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EAN : 9782757841679
547 pages
Points (06/03/2014)
3.94/5   54 notes
Résumé :

Il est possible que Mexico soit une tumeur géographique. Ce qui est sûr et certain, c'est que cette ville ne cesse de grandir. Comment faire tenir tout Mexico dans un livre ? C'est ce que je me suis proposé de faire dans ce roman démontable qu'est Mantra. Je trouvais intéressant qu'un livre sur une ville aussi gigantesque qu'un pays puisse correspondre à la forme et à l'esprit qui l'avait inspiré. De là la mons... >Voir plus
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Avant de vous parler de « La Vitesse des choses », j'aurais peut-être eu intérêt à évoquer « Mantra », mais j'aurais sûrement raté quelque chose… Un livre écrit avant (et après) l'autre, mais sorti plus tard tout en l'annonçant à l'avance… un peu compliqué tout cela…
...
Rassurons nous, le grand Enrique Vila-Matas est là pour tout nous expliquer, dans sa préface de la Vitesse des choses, qu'il aurait mieux fait d'écrire avant celle d'Alan Pauls, ouvrant le présent Mantra.
L'espagnol ayant l'air plus à l'aise que l'argentin au pays des singularités.
Autant, il ne me parait pas du tout nécessaire d'avoir lu l'un avant l'autre pour s'y retrouver. Je pense même qu'il faudrait essayer de les lire en même temps, un pour chaque hémisphère.
Alan Pauls donne l'impression d'avoir entre ses mains gantées de blanc un livre lui brulant les doigts, nous donnant quelques pistes d'interprétations plutôt bancales, avant de carrément s'écraser, employant le désormais fameux point « Lynch-Marley »*, pratique écran de fumée lorsque l'on a rien compris…
De mon côté, je ne vous engage à fumer quoique ce soit lors de la lecture de ce livre. À la rigueur, le port d'un masque de catch, ou la mastication d'une poignée de jalapeños pourraient aider… mais la seule chose comptant vraiment reste de bien se souvenir de son alphabet, et d'accepter la Vitesse des choses comme source de mouvement universel en littérature.

Avez-vous déjà vu Mexico ?
L'auteur non plus.
D'ailleurs, c'est sûrement lui qui y détruira la première pierre, après y avoir déterré tout un cimetière aztèque, se sacrifiant à notre place sur l'autel du dieu Soleil.
La date du prochain tremblement de terre y est déjà connue, mais tout le monde l'a encore oubliée.

Philip K. Dick n'a toujours pas rendu ses lunettes à Stanley Kubrick.
Roberto Bolaño a fini par prêter sa voix à la bande-originale ; il y a même écrit un joli petit poème avec des enfants qui vont mourrir ; et personne n'a pensé à le pousser dans cette piscine ; celle où la fille n'en finit plus de tomber dedans.
La famille Mantra a vraiment de drôles de manières, mais je ferais mieux d'arrêter d'en parler.

Je vous avais sûrement promis d'y comprendre quelque chose, et je pense bien ne pas vous avoir menti, non ?

* Point « Lynch-Marley » :
tel son cousin le point Goodwin pour ce qui est de son occurence, le point « Lynch-Marley », ( nommé d'après ces deux grands artistes incompris que sont David Lynch et Bob Marley ) désigne tout discours appelant à l'univers supposé du premier, ou bien se référant à ce que fumait le second, soulignant ainsi la faiblesse d'abstraction de l'individu l'employant.
Leur agrégation en un seul événement langagier nous a semblé inévitable : bien que leurs sources soient, vous en conviendrez, fort éloignées, leurs finalités s'y télescopent.
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Mantra
Traduction : Isabelle Gugnon
Préface : Alan Pauls

ISBN : 9782757841679

A l'origine, cette espèce d'OVNI littéraire, très difficile à étiqueter (encore plus si l'on déteste les étiquettes ), avait été commandé pour une collection de guides de voyage. Objectif : Mexico, l'Etat et la Ville.

Au résultat, une fresque - c'est indiscutable - écrite par un Argentin sur un pays que, manifestement, il adore, mais une fresque un peu à la Diego Rivera, qui part dans tous les sens, éclate, fulgure, scintille, s'entortille sans aucune sommation dans sa cape, ténébreuse et glauque, tissée de smog mexicain, paraît s'escamoter tandis que, tout au fond, sur leurs chevaux étiques, s'avancent, tout souriants (il est vrai qu'il leur serait difficile de ne pas l'être) tout un groupe de mariachis-squelettes, chantant passion et douceur, mais aussi couteau qui donne le coup de grâce et Mort Toute-Puissante.

