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EAN : 9782070323418
291 pages
Gallimard (20/02/1986)
4.2/5   10 notes
Résumé :
Qu'est-ce que le roman noir ? Quelles sont les lois d'un genre qui suscita à la fin du XVIIIème siècle d'innombrables romans en France, en Angleterre, en Allemagne et dans toute l'Europe ? Généralement, pour ce qui est de l'intrigue, une jeune fille innocente et pure se trouve jetée sur les routes par les hasards de la vie. Et c'est le prétexte à un formidable voyage au pays des malheurs. Etrange scénario à une époque où la scène de la pensée est occupée par la phil... >Voir plus
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
Je voudrais qu'on mesure l'énormité du phénomène, les écrans sensibles réagissant ici à la multiplicité, à la variété, à la rapidité des impulsions psychiques, intellectuelles et sociales qui font et défont le paysage européen entre 1760 et 1820, par une seule et même couleur. Comme d'un rêve dont on oublie tous les détails pour ne retenir impérieusement que l'atmosphère.

Ainsi, d'un rêve évoquant à la fois l'essor sans précédent de la pensée rationnelle, la parfaite maîtrise du discours, les perspectives nouvellement dégagées de l'analyse, mais aussi les bouleversements de l'histoire, la violence des faits, les ivresses de l'espoir et du désespoir, l'Europe n'aurait gardé en mémoire que la couleur noire.

Critique inavouée, inavouable de ce qui se fait et se dit alors ? Peut-être, mais pas seulement, les chemins de l'imaginaire sont plus imprévisibles qu'on voudrait nous le faire croire.

À d'autres la commodité de penser que le roman noir ne serait que le refoulé du siècle des Lumières.
Au contraire, lieu mental que s'est trouvé et choisi cette époque-là, il constitue sans doute la première tentative — et sûrement la seule tentative plurielle — pour éclaircir une nuit dont nous ne sommes pas encore sortis.
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À en croire la critique extasiée, le monde de Balzac serait encore celui où nous vivons. Mais ne serait-ce pas parce que Balzac, profondément acquis à ce monde-là, a engagé ses prodigieuses qualités d'observateur à en asseoir les fondements ? Une fois le sens ainsi fixé, c'est le plus et le moins, l'économie et la dépense qui vont écrire l'histoire et les histoires. Par bonheur, Balzac joue le jeu jusqu'au bout : en cherchant à dépister la raison de la folie, il rencontre en chemin la folie de la raison. Trop passionné serviteur de la raison marchande, le voilà qui se laisse emporter par la folie du nombre. Et c'est cette seule folie qui fait sa grandeur, qui transforme l'observateur en visionnaire, éclairant parfois le réel de tous les feux de ce qui n'est pas.

Néanmoins, on ne saurait se laisser abuser par la stature du personnage : c'est avec lui et par lui que le roman commence à se confondre avec le bilan. Bilan d'une époque, bilan d'une société, bilan d'une vie. Le monde de l'argent a trouvé son genre littéraire par excellence qui répercutera ses brillances, ses brutalités, ses subtilités, ses cruautés, ses contradictions dans l'espace de la fiction. Jusqu'à ce que la raison marchande en crise au début du XXe siècle dépose son bilan en même temps que ses romans.
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Nul doute que le projet exhaustif de répertorier toutes les perversions sexuelles en cent vingt journées, au bout desquelles « il y a eu trente immolés et seize qui s'en retournent à Paris », exige de sérieuses précautions.
Mais autant les plus sévères mesures d'isolement paraissent inévitables dans pareil cas, autant l'inquiétante application de Sade à clore hermétiquement le château de Silling, à le couper définitivement du monde sans aucune possibilité de retour, annonce une démarche apparemment aussi étrangère à la logique libertine qu'à toutes les attitudes des innombrables personnages qui vont et viennent alors autour du même château imaginaire.

