L'Enchanteur du titre, c'est Merlin, évidemment. Il descend d'un démon et d'une pucelle, il est proche de la nature et des druides, il connaît des enchantements... le recueil nous plonge donc dans la matière de Bretagne, en reprenant tous les codes attendus. On retrouve des personnages connus, Morgane et Viviane pour les femmes aux pouvoirs magiques, le chevalier Gauvain... le vocabulaire est aussi celui de l'époque arthurienne, avec des cors, des lances... Même si le lieu n'est pas clairement indiqué, l'action se déroule semble-t-il dans une forêt enchantée, qu'on peut assimiler à Brocéliande.
Oui, nous ne sommes pas dépaysés à première vue. Cependant, le titre caractérise Merlin par un épithète : "pourrissant". Il faut prendre le mot au sens littéral de ce qui se décompose dans la terre. Car Merlin est un cadavre : si son âme reste vivante, ce qui lui permet de commenter ce qui se passe, son corps est mort et enterré, il est en train de pourrir, dévoré par des vers.
L'alliance quasiment sous forme d'oxymore des deux termes du titre renvoie donc à la construction toute en opposition du recueil : la magie, la puissance, mais aussi la volupté de la vie, et la mort, le froid, la nuit, la terre. C'est le dernier terme qui l'emporte, le but d'
Apollinaire semble être de raconter une sarabande, c'est-à-dire une danse lascive, sensuelle, mais aussi bruyante, désordonnée, agitée. Une succession d'êtres et de créatures se rendent sur la tombe de Merlin, comme dans une inversion de rite catholique, plutôt une messe noire qu'une cérémonie religieuse : les offrandes sont pourries, les faux rois mages offrent des présents monstrueux, les créatures à plume, à poil, à écailles... se dévorent et copulent sur la tombe. Si certains passages sont sensuels par leur subtilité, d'autres sont bien plus graveleux, comme les serpents qui ne cessent d'évoquer de grosses saucisses - mais cela donne lieu à des allitérations en "s" bien appuyées.
Mon avis est donc contrasté, car le texte lui-même semble peut-être s'égarer : lit-on un conte, un poème, un dialogue théâtral, un sabbat où se rencontrent les sorcières, ou un texte érotique ? C'est foisonnant, trop souvent, car j'ai eu l'impression d'une succession de listes (les prophétesses, puis les sorciers, puis les animaux...), avec des passages trop rapides bien souvent.