Le Mexique est peut-être le seul pays au monde où, tout en étant la compagne de tous les jours que font Dieu et Diable (chose banale que l'on voit partout sur la planète), tout le monde plaisante, rit, gémit et pleure avec la Mort, tout à fait comme si celle-ci était la voisine d'à-côté. Pour un peu, on irait lui demander un peu de sucre si, d'aventure, il nous arrive d'en manquer à la maison . Sous ces latitudes ensoleillées et joyeuses, le 2 novembre, Fête traditionnelle des Morts, est vraiment une fête où des marionnettistes invisibles font danser leurs pantins tout en os, coiffés du classique (et souvent somptueux) sombrero, un violon dans leurs tarses gauches et un archet dans ceux de la main droite. On les voit boire la non moins célèbre tequila sans, pour autant, en tomber raides et, aux enfants qui quémandent, on offre de petits crânes en sucre, qu'ils s'empressent de croquer à moins qu'ils ne les conservent en souvenirs. Notez d'ailleurs que les adultes, y compris les plus âgés, ne se gênent pas pour passer la même commande et en faire leurs délices. La Mort est la compagne éternelle de la Vie et, au Mexique, on ne saurait l'oublier.

Il faut bien dire que, bien avant Christophe et son oeuf ;O) , les peuples indiens du pays, notamment les Aztèques, manifestaient déjà un goût prononcé pour la Mort. L'un de leurs dieux les plus vénérés était Huitzilipotchli, Père de la Guerre, auquel on offrait le coeur des guerriers faits prisonniers en sacrifice. Il y avait aussi, encore plus redouté si l'on peut dire car l'on n'avait guère de moyen de pression sur ses humeurs, Tlaloc ou Dieu de l'Eau, qui dispensait sécheresse ou récoltes grasses et bénéfiques selon ses désirs impénétrables ... Ma foi, les Aztèques prenaient leurs précautions : sacrifices humains, souvent d'enfants, par la noyade ou, plus pacifiquement, "mise à mort" symbolique d'idoles d'amarante qu'on se faisait ensuite un plaisir ... de manger . Les fameux chac mool découverts à la fin du XIXème siècle, qui représentent tous un homme allongé, avec un plateau en creux sur le ventre, seraient par contre d'origine toltèque mais auraient servi, eux aussi, au culte de Tlaloc puisque les coeurs des suppliciés était déposé dans le "plateau." Passons sur les atrocités réservées au culte de Xipe Totec, qui s'arrachait la peau chaque année pour permettre de saines récoltes ...

Quand les Espagnols arrivèrent, on eût pu penser que le dieu des Chrétiens, mort supplicié dans des circonstances horribles sur la croix, s'attirerait très vite la faveur des Aztèques. La bêtise des hommes y fit barrage, comme chacun sait. Mais le Christ, qui s'offrait lui aussi en victime (comme Xipe Totec, en somme), parvint à se faire sa place aux côtés de sa mère, Marie, qui s'identifia très vite à la déesse majeure de la Fertilité, dite d'ailleurs "Mère des Dieux", Coatlicue.

De nos jours, les siècles ont passé mais les croyances ont perduré et fusionné. Les fêtes religieuses mexicaines, et notamment la Fête des Morts, sont des spectacles d'une rare beauté qui allient l'extraversion fleurie des anciens peuples à la réserve sévère mais vibrante des Espagnols et qui, alors que ces deux peuples vécurent en ennemis, s'unissent depuis longtemps dans les célébrations divines en une réussite absolue, un art visuel tout bonnement époustouflant et une éthique spirituelle qui fait rêver.