Sade en fait trop, beaucoup trop. Il ne se contente pas d'évoquer un lieu redoutable dont le propriétaire sait, à chaque moment, apprécier le sombre charme : « Il était chez lui, il était hors de France, dans un pays sûr, au fond d'une forêt inhabitable, dans un pays sûr, au fond d'une forêt que, par les mesures prises, les seuls oiseaux du ciel pouvaient aborder, et il y était dans le fond des entrailles de la terre. »
On attendait une construction, on est entraîné dans un vertige de l'enfermement, résultant d'un mécanisme aussi paradoxal qu'implacable : chaque clôture suscite automatiquement la suivante qui établit l'inutilité en même temps que la sûreté de la précédente, et ainsi de suite.
Alors, à voir l'étanchéité des fermetures s'accroître en proportion inverse de leur nécessité, on en vient à penser que pour Sade le sort réservé à la réalité se joue dans le principe même de cette architecture.

Inutile de chercher ailleurs pourquoi la lente progression des libertins vers le château de Silling est si impressionnante et comment cette très solennelle avancée semble déterminer ce que seront les cent vingt journées, beaucoup plus que la description minutieuse des lieux prévus pour les ébats et les débats.
En fait, c'est la réalité — et non le monde — que les plus libertins des libertins mettent tant de soin à quitter.

Ici, il n'y a de clôture que déréalisante.
Et comme l'architecture sadienne obéit toute entière à ce mécanisme d'un enfermement sans terme, le processus de déréalisation ne connaît pas de limite.
À tel point que ce n'est plus seulement le réel mais le mode de penser le réel — dont la pensée libertine constitue d'ailleurs la plus audacieuse figure — que Sade incite à abandonner sans retour.

[...] Une pensée fait le tour d'elle-même pour mette à nu le néant qui la fonde, une pensée trouve sa forme à cerner implacablement le néant qui la hante, une pensée discursive en quête de sa souveraineté effectue le plus rigoureux travail poétique, ce vertigineux détour pour aller du rien au rien.
Le fait est alors sans précédent. Là commence la violence poétique en même temps qu'une critique sans merci de la pensée libertine.

[...] c'est l'élan même de la pensée libertine qui se trouve empêché, brisé, morcelé par ce système de clôtures-gigognes : à la trajectoire pédagogique, progressive, pour ne pas dire progressiste, de la démarche libertine, voilà que se substituent scènes, épisodes, opérations, figures, postures, comme autant de segments, de moments, d'éclats d'une pensée définitivement en quête d'elle-même.

Ce qui n'implique nullement la dispersion mais au contraire une mise en place quasi obsessionnelle de chaque tableau. Puisque la perfection de la moindre figure sert à établir de façon irréfutable le triomphe de la pensée libertine en même temps que son effondrement.

[...] à l'inverse de la trajectoire libertine qui décrit un lieu fermé et l'explore pour en prendre possession, la pensée de Sade se développe en structure cellulaire qui, par leurs tourbillons, dévoie la clôture vers la prolifération, la possession vers le manque, le nombre vers le vide.
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À dévoiler les prisons successives que l'être installe à l'intérieur de lui-même, on découvre en même temps que cette prison peut devenir le lieu d'un inquiétant plaisir.
Les images les plus troublantes surgissent alors pour remodeler les forteresses du mal que sont les prisons, les couvents, les maisons de force, et ce, au cours d'une surprenante prise en charge de la perversité, de la déraison, au moment où tout les accable.

On se souvient de ce que la répression de la folie doit à l'âge classique.
Et le fait que le roman noir devienne le lieu imaginaire où la prison est niée par l'idée d'un plaisir obscur et souverain, garanti par l'enfermement, prend une valeur révolutionnaire qui déjoue cependant une fois encore tout ancrage historique.
Comme si là contre tout espoir, la sensibilité plurielle offrait à chacun de déterminer inconsciemment son espace, au plus loin de la cité et de son ordre, là où l'écume naît indifféremment de la décomposition ou de l'effervescence de la vie.

