Il trônait au beau milieu de la vitrine et bien que j'en fusse éloigné de plusieurs mètres, à l'autre bout du trottoir, je fus irrésistiblement attiré par la couverture de ce livre, plus encore que d'ordinaire quand mes pas me conduisent à proximité d'une librairie. La photo aux couleurs passées me rappelait fortement l'illustration d'un soldat de l'armée américaine dans une encyclopédie pour la jeunesse que je feuilletais régulièrement quand j'étais enfant et qui représentait l'uniforme des fantassins US en 1898. Je m'approche donc pour satisfaire ma légitime curiosité (en matière de littérature la curiosité est toujours légitime mais je préfère quand même préciser). le large titre bleu foncé, en haut à gauche, s'impose à moi : "
Burning Boy". Je le trouve flamboyant mais déjà mon oeil est happé par le nom de l'auteur qui se détache en jaune vif, en bas à droite de la couverture, dans la même police et taille de caractères que le titre :
Paul Auster. Son dernier roman
4321 m'avait un peu effrayé tant par la complexité du thème abordé que par le nombre de pages monumental qui le composait. Mais comme c'est mon auteur américain contemporain préféré, j'examine plus attentivement la couverture qui me plaît énormément et je m'imagine déjà plongé avec délice dans ce roman. Un sous-titre indique "Vie et oeuvre de
Stephen Crane". Je pense alors que
Paul Auster a voulu imiter
Stendhal qui a sous titré "
le Rouge et le Noir" avec "Chronique du XIXème siècle" ou
Mary Shelley qui a intitulé son roman le plus célèbre "Frankenstein" en lui apposant le sous-titre "le Prométhée moderne". Pas une seconde j'imagine qu'il s'agit d'une biographie car qui connait
Stephen Crane ? Si Auster avait accolé à son formidable "
Burning Boy" "la vie et l'oeuvre de
T.S. Eliot", "
Ralph Waldo Emerson et le transcendantalisme américain" ou "
Walt Whitman poète et démocrate" le lecteur aurait su à quoi s'en tenir mais avec
Stephen Crane, l'auteur du "
Léviathan" peut tromper son monde. Il le reconnait lui-même,
Stephen Crane est un inconnu. Ses romans, "
l'insigne rouge du courage" et "
Maggie, fille des rues", ses poèmes sont inconnus. Même les connaissances de
Paul Auster dans les milieux littéraires non anglophones ne connaissent pas Crane, et les connaissances anglo-saxonnes de
Paul Auster hors milieux littéraires n'en n'ont jamais entendu parlé. Alors oui, avec "
Burning Boy - vie et oeuvre de
Stephen Crane"
Paul Auster nous induit en erreur et nous fait prendre une biographie pour un roman mais c'est trop tard car mon épouse qui m'accompagne a bien vu dans mon regard captivé et séduit cette petite lueur de désir et je vais le retrouver au pied du sapin (c'est vrai que je n'ai pas précisé que cette petite aventure s'est déroulée un peu avant Noël). Et pourtant, tout lecteur un peu aguerri sait bien qu'il faut se méfier des titres séduisants qui laissent libre court à l'imaginaire, qui nous invitent au choix d'un livre et dont la lecture s'avère finalement au mieux frustrante, au pire carrément décevante. Mais c'est un malin ce
Paul Auster et oui, j'ai cédé aux charmes de ce péritexte élaboré, titre, sous-titre, photo... ce dont je me suis félicité tout au long des mille pages de papier bible de cet ouvrage fort bien documenté qui m'a permis de découvrir un écrivain jusqu'alors inconnu, à la vie trépidante dans le dernier quart bouillonnant du XIXème siècle et à l'oeuvre romanesque et poétique innovante et crépitante, mort trop jeune.
Paul Auster raconte cette vie et analyse cette oeuvre avec finesse, entrain et passion pour faire revivre cet auteur trop souvent tombé dans l'oubli. du grand art !