Si je vous parle autant de la Mort, c'est que le narrateur qui nous tient en haleine pendant près de 550 pages est mort - enfin, c'est ce qu'il nous affirme en s'adressant, dans une sorte de journal-dictionnaire, à sa petite amie mexicaine (morte elle aussi d'ailleurs), María-Marie Mantra. Assassiné et même carrément massacré par une bande de catcheurs et de supporters de catcheurs en colère, sur un ring où il avait osé arborer le masque du catcheur plus que célèbre, Jésús Nazáréen de Tous les Martyrs de ... (je vous épargne la suite, qui est plutôt longue), que lui-même venait de décapiter. (Signalons-le en effet, ce livre peut également se lire comme la descente d'un homme vers la Folie, une folie à la Jérôme Bosh, revue en quelque sorte par Diego Rivera.) Car, dans ces pages, à la fois si glauques et si lumineuses, Fresán développe bien d'autres thématiques propres au Mexique : le culte du masque (si vous voulez savoir qui fut le premier catcheur à se produire masqué dans les années trente, eh ! bien, lisez "Mantra" ) dont on peut dire qu'il vient, lui aussi, en ligne droite, des civilisations anciennes, la corruption omniprésente dans le pays, ses révolutions toujours plus ou moins brisées à cause du "Grand Frère" trop proche qui exploite le Mexique mais aimerait pouvoir le faire en paix, l'art enfin, littérature et cinéma essentiellement, avec une vaste partie réservée au catch mexicain.

En fait, il semblerait plus ou moins que le narrateur soit, consciemment ou non, venu chercher sa Mort au Mexique. Pourquoi ? Mystère . le pays idéal pour mourir peut-être, en tous cas à ses yeux ? Mais qui est-il, justement, ce narrateur ? Un individu X - il a d'ailleurs un faible marqué pour cette lettre - à moins qu'il ne soit plutôt Martín Mantra, descendant richissime et complètement cinglé d'une dynastie d'affaires polyvalentes, fondée par un personnage rien moins qu'honorable, Máximo Mantra, son grand-père, lequel serait jailli un jour d'on ne sait trop où, au beau milieu des buissons éternellement roulants, éternellement desséchés de la campagne mexicaine ? Máximo Mantra, capable de tuer et de faire tuer, capable des plus grands gestes de générosité comme des plus féroces vengeances, Máximo Mantra, abattu avec toute sa famille (dont, tout le monde l'assure, justement son petit-fils) par les tueurs à gages du milieu du catch, auto-surnommés "les Vierges de Guadalupe" ?

Je parlais d'OVNI au début de cette fiche et la fin du livre est digne d'un roman de S. F. - on perçoit d'ailleurs çà et là l'influence de Philip K. Dick, dont un extrait est cité en tête du roman. Et, avant cela, il y a cet étonnant dictionnaire alphabétique qui tente de dresser le portrait de Mexico, du Mexique et de leurs habitants et coutumes. On en apprend énormément - sur ce plan, l'objectif du guide de voyage est atteint - mais d'une manière totalement déjantée, originale, anticonformiste et à nulle autre pareille, je puis vous l'assurer.

Beaucoup détesteront. Certains ne dépasseront pas les toutes premières pages. D'autres enfin - dont je suis - auront découvert un auteur qui sort de l'ordinaire et dont on a hâte d'explorer l'oeuvre (qui ne parle pas toujours du Mexique). A vous de voir. C'est vous qui déciderez : de toutes façons, si le début de "Mantra" vous paraît insupportable, incompréhensible, complètement à la masse, eh ! bien, tant pis. Sinon, j'espère que vous vous amuserez bien. Bonne lecture à tous ceux qui se lanceront ! ;O)
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Rodrigo Fresan revisite, à sa façon, Mexico, ville de volcans et de séismes, des anciens dieux Aztèques puis des conquistadors, que l'auteur compare désormais à une tumeur, ville des excès et des morts, des rêves et des hallucinations, laquelle ressemble parfois à un mutant de S.F. ou un personnage de série Z , avec ses combats de catcheurs masqués, ses fratries décadentes et tragiques, ses feuilletons à multiple rebondissements, sa sensualité mais aussi son cannibalisme… le roman de Fresan est à l'image de la ville, multiple et déroutant, avec des voix venues de l'inframonde et des téléviseurs omniscients, des airs de Dylan ou de Gainsbourg, des souvenirs de la Beat Génération, de films de Bunuel, d'Eisenstein et de Peckinpah, souvenirs de Frida Kalho, de Diégo Rivera, de Trotsky, de Breton, du voyage épique et délirant d'Artaud, des lectures de Traven et de Lowry… de nombreuses références qui s'imbriquent dans cet ovni littéraire.
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Inracontable, ce livre l'est – comme peut l'être un rêve ou une hallucination.

