Boris Pasternak est mondialement connu pour " le docteur Jivago" , fresque sociale étourdissante, sa gloire et son malheur.... car les autorités soviétiques d'alors ont condamné ce livre, jugé trop nostalgique d'une époque et trop lyrique, publié en Italie , et qui a valu à l'auteur à la fois le prix Nobel de littérature et un exil dans son propre pays.
On oublie souvent qu'il a été avant tout un poète, d'ailleurs Youri, son double, l'est aussi dans le roman. Ses premières publications sont restées confidentielles mais à partir de " Ma soeur la vie", en 1917, son oeuvre poétique commence à être reconnue. Ce recueil regroupe des textes s'étalant de 1917 à 1959, un an avant sa mort.
Quel recueil! Un tourbillon, un vertige de mots, d'images inattendues, de musicalité ( l'auteur était aussi musicien, cela se sent...) . On regrette d'ailleurs de ne pas connaître le russe car dans l'introduction, il nous est expliqué que le jeu sur les sonorités est saisissant, subtil.
" La vie ma soeur! Voici qu'aujourd'hui elle explose
Et cogne, en pluie , en pleurs, en gifles de printemps!"
Le poète chante sa Russie, entre tradition et modernité, évoquant aussi bien l'univers des trains, qui le fascine, que les datchas. Cette Russie qu'il ne voudra pas quitter, il la célèbre à travers des descriptions en mouvement:
" Retourne-toi et regarde!
Tout autour, le jour entier,
Cité des eaux, Moscou nage
Dans un océan bleuté "
Tout est rafales, neige qui cingle le visage, orage grondant, une nature qui vibre, s'agite. Une pulsion de vie que le poète insuffle au lecteur. On sort de cette lecture un peu étourdi, l'esprit empli d'images virevoltantes. Et que l'on aime cet élan!
Découvrez le poète caché derrière le romancier, il le mérite tant!
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Tu es proche autant qu’on peut l’etre.
Ta présence est comme une ville,
C’est Kiev tranquille à la fenêtre,
Enveloppé de jour torride.
Kiev qui paraît dormir, mais en
Faisant à son sommeil la nique,
Et qui, tordant son cou suant,
Rejette son collier de briques.
Kiev où sur la chaussée vaincue
Des peuples de peupliers las
Ont toutes leurs feuilles qui suent
De tant d’obstacles jetés bas.
Tu es la pensée que ce fleuve
Dans la peau verte des ravins
Est pour nous le livre des preuves
De secrets affronts souterrains.
Ta présence est comme un appel
À prendre place à ce midi
Pour — lui relu de Á à Z —
Y inscrire : « Elle fut ici. »
DÉFINITION DE LA POÉSIE
C’est un bruit de glaçons écrasés, c’est un cri,
Sa strideur qui s’accroît et qui monte,
C’est la feuille où frémit le frisson de la nuit,
Ce sont deux rossignols qui s’affrontent,
C’est la suave touffeur d’une rame de pois,
L’univers larmoyant dans ses cosses,
Le jardin potager où Figaro s’abat
En grêlons du pupitre et des flûtes.
C’est cela qu’à tout prix retenir veut la nuit
Dans les fonds ténébreux des baignades
Pour porter une étoile au vivier dans les plis
De ses paumes mouillées, frissonnantes.
On étouffe, plus plat que les planches sur l’eau,
Et le ciel est enfoui sous une aune.
Il siérait aux étoiles de rire aux éclats,
Mais quel trou retiré que ce monde !
Laissons choir les mots là,
Comme, distrait et tendre,
Le jardin sème l'ambre,
Tout bas, tout bas, tout bas.
Ne nous demandons pas
Pourquoi l'or endimanche
De safran et d'orange
Et de pourpre les bois.
Qui fait pleurer l'ormeau,
Saute sur la console,
Et, par le sas du store,
Inonde le piano.
Qui sur ce paillasson
A rougi ce buisson
De frêles, idylliques,
Tremblantes italiques.
Tu demandes qui veut
Qu'Août soit majestueux,
Qui fignole à plaisir
Et prend soin de sertir
La feuille du laurier.
Qui, depuis les Prophètes,
A son tour de potier
Fidèlement s'arrête.
Tu demandes qui veut
Que les dahlias aient mal
Lorsque l'érable émaille
Les Atlantes frileux
D'un essaim de cheveux
Qui volent dans les creux
Des tombes automnales?
Tu demandes qui veut?
C'est le Dieu des Détails,
Le Dieu d'amour heureux
Des Dames et des Preux.
Peut-être l'on connaît
L'énigme des Ténèbres.
La vie, tel le muet
Automne, est innombrable.
DÉFINITION DE L’ART
Rabattant le col de sa chemise,
Broussailleux – un torse à la Beethoven -,
Tels des pions il couche sous sa prise
Ombre, amour et délire et conscience.
Puis il arme pour la fin du monde,
- Égaré de fureur et de mal -,
Une dame inconnue, pièce d’ombre,
Combattant la piétaille à cheval.
Au jardin où s’exclame l’arôme
Des étoiles de cave et de gel,
Rossignol sur la ronce d’Isolde,
Le sanglot de Tristan s’est figé.
Et les prés, les jardins et les roses,
Et, bouillant de laiteuses clameurs,
L’univers est passion qui explose,
Trop longtemps comprimée dans le cœur.
Aimer certains, c’est un fardeau ;
Toi, tu séduis sans insistance —
Percer tes charmes équivaut
À voir la clé de l’existence.
De vérités en variétés.
Avril s’avise, rêve, vibre...
Ces bases sont ta parenté ;
Ton sens, l’air pur, demeure libre.
Tous, on peut voir et tout savoir,
Vider de soi les mots-ordures,
Vivre sans être un dépotoir... —
La chose, au fond, n’est pas très dure.
1931
"Le Docteur Jivago", roman du lauréat du prix Nobel de littérature Boris Pasternak, fait l'objet d'une nouvelle traduction aux éditions Gallimard. La traductrice Hélène Henry est l'invitée du Book Club pour éclairer l'histoire de la publication de ce roman et son travail de traduction.
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