Mèmed le Faucon est le deuxième tome de la tétralogie de
Mèmed le Mince. Son personnage éponyme (qui est une sorte de Robin des bois turc), nous revient avec des aventures aux rebondissements toujours plus nombreux et spectaculaires. Après avoir tué le bey Abdi Agha, oppresseur des habitant de la plaine de l'Anavarza, Mèmed doit rester caché. Pendant ce temps, le détestable chef de clan est remplacé dans ses fonctions par son frère Hamza. Et puis un autre grand propriétaire terrien, Ali Safa, cherche à étendre sa domination en acquérant les fermes des pauvres paysans. Bien souvent par extorsion. Bref, c'est toujours le même combat qui recommence. Ces grands personnages intouchables s'allient avec Idris Bey et ses Tcherkesses, ces voleurs de chevaux, et d'autres brigands comme Ibrahim le Noir pour terroriser la population et capturer Mèmed qui menace leurs intérêts (et leur survie). Les gendarmes, menés entre autres par le capitaine Faruk, le recherchent aussi car, aux yeux de la justice, il est considéré comme un hors-la-loi. Un fléau.
Entre ces deux parties, les paysans tergiversent : si certains lui viennent en aide, l'acclament en héros, d'autres le dénoncent par craintes de représailles. C'est que les petites gens se retrouvent souvent à payer les frais des actions du brigand, les beys se défoulant sur eux. Mèmed lui-même en convient : « Voilà ce qui me coupe bras et jambes, voilà ce qui me tue. Non seulement mes efforts se sont avérés inutiles, mais ils ont aggravé la situation. Ils l'ont rendu mille fois pire. Voilà ce qui me ronge, voilà ce qui m'interdit tout sommeil. L'enfer est pavé de bonnes intentions et tout un village est devenu un enfer. À cause de moi, les paysans ont subi l'oppresiion, ils sont morts de faim à cause de moi… Des jeunes filles fraîches comme la rose ont été violées à cause de moi… Voilà ce qui me lie les mains. »
Mais bon, Mèmed doit continuer son combat et il peut toujours compter sur le vieil Osman, la mère Kamer et Süleyman, qui l'a autrefois hébergé, aussi sur Ferhat Hodja et tant d'autres. Ces habitants de Vayvay, pas trop loin de son village natal qu'il doit désormais éviter, lui sont très sympathiques et utiles dans cette chasse à l'homme qui ouvre le roman et qui perdure tout au long de la lecture. Mais toujours le jeune turc réussit à s'échapper, à éluder ses poursuivants. Même sur les plus hautes montagnes sans issues. Il devient le Faucon et il s'envole. Et plus d'une fois. Mais pas littéralement, bien sur.
On retrouve aussi certains personnages, comme Ali le Boiteux, plus nuancé. Oui, il travaille encore pour les beys, mais à contrecoeur. On découvre aussi des nouveaux-venus, comme Adem le voleur de chevaux, le Fils du Dévôt, Mistik le Noir, et la jolie Seyran… Et cette communauté hétéroclite, où les Kurdes cotoient les Turcs, avec les nomades Tcherkesses, quelques Arméniens sont mentionnés, etc. Tous se disputent à leur façon ce bout de terre. Et toujours cette évocation des paysages du sud de l'Anatolie, des hauts plateaux de l'Anavarza, des monts couverts de ronces, de bruyères et d'églantines, des petits cours d'eaux asséchés, des plaines cultivées de part et d'autre des grandes rivières remplies de limons et qui se jettent dans la mer. Et que dire de ces froides nuits, parfois sans étoiles, plongeant tout dans les ténèbres, et des hurlements des loups et des chacals, dérangés par le passage d'un ours, d'une gazelle, d'un chamois. Ce pays-là est vivant ! Dans tous les cas, l'auteur
Yachar Kemal a su le faire vivre sous nos yeux.
Au final, c'est un peu un jeu de chasse, comme celui du chat et de la souris, un peu à l'image du tome précédent. Pas beaucoup d'innovation au niveau de l'intrigue. Les paysans sont toujours victimes des exactions des chefs de clans, les brigands se cachent dans les montagnes, etc. Seuls les adversaires changent. Dès que l'un d'eux meurt, il est remplacé par deux autres. C'est comme s'ils se multipliaient. Cela deviendrait-il combat sans fin ? Mèmed lui-même se le demande. « Abdi s'en est allé et Hamza est venu. » Mais bon, il ne lâche pas, il pourchasse sans relâche l'injustice, libérant le chemin menant jusqu'à sa source. Ainsi, à la fin du roman, après avoir éliminé un à un leurs accolytes, il retrouve Hamza Bey et Ali Safa Bey, isolés, apeurés.
Dans tous les cas,
Mèmed le Faucon est un bon divertissement, un voyage à peu de frais vers le dépaysement et l'exotisme. Une histoire pas compliquée (si on exempt tous ces noms turcs…) et bien sympathique. À lire.