La première partie du roman, « AVANT : L'ami mexicain » est très classique – mais déjà totalement géniale. le narrateur y raconte sa rencontre d'enfance avec son ami Martin Mantra - personnage autour duquel on va tourner comme un cyclone autour de son oeil – et avec le clan Mantra, totalité mexicaine portée à l'écran par l'oeil-caméra de Martin Mantra.

« Une multitude charnelle, liquide, océanique, végétale, faite de sang, d'eau et de sève envahissait l'écran, ignorant tout ce qui ne les impliquait ou ne les incluait pas. La réalité était inexistante pour les Mantra, qui sautaient d'une branche à l'autre. »

Mexico, le DF, apparait dans cette première partie comme un lieu rêvé, le lieu d'origine de Martin Mantra, dans lequel le narrateur n'est jamais allé.

Avec la deuxième partie, on laisse derrière soi la rivière d'un récit qui guide le lecteur au long de son cours, pour pénétrer un récit kaléidoscopique d'une virtuosité inouïe, sous la forme de l'abécédaire d'un mort, dont le sujet est Mexico. Toute l'histoire de la ville depuis Moctezuma 1er, l'histoire des hommes et des femmes célèbres qui sont passés dans cette ville, ont écrit sur elle, traversent ces pages. Incroyablement érudit, ce récit déstructuré, comme le reflet de l'impossible cartographie de la ville de Mexico forme un ensemble démesuré mais cohérent.

« Peut-on raconter une ville comme on conte une histoire, Maria-Marie ? Je n'en suis pas tout à fait sûr. Surtout si cette ville est désarticulée, sans plan, comme un roman invertébré. »

Le Mexico, mantra de ce livre, est un lieu magique, une espèce d'archétype de toute l'humanité, un lieu mutant, paradisiaque et infernal, ou tout semble s'être déjà produit, un lieu dans lequel « le temps est comme une maison en constante réfection ».

« le Mexique a son utilité car on peut lui attribuer n'importe quoi. Ici, il est difficile qu'il ne t'arrive rien, et si c'est le cas, tu peux toujours inventer car, dans ce pays, même l'histoire la plus délirante devient vraisemblable. »

A peine refermé, « Mantra » est un livre qu'on meurt d'envie de reprendre, comme une drogue.
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Reprenons depuis le début. Mantra est un livre sud-américain (ça commençait bien), à la structure narrative innovante (ah intéressant, je suis toujours preneur), recommandé par Roberto Bolaño, citant Lowry, Nabokov, Cortazar (quatre auteurs de mon Top 10), Kerouac, Philip K. Dick et 2001, l'odyssée de l'espaceil et qui, last but not least, bénéficie d'une moyenne alléchante sur SensCritique (8), qui atteint 8.3 chez mes éclaireurs. Voilà donc un livre que j'aurais dû et aimé aimer. Or, non seulement ce ne fut pas tout à fait le cas, mais sa lecture a même été parfois assez pénible. Essayons d'expliquer de manière rationnelle cet implacable (et regrettable) ressenti.

L'une des raisons me semble être précisément la structure narrative de Mantra. Enfin, celle de la deuxième partie, qui raconte l'histoire sous la forme d'un lexique, fort habilement fait par ailleurs. Ce genre d'aventure formelle (dont je peux être très friand, là n'est pas la question) est à double tranchant. Elle peut livrer des oeuvres incomparables, surprenantes, ludiques mais également des pensums stériles et alambiqués . Or, Mantra me paraît plutôt intégrer la seconde catégorie... Non seulement le recours au lexique n'est jamais justifié et arrive comme un cheveu sur la soupe, mais j'avoue ne pas avoir retiré grand-chose de ces 500 pages. le postulat de départ est séduisant, mais le traitement m'a laissé sur ma faim, oscillant sans trouver le juste milieu entre l'anecdotique et le sentencieux.

Aussi, la première partie (où est passé l'humour des premiers chapitres ?) et les toutes dernières pages m'ont paru être les meilleurs moments du livre. Entre eux, malheureusement, j'ai eu la douloureuse sensation de me débattre dans un océan glacé, dont je ne crois pas avoir jamais lu plus de dix pages d'affilée. On me dira que c'était sans doute en partie l'effet recherché (livre tentaculaire où il faut accepter de se perdre), et je veux bien l'accorder, j'étais même partant, mais je ne peux pas mentir non plus : je m'y suis surtout ennuyé.

