«
La princesse Printemps » de l'écrivain argentin
César Aira, traduit par
Michel Lafon (2003,
André Dimanche, 101 p.) puis (2005,
Christian Bourgois, 142 p.) est le livre qui inaugure la trilogie de Panama. Les deux romans qui suivent «
Varamo » (2005,
Christian Bourgois, 142 p.) et «
le Magicien » (2006,
Christian Bourgois,149 p.) tous deux traduits par
Michel Lafon, complètent le trio. Ce qui change des livres qui ont trait à l'Argentine.
Alors que les deux derniers ouvrages se passent à Colón, Panama, «
La Princesse Printemps » vit dans son palais de marbre blanc sur une île paradisiaque face aux côtes du Panama. Pour s'occuper et éventuellement subvenir à ses besoins, elle traduit des romans médiocres, que publient des éditeurs pirates. Jusqu'au jour où un vaisseau noir hérissé de canons vient menacer la solitude de la discrète princesse.
Cet ouvrage, qui est aussi un roman d'aventures et un manifeste poétique, signe les adieux de son auteur à la traduction, métier qu'il a pratiqué quotidiennement pendant plus de trente ans. L'ouvrage est de 2000 sous la belle couverture rouge des Editions
André Dimanche.
Sur une île paradisiaque face aux côtes du Panama, dans un beau Palais de marbre blanc, vivait
la Princesse Printemps. La princesse dont il est ici question vit une existence austère, dans un palais de marbre blanc avec vue sur la mer. « Elle était jeune, belle, célibataire ». Elle a pour seule compagnie ses gens, placés sous l'autorité d'une gouvernante Wanda Toscanini. Assise à sa table de travail dans son bureau du premier étage, la demoiselle traduit sans relâche des romans...
Wanda est venue avec la dépouille de son marin, le pianiste Horowitz, qu'elle a fait recabler et qui ne joue quasi que du Chopin. C'est la fille d'Arturo Toscanini, le chef d'orchestre.
Mais voilà, un jour arrive sur l'horizon un vaisseau noir, « hérissé de canons et de batteries antiaériennes, de radars et d'antennes ». C'est celui du Général Hiver et de son lieutenant (il passera commandant plus tard) l'Arbre de Noël. « Un monstre miniature, avec ses aiguilles en plastique et ses boules en verre de couleur ». L'ennemi intime, avec l « Armée Républicaine Omar Torrijos »(AROT) qui vient déloger « Ana Elvira Printemps, odieux emblème judéo-bourbonien du féodalisme décadent ». Seul, un français, vieux et décadent (« il n'était pas si vieux, il avait soixante ans) » résiste, plutôt par ignorance. C'est l'âge de
César Aira qui corrige ainsi son texte. « Il s'appelait Henri Lissaurrie, mais il était, pour tout le monde « le vieux pédé. Un vieux français, qui s'était établi sur l'île comme naturaliste dans un passé lointain et qui, après avoir achevé le catalogue de la flore, de la faune et de la formation géologique, s'était mis à repousser indéfiniment son départ »
Et arrive, de l'autre côté de l'ile, un jeune naufragé, Picnic. Qui rêvait depuis longtemps de rencontrer
la Princesse Printemps.
« Prenons par ce sentier. / Lequel ? / celui-ci : celui qui n'existe pas ». On dirait un passage d'« Alice au Pays des Merveilles », et on s'attend à voir surgir la Dame de Pique.
« L'évènement pouvait être un nouveau commencement (ou un commencement tout court, ou le nouveau tout court ».
« C'était un homme, un enfant, hâbleur et prétentieux, mais il était beaucoup d'autres choses encore, un roi, un lapin, un cabinet bleu dans un pré, un camion de pompier, la semelle d'un soulier, un parapluie, une tubéreuse, une vache, un tuyau, un poème ».
Ou bien
César Aira s'invente des doubles, sous les masques successifs d'un écrivain vulgaire qui plastronne sur son yacht, d'un savant fou qui cherche à dominer le monde, d'un docteur aux guérisons miracles, d'une petite fille qui est en fait un garçon,
La Princesse mène une existence austère dans un palais de marbre blanc avec vue sur la mer. Pour subvenir à ses modestes besoins, elle traduit avec constance des romans médiocres, publiés sous le manteau par des éditeurs pirates. Mais un jour, un nuage de mauvais augure apparaît à l'horizon : il annonce un vaisseau noir hérissé de canons venu menacer la quiète solitude de la discrète altesse.
Un conte de fées pratiquement surréaliste, à la fois roman d'aventures et manifeste poétique, est un hommage exubérant aux pouvoirs subversifs et monstrueux de l'imaginaire.
Dans son essai « La nouvelle écriture »,
César Aira a dit que « les grands artistes du XXe siècle ne sont pas ceux qui ont fait des oeuvres, mais ceux qui ont inventé des procédés pour que les oeuvres se fassent par eux-mêmes... »
Dans ce court roman, qui sera ensuite une forme de standard des suivants, une centaine de pages,
César Aira suit approximativement un même plan. Une courte introduction plus ou moins longue. A sa suite, un changement souvent à quatre-vingt-dix degrés du scénario.
Cycle du Panama, dans lequel l'histoire, l'île et la Princesse elle-même n'ont aucune importance. Cela pourrait être et avoir eu lieu dans n'importe quelle autre Ile. Mais était-ce le but de décrire le Panama. A cet effet, je préfère beaucoup plus les romans de
Georges Siménon, du moins les romans du début, les « Romans Durs » (2012, Omnibus, 1902 p.) tels «
Quartier Nègre » (1935), dans lequel Dupuche, un blanc récemment marié, échoue à Panama, car sa société a fait faillite. Il est obligé de se loger dans le
quartier nègre. Evidement, le style est tout différente et la psychologie est reine chez le père de
Maigret. Et puis c'est le climat des années trente, avec la distinction notoire entre le fonctionnaire blanc et les populations locales, invariablement considérées comme « nègre ». L'alcool bon marché aidant, la société blanche, exploitante est en partie dégénérée. Chez
César Aira, trois quarts de siècle plus tard, l'atmosphère a complètement changé. Heureusement. A vrai dire dans «
La Princesse Printemps », on est même passé quasiment de l'autre côté du miroir.