Conrad Potter Aiken (1889-1973) est un auteur américain, né en Géorgie, à Savannah. de nombreux poèmes et une bonne demi-douzaine de romans ou de nouvelles, dont peu sont malheureusement traduits en français, mais dont les plus connus sont «
Au Dessus de l'Abysse » traduit par Patrick Repusseau (1994, le Mercure de France, 456 p.) et «
Un Coeur pour les Dieux du Mexique » traduit par
Michel Lebrun (1991, La Table Ronde, 172 p.). On constate de suite les liens qu'impliquent ces deux titres. Il est une des piles du pont qui le relie à
Joseph Conrad (1857-1924) et sur lequel
Malcolm Lowry (1909-1957) a beaucoup voyagé.
Sa
jeunesse se passe à Savannah, petite ville d'une quarantaine de milliers d'habitants où son père était chirurgien de bonne réputation. Mais à 11 ans, la famille se suicide suite à des déboires financiers, et c'est le fils qui découvre les corps de ses parents. Il en parle beaucoup dans « Ushant: an essay », sous titré « Autobiographie narrative ». Il est alors élevé par une grand-tante dans le Massachussetts. Il suit des cours à Harvard, ville qu'il décrit dans «
le Grand Cercle » et écrit des poèmes, pour lesquels il reçoit le Prix Pulitzer en 1930.
Son oeuvre est importante par les liens qu'il suggère. Pour ce qui est de
Joseph Conrad, né Teodor Józef Konrad Korzeniowski, on voit de suite le rapport entre « Heart of Darkness » traduit en «
Au coeur des ténèbres » et «
Au dessus de l'Abysse » traduit de façon bizarre de « Blue Voyage ». Il est vrai qu'il y a également dans ce livre une certaine ressemblance avec «
Au Dessous du Volcan » de
Malcolm Lowry. Dans les deux cas, il s'agit d'un voyage de deux personnes liées affectivement, mais qui est en fait un voyage sans espoir. C'est aussi le thème du voyage qui se retrouve dans «
Un Coeur pour les Dieux du Mexique ». Voyage aussi, mais dans le temps avec «
le Grand Cercle »
Dans «
Au-dessus de l'abysse », le dramaturge américain William Demarest s'embarque à bord d'un paquebot pour retrouver Cynthia Battiloro, la femme (idéale) qu'il idéalise. La traversée de l'Atlantique de New York à Londres sert de cadre au récit durant 8 chapitres. Unité de lieu et de durée. de fait, le titre original « Blue Voyage » ne correspond pas à sa traduction, qui fait plus référence à « En dessous du volcan ».
Ce voyage est en quelque sorte un voyage sans espoir, ne serait ce que par la différence de milieux dans lesquels évoluent William et Cynthia. On n'en retiendra que le fait que ces deux personnages voyagent en fait sur le même bateau (coïncidence) mais l'un est en seconde tandis que la seconde est en première. Une excursion (interdite) un soir les fait se rencontrer par hasard. L'avant dernier chapitre 7 est d'ailleurs une suite de 5 lettres de plus en plus courtes, de non-envoyée à non-écrite, à Cynthia. On se demande en fait quelle sorte de sentiments partagent ces deux là. le livre s'achève sur une liaison entre William et une garçonne, Miss Faubion, qui a aguiché tous les mâles des secondes classes. le livre est quelque peu ennuyeux à lire. Sur les 454 pages, les deux chapitres centraux forment un pavé indigeste de près de 170 pages pendant lesquelles on a droit à un monologue intérieur et un dialogue entrecoupé de conversations diverses d'autres passagers. le chapitre 4 contient ce monologue assez surprenant sur 102 pages. On y croise Goya dans Portobello Road « Goya dessina un cochon sur un mur…. Goya vit la Grande Salope cueillir les marionnettes humaines qui piaillaient comme des moineaux », « A son réveil prit le luth de sa dame ; son coeur était en grand émoi ; et dans les plus tendres accords ; joua une ancienne chanson ; tue depuis fort longtemps ; et qu'en Provence on appelle la belle sans merci ». Tout cela parce que William dort dans la cabine voisine de cette mystérieuse et envoutante Miss Faubion. (Et pourtant, on ne manque pas de seaux d'eau sur un bateau). D'autres passages sont un peu du même tonneau « Mon père sifflait la Lorelei au chat ; il prétendait que la Lorelei, sifflée lentement, rendait les chats furieux ». (C'est à essayer chez vous si vous savez siffler). On y retrouve également quelques éléments de bibliographie « le Docteur Kiernan affirma qu'à son arrivée à 7 heures 13, il y avait encore une lueur de vie » (référence claire à la découverte macabre de ses parents).
Bref un voyage (initiatique ? je ne crois pas) ou plutôt la recherche (désespérée ?) d'un amour (??), non pas impossible, mais irréaliste (Yvonne et le consul ?).