Mais le plus agaçant est peut-être le côté m'as-tu-vu du livre. Chaque page semble crier : "ceci est un livre dément écrit sur une ville démente (Mexico)", et cela justifierait toute les coquetteries, les longueurs (livre bieeeeeen trop long) et les pénibles digressions existentialisto-surréalistes (le mauvais côté des romans de Cortazar, en encore moins bien ici car déjà vu) de la deuxième partie. A quoi il faut ajouter le name-dropping incessant et les réécritures sans grand intérêt - j'en ai identifié deux : celle de la nuit face au ciel de Cortazar et celle du début de Pedro Paramo de Juan Rulfo, dans une ambiance post-apocalyptique (!), au début de la troisième partie. Inutile de préciser que j'aime mille fois mieux lire les originaux.

Ces remarques négatives ne doivent pas faire oublier certaines trouvailles géniales (la première partie, le personnage de Martin Mantra, les tumeurs "Sea Monkeys", les passages sur l'amnésie, et j'en passe) un style follement inventif, la maîtrise de la narration discontinue - on reconstitue l'intrigue centrale au fur et à mesure, dans le désordre, au gré des entrées du lexique, et c'est plutôt intéressant. Un délire maîtrisé, donc, mais dont le principal défaut serait peut-être justement le fait de clamer haut et fort que c'est un délire, un livre mutant sous drogues dures, et ainsi de légitimer, de manière un peu facile, le fait qu'il parte dans toutes les directions en épuisant le lecteur.

On en arrive à l'ultime paradoxe de ce livre : à trop chercher l'originalité, à trop vouloir étonner, à trop jouer le "grand roman sud-américain postmoderne halluciné", Mantra ennuie par ses errements abscons, ses pages ultra-référencées et ses effets finalement prévisibles, le tout servi avec une sauce science-fiction plutôt indigeste. Qui m'est restée sur l'estomac.
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Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
"Le récitant est mon tuteur. Un poète chilien qui se prénommait Arturo ou Roberto. Je ne me rappelle même pas son visage, alors son nom... Je l'ai enregistré par un après-midi très chaud. Il n'a pas tenu longtemps dans cette maison. Il se mettait à déclamer des vers au milieu des réunions, montait sur les tables, disparaissait des journées entières. Il rentrait toujours de nuit", m'a dit Martin Mantra tandis que la voix du poète invisible flottait sur la carte sans nom d'une ville sans plan, laissant choir ses vers comme étaient tombées des bombes sur d'autres villes.

"DANS LE SALON DE LECTURE DE L'ENFER" (...)
Dans le salon de lecture de l'enfer
Dans le club des passionnés de science-fiction
Dans les cours blanches de givre
Dans les chambres de transit
Sur les chemins gelés
Quand tout semble plus clair
Quand chaque instant est plus beau et compte moins
Une cigarette entre les lèvres et la peur au ventre
Parfois les yeux verts
A vingt-six ans
Un serviteur.