Nul doute que ce retournement de la prison en lieu de plaisir, affirmant la dépendance souterraine des constructions libertines et des constructions répressives, révèle la contradiction fondamentale d'un monde en train de sombrer, qui fonde la violence du discours prérévolutionnaire.
Mais encore cette confusion des lieux de peur et des lieux de plaisir dans l'imaginaire européen, qui donne à chacun l'occasion de se rendre fantasmatiquement maître de l'espace destiné à l'asservissement du nombre, préfigure paradoxalement la fête révolutionnaire alors conçue comme « l'éveil d'un sujet collectif qui naît à lui-même, et qui se perçoit en toutes ses parties, en chacun de ses participants » [Jean Starobinski, l'Invention de la liberté, éd. Skira, Genève, 1964, p.101].
Et quand la première fête révolutionnaire aurait été la prise de la Bastille, c'est-à-dire la prise de possession collective d'un lieu clos ou bien l'abolition d'un décor qui sépare, le roman noir propose la même fête, mais à l'intérieur d'un décor où la séparation ne se serait maintenue que pour exalter la souveraineté de tous ceux qui s'en rendent fantasmatiquement maîtres.

Ainsi niant à la fois le caractère exclusif de la fête aristocratique et le caractère collectif de la fête révolutionnaire, l'architecture noire ouvre un espace de subversion où le nombre délimite négativement le champ d'affirmation de l'unique pour en faire une prison, de même que l'unique y vient nier la possibilité d'un plaisir partagé, excluant tout ce qui s'oppose à sa propre satisfaction.
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Dans le roman noir, une étrange hâte s'empare de tous les mouvements. Les paysages rassurants s'égrènent vite le long du chemin, ponctuant en contrepoint furtif la mise en place d'un décor de plus en plus enveloppant.

[...] Les derniers lambeaux solaires s'effilochent à mesure qu'on avance, jusqu'à ce qu'on perde enfin même le souvenir du bonheur. Peu à peu, forêts, orages, montagnes enserrent personnages et lecteurs dans un réseau d'angoisses d'abandon et de fusion. Jusqu'à ce qu'enfin désertée de toute trace d'humanité, la nature s'ouvre béante comme un dangereux appel de vide entraînant vers une série d'identifications archaïques.

[...] La densité de la nuit se fait mouvante pour mieux refermer sa masse incohérente sur le voyageur ; les points de repère sont absorbés par cette houle naturelle. Des êtres et des choses, on ne connaît plus que frôlements ou chocs. Autant d'engloutissements progressifs ou accidentels de la verticalité au cours desquels l'angoisse de la séparation et la terreur de l'abandon sont sans cesse rejouées.

Que le chemin monte ou descende, on ne distingue jamais où il mène, les arbres disparaissent dans la mouvance de la forêt qui enferme dans une errance aveugle. Comme si la nature « faite à l'image de Dieu » se trouvait ici inexorablement amputée de son principe organisateur et du même coup à la merci des forces obscures qui la travaillent depuis toujours.

[...] tout acquiert une dimension autrement inquiétante quand il s'avère que le leurre porte sur la réalité elle-même, ou plutôt sur toutes les données psychiques, intellectuelles, sensibles qui fondent alors l'idée même de la réalité.
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Vidéo de Annie Le Brun
Pour un communisme des ténèbres - Rencontre avec Annie Le Brun Envers et contre elle, Annie Le Brun traverse l'époque. Elle occupe ce point où sensible et politique, littérature et subversion, restent indissociables. L'expérience du surréalisme dont elle témoigne est tout le contraire d'un mythe, le contraire d’un passé. On y entend le vif des rencontres et de le plein des singularités, la puissance du collectif quand il chemine vers l’inconnu. Autant dire que sa manière de soutenir les désirs, de chasser toute tendance à la résignation ou de faire entendre la joie d’être ensemble, nous a beaucoup parlé à lundisoir. On y a parlé d’esthétique critique, de communisme des ténèbres et de ces lignes de crête sur lesquelles il faut se tenir pour rester inaccaparé. Ou encore, pour reprendre un passage des Vases communicants qu’elle nous avait apporté, de ces « réserves monstrueuses de beauté » dans lesquelles puiser pour « se garder de reculer et de subir » .
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