.

- "Il fait son possible pour se calmer les nerfs, mon chéri. Il sait que c'est une nécessité. A nous de l'aider en ce sens.

- Rien ne m'oblige à l'aider. Je le déteste. Je n'ai même pas envie de l'aider.

- Si tu n'en fais rien, ce seront Matt et les filles qui en pâtiront," dit Lillian avant d'ajouter : "Et moi aussi, bien sûr.

- Tu sais ce que je me disais à l'instant, maman ? J'étais en train de prier le ciel pour qu'il parte à la guerre." ... [...]
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[...] ... - "Tu aimes bien gagner, hein, p'pa ?" dit-il d'un ton qui se voulait détaché, maîtrisé, mais où perçait la peur.

Bull s'approcha encore jusqu'à ce qu'ils fussent presque nez contre nez, comme Ben l'avait vu faire aux instructeurs avec les recrues. Bull se mit à lui frapper le menton du bout de l'index. "Tu fais le malin avec moi, rigolo, et je te fais rejoindre ta mère là-haut à coups de pompes dans le train. Comme ça vous pourrez chialer entre gonzesses. Tu vas venir te défendre. Deux d'avance pour gagner.

- Non, papa, je ne rejoue pas. J'ai gagné," dit Ben d'une voix qui se brisait. Il se sentait sur le point de pleurer.

Cela n'échappa point à son père. "Vas-y, le chéri à sa maman. Mais vas-y, je veux te voir chialer," rugit Bull de toute la puissance de sa voix. Une voix de terrain d'exercices, une voix à couvrir le sifflement des réacteurs, à se faire entendre au milieu du vacarme des combats. Il prit le ballon de basket-ball et l'envoya rebondir sur le front de son fils. Celui-ci tourna les talons pour gagner la maison, mais Bull se mit à le suivre, lui envoya le ballon dans la tête à intervalle de trois pas. Il psalmodiait : "Chiale, chiale, chiale" Chaque fois que la balle rebondissait sur le crâne de son fils. Ben traversa la cuisine, traversa le salon, sans jamais lever les mains derrière la tête pour se protéger ni tenter d'esquiver. Il marchait et, faisant appel à tout son pouvoir de concentration, s'efforçait de ne pas pleurer. C'était tout ce qu'il entendait retenir de cette expérience, l'assurance de n'avoir pas pleuré. Il voulait montrer à son père un aspect de son courage et de sa dignité. Le ballon continua de lui persécuter la tête pendant la montée de l'escalier. Ce crâne aux cheveux courts, raidi par le récent passage chez le coiffeur, cette tête en cet instant vulnérable, désemparée, haïe. Ben savait que dès qu'il atteindrait sa chambre, l'épreuve prendrait fin. Et qu'il aurait la nuit pour réfléchir à tous les symboles de cette longue marche : la tête des fils, l'orgueil des pères, les vainqueurs, les perdants, le visage des épouses battues, la peur des familles, les samedis sous le règne du Grand Santini - mais d'abord, dans le couloir et les escaliers, il ne faut pas que je pleure, il ne faut pas que je pleure. Jusqu'à ce que sa chambre fût en vue. Il se mit à courir et, la tête saisie d'une douleur lancinante, il sentit que Bull le relâchait, le libérait, et le fils du pilote de chasse se jeta à plat, ventre sur son lit, de crainte que les larmes ne jaillissent s'il ne les endiguait dans la fraîcheur de l'oreiller. Il entendit son père qui disait, planté sur le seuil en sorte que toute la famille pût l'entendre : "Tu es ma fille préférée, Ben. Je jure devant Dieu que tu es la petite chérie à son papa."

Alors, se tournant vers la porte, aveuglé par les larmes et la lumière, Ben rétorqua : "Oui, papa, et la petite chérie t'a battu à plates coutures."

La porte se referma violemment. ... [...]
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Grandir avec un père violent, redoutable, fantasque et tout-puissant. Devoir se plier à toutes ses règles et lubies sans rechigner au risque du pire. s'adapter à ses humeurs qui changent au gré du vent et de l'alcool, tel est le destin de Ben et de sa famille qui peinent à s'adapter à ce bourreau qui, parfois, parvient à prendre presque des allures de héros, mais toujours mal dégrossi!
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C'est le premier livre qui m'a fait connaître Pat Conroy, et, je n'avais pas choisi le plus facile. Par la suite, comme je suis curieuse, j'ai voulu tout lire de lui, et j'ai adoré.
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Recevoir l’enseignement d’écoles catholiques était, par certains côtés, comme grandir dans un pays étranger. Prêtres et religieuses y imposaient un absolutisme qui ne souffrait aucune opposition. Ben avait entendu plus de bruit dans le sous-sol d’un établissement de pompes funèbres que lors de certains cours de mathématiques prodigués par des créatures glaciales dont la robe, lorsqu’elles passaient dans les travées, vous envoyait des courants d’air antarctique.
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Vidéo de Pat Conroy
Extrait de "Le Prince des marées" de Pat Conroy lu par Matthieu Farcy. Parution le 13 mai 2020.
Pour en savoir plus : https://www.audiolib.fr/livre-audio/le-prince-des-marees
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