"GODZILLA A MEXICO" (...)
Ecoute ceci, mon garçon : les bombes tombaient
sur la ville de Mexico
mais personne ne s'en apercevait.
L'air transportait le poison
dans les rues, par les fenêtres ouvertes.
Toi, après dîner, tu regardais à la télé
les dessins animés.
Moi, je lisais dans la pièce voisine
quand j'ai compris que nous allions mourir.
Malgré le vertige et les nausées je me suis traîné
jusque dans la salle à manger et je t'ai trouvé par terre.
Nous nous sommes enlacés. Tu m'as demandé ce qui arrivait
et je ne t'ai pas dit que nous étions au programme de la mort
mais que nous allions faire un voyage,
un de plus, ensemble, et que tu ne devais pas avoir peur.
En partant, la mort ne s'est même pas donné la peine
de nous fermer les yeux.
Qui sommes-nous ? m'as tu demandé une semaine ou un an après,
des fourmis, des abeilles, des chiffres erronés
dans la grande soupe du hasard ?
Nous sommes des êtres humains, mon garçon, presque des oiseaux,
des héros publics et secrets.
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[...] ... Nous sommes immortels à nos débuts. Nous sommes invincibles. Nous savons tout parce qu'il n'y a pas grand-chose à savoir. Nous ne connaissons qu'un Chapitre Un. Nous connaissons les bases, ce qui importe réellement, les choses indispensables : des règles simples pour survivre dans la jungle de nos journées brèves mais intenses au cours desquelles nous pressentons à la perfection qui sont nos amis et nos ennemis. Alors, nos antennes flambant neuves captent sans difficulté le secret de l'univers. Au fil des années - au contact du bruit sourd de la connaissance de l'inutile, du côté statique de l'information superflue et du lent rapprochement de la Mort - nous devenons de plus en plus ignorants. Nous avons peur des portes que le vent fait claquer, ou des téléphones qui sonnent dans le noir, au coeur même de la nuit. Donc, à l'heure incertaine où nous nous rappelons avec tristesse notre passé vigoureux, nous ne sommes plus que les astronautes corrompus d'une Lune innocente où nous avons un jour planté un drapeau. Quand nous y étions, tout nous semblait plus grand et plus majestueux. Contrairement à ce que l'on peut croire, cela n'était pas lié à notre petite taille par rapport aux chambres qui nous abritaient, mais plutôt à notre capacité d'étonnement. Loin d'être motivée par l'exercice d'un petit muscle difficile d'accès, elle était un battement constant, et il suffisait de fermer les yeux pour la sentir rythmer le temps des hommes et la vitesse des choses à l'intérieur de soi. Eh oui, notre passé reculé était si proche, si bref et si précis qu'il se confondait avec ce qui était survenu quelques heures plus tôt pendant que nous glissions sur un présent plus long que notre avenir tout entier. Voilà pourquoi dans notre enfance, nous sommes particulièrement attirés par le rugissement des moteurs de science-fiction : ce qui précède est infime ; le présent n'est qu'une succession de photogrammes ; l'après signifiant tout, il n'est pas étonnant qu'en grandissant, notre intérêt pour le futur décroisse et que nous nous posions de moins en moins de questions à son sujet car, à l'évidence, nous commençons à comprendre que nous ne ferons jamais partie de lui.

J'ai l'impression de me répéter, de dire toujours la même chose avec des mots différents, de n'avoir guère le temps d'avancer d'autres idées. C'est pourquoi je choisis une époque - celle où j'avais beaucoup de temps devant moi - et un nom, Martín Mantra. ... [...]
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Nous vivions une époque où l'on se tuait, où l'on mourait pour rendre le monde meilleur. C'est en tout cas ce que pensaient le Père de la Patrie, mes parents et leurs amis, qui le lisaient dans des best-sellers fort éloignés de la non-fiction, et s'étonnaient des années plus tard de la courte distance qui séparait l'exécuteur de l'exécuté et, désormais, de l'exécutif. Nombre d'entre eux sont devenus tout ce qui a anéanti beaucoup de leurs camarades. Ils assistent parfois à des tables rondes, dans des téléviseurs rectangulaires, me semble-t-il. Usés et souriants, pendus à leurs cravates de soie importées, fusillés par les balles perdues de leur passé et interrogeant mal leur mémoire à voix haute – se rappelant d'oublier ce qui leur convient, allant toujours vers la victoire – comme s'ils étaient sûrs de connaître la musique mais pas les paroles d'une chanson qu'ils ont un jour sue par cœur.
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L'idée que nos enfants puissent disposer d'ordinateurs domestiques (qui étaient à l'époque de puissants engins cachés dans les sous-sols top secret de bâtiments gouvernementaux toujours étrangers) ou avoir des poussées psychotiques à force de vivre constamment dans la réalité virtuelle n'entrait même pas dans les larges limites de notre imagination, plus prompte à concevoir l'avenir d'après nos vieilles lectures de Jules Verne ou de H.G. Wells que comme un territoire que nous occuperions un jour.
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Quand nous commençons à lire, nos rapports avec les livres passent par notre identification au personnage. Les lecteurs primitifs ont donc besoin d'entrer dans l'histoire (ce n'est pas un hasard si les livres ont le même mécanisme, la même forme qu'une porte) pour faire partie de l'aventure. Au fil des ans, le lecteur cesse de s'identifier au héros pour s'identifier à la réalité de l'écrivain. La façon de raconter une histoire finit par primer sur l'histoire elle-même. Là, je ne suis pas sûr que les lecteurs évoluent. Je pense qu'au bout du compte, ils perdent peut-être quelque chose en chemin le plus important: la possibilité de ne faire qu'un avec le héros, de combattre et de vaincre à ses côtés.
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Rodrigo Fresans'entretient avec Sylvain Bourmeau à l'occasion de la parution de son roman "Le fond du ciel" (Le Seuil), l'un des 30 livres de la rentrée littéraire Mediapart 